Devrait-on évaluer les enseignants au Québec? La Coalition pour l'avenir du Québec a relancé l'idée au printemps dernier. Ça se fait ailleurs, aux États-Unis et dans d'autres provinces canadiennes. Mais au Québec, l'évaluation des enseignants est un sujet tabou qui suscite un vif malaise. En attendant, on tolère la médiocrité dans nos écoles.

Jean-Guy (un nom fictif) enseigne les mathématiques dans une école secondaire de la grande région de Montréal. Dans son groupe de 28 élèves, 26 sont en situation d'échec. Un scénario qui se répète d'année en année.

À ses yeux, le problème vient des élèves: ils sont fainéants. Ce n'est pas le point de vue de la direction de l'école, qui s'arrache les cheveux en ne sachant que faire de cet enseignant qui est à trois ans de sa retraite.

Résultat, ce sont les élèves qui écopent. Ils doivent travailler deux fois plus s'ils veulent réussir leur cours. «Tout ce que je peux faire, c'est offrir une clinique de récupération le midi avec une jeune enseignante très compétente», explique le directeur de l'école sous le couvert de l'anonymat.

Les «mauvais profs» représentent une minorité dans la profession. Mais ils causent suffisamment de torts pour handicaper la réussite des élèves, bousiller le climat de travail d'une école et dévaloriser la profession.

«Il faut faire le ménage avec ce petit nombre de profs», propose Jean-François Roberge, enseignant de l'école La Chanterelle, sur la Rive-Sud. «On se souvient des mauvais profs. Ce sont des cicatrices sur notre parcours scolaire et des cicatrices, ça paraît tout le temps.»

Au Québec, contrairement à d'autres provinces canadiennes, les enseignants ne sont pas évalués. Seules de rares écoles, souvent privées, ont mis en place un programme d'évaluation dans leur établissement.

L'évaluation systématique et uniformisée des enseignants n'est pas une priorité, croit la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp. La structure administrative à mettre en place serait démesurée comparativement à la problématique réelle qui touche une poignée d'enseignants.

«Ce qui m'intéresse, c'est la réussite des jeunes à l'école, c'est qu'on diplôme plus vite. Je ne suis pas sûre que ça prenne pour cela le grand mécanisme d'évaluation de chaque professeur», explique la ministre, en entrevue à La Presse.

Trop de pouvoirs... ou pas assez?

Les conventions collectives prévoient déjà des recours, incluant de possibles sanctions disciplinaires, affirment de leur côté les syndicats.

Les commissions scolaires se sont également dotées d'un protecteur de l'élève qui reçoit les plaintes du public.

«Il y a un paquet d'encadrements qui sont nettement suffisants», affirme le président de l'Alliance des professeurs, Alain Marois.

«L'évaluation ultime, le professeur l'a tous les jours quand il se retrouve devant ses élèves. Un professeur qui ne fait pas l'affaire ne résiste pas longtemps dans une classe», ajoute-t-il.

La présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE), Manon Bernard, partage cet avis.

Les directions d'école ont tous les pouvoirs, mais elles ne les utilisent pas toujours à bon escient, souligne-t-elle. «Elles devraient faire de la supervision pédagogique auprès des enseignants. Ça fait partie de leur travail, mais il existe beaucoup d'endroits où ça ne se fait pas.»

Dans les écoles, le discours est différent. Les directeurs d'école se disent démunis.

«C'est très compliqué, tout est conventionné», souligne une directrice d'école de la Commission scolaire de Montréal sous le couvert de l'anonymat.

Pour entamer un processus disciplinaire, la direction doit constituer un dossier avec des faits précis, survenus à des moments précis. Et encore, la plupart des évaluations négatives sont systématiquement contestées en arbitrage.

Les échappatoires sont nombreuses: des enseignants partent en congé de maladie en cours de processus, d'autres démissionnent. D'autres encore changent d'école lorsqu'ils «sentent la soupe chaude». Tout est à recommencer.

Même les notes négatives inscrites au dossier de l'enseignant à la commission scolaire s'effacent après quelques mois.

Pour contourner le problème, certaines écoles privées prennent leur temps avant d'accorder sa permanence à un enseignant. Ainsi, au collège Sainte-Anne de Lachine, le titulaire doit passer par deux années de probation avant d'avoir un poste. On veut s'assurer que le «mariage» est parfait entre la personnalité du candidat et la mission de l'établissement.

Si le comité d'évaluation hésite encore après cette période, l'enseignant n'est pas engagé. «Une fois que la permanence est acquise, c'est un emploi à vie. On ne prend pas de risque. C'est long, 30 ans avec une personne moyenne», explique un membre de la direction sous le couvert de l'anonymat.

Craintes relativement au modèle américain

Alors, pour ou contre l'évaluation? Le débat reste à faire. Et pour arriver à trancher une fois pour toutes, il faudra avant tout définir les objectifs de l'évaluation.

Plusieurs enseignants sont a priori réfractaires à l'évaluation parce qu'ils craignent qu'elle ne soit directement associée aux résultats scolaires des élèves, ou que la direction puisse les congédier pour un oui ou pour un non. Certains modèles américains n'ont rien pour les rassurer.

Par contre, une évaluation formative a plus de chances de rallier davantage la profession. L'évaluation doit orienter l'enseignant vers de la formation continue afin d'améliorer la qualité de son travail.

C'est du moins ce que préconise la présidente de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement du Québec (FQDE) et signataire de la Coalition pour l'avenir du Québec, Chantal Longpré.

«Le but de l'évaluation n'est pas de congédier. Évaluer ça veut dire se mettre en progression professionnelle», dit Mme Longpré.