Pour contrer les pénuries de professeurs, le ministère de l'Éducation a délivré 342 autorisations provisoires d'enseigner depuis leur création, il y a deux ans, a appris La Presse. Gros hic: tous les gens qui les ont reçues ont dû s'engager à faire une formation en pédagogie. Or, bien des cours et stages ne se font que de jour, ce qui est incompatible avec le métier de prof.

«C'est vraiment frustrant», dit Karyne Gamelin, qui enseigne l'anglais depuis quatre ans. Comme elle a fait un bac en études anglaises - et non pas en pédagogie - elle n'a pas de permis d'enseigner. Devant la pénurie, le ministère de l'Éducation lui a accordé une autorisation provisoire, à condition qu'elle fasse un bac en enseignement.

 

Mme Gamelin a pris des cours le soir, à Concordia, mais elle sera bientôt bloquée. «Je dois faire quatre stages en enseignement, évidemment le jour», explique-t-elle. Concordia refuse qu'elle fasse ces stages dans ses propres classes, ce qui la force à démissionner de son poste pour aller les faire ailleurs, bénévolement. «C'est absurde et ça me scandalise, d'autant plus qu'on est plusieurs dans le même bateau», dénonce-t-elle.

«Les étudiants savent dès le commencement qu'ils devront faire trois semestres à temps plein, de jour», se défend Dominic Martini, directeur général du Conseil de la formation des maîtres de Concordia. «Il faut faire des sacrifices», corrobore Spencer Boudreau, vice-doyen à la faculté d'éducation de McGill, où la formation est aussi offerte de jour.

«Les universités ne sont pas adaptées à la réalité», tranche un prof détenteur d'un bac en sciences, qui enseigne cette matière sans permis depuis sept ans. Lui non plus n'arrive pas à finir sa formation en enseignement à l'UQAM, puisque plusieurs cours ne s'y donnent que de jour. «On jette facilement la pierre aux universités, réplique Marc Turgeon, doyen de la faculté des sciences de l'éducation de l'UQAM. Comment se fait-il que l'employeur n'organise pas le contrat ou l'horaire de ces personnes pour faciliter la formation si on les apprécie?»

Au ministère de l'Éducation, «on est conscients de tout ça, dit Stéphanie Tremblay, agente d'information au ministère de l'Éducation. On travaille de façon constante avec les établissements d'enseignement pour améliorer les façons de faire.»

On refuse les profs d'anglais

Il y a une lueur d'espoir: une nouvelle maîtrise menant au brevet d'enseignement a été créée, mais seulement pour les profs de français, de maths et de sciences et technologie. Offerte officieusement depuis l'automne conjointement par l'UQAM et l'Université de Montréal (elle sera officiellement lancée l'hiver prochain), elle a déjà attiré 40 candidats, qui suivent tous les cours le soir ou les fins de semaine.

L'Université de Sherbrooke fait encore mieux en offrant cette maîtrise entièrement en ligne. C'est un vif succès: 250 profs sans permis s'y sont inscrits depuis 2007, beaucoup plus que prévu, selon Luc Guay, responsable de la nouvelle maîtrise à l'Université de Sherbrooke.

Malheureusement pour Mme Gamelin, les professeurs d'anglais ne sont pas admis à cette maîtrise. «Nous sommes prêts à l'ouvrir aux autres disciplines, on sait qu'il y a une très forte demande», indique M. Guay, qui attend l'accord du ministère de l'Éducation. «Il y a peut-être une ouverture, on est en lien avec eux là-dessus», répond Stéphanie Tremblay, agente d'information au ministère de l'Éducation.

Le temps presse pour Mme Gamelin. «C'est si difficile que ça me pousse à envisager une autre carrière», dit-elle.

 

Les nouvelles autorisations provisoires d'enseigner

Ministère De L'éducation, Source:

Autorisations délivrées entre avril 2006 et janvier 2008 : 342

> À des étudiants de 4e année du bac en enseignement: 164 ou 48%

> À des profs de cégep prêts à enseigner au secondaire: 92 ou 27%

> À des gens qui ont un bac dans une matière enseignée: 86 ou 26%

Note: tous ces gens doivent terminer leur formation en pédagogie