Le premier ministre Jean Charest va plier. Après des mois de refus catégorique, le gouvernement va annoncer, d'ici deux semaines, qu'il mettra en place une enquête sur l'industrie de la construction, une «solution convenable» qui s'appuiera, surtout, sur des audiences à huis clos.

Selon les informations recueillies par La Presse, cette décision sera annoncée d'ici deux semaines, peu avant le prochain congrès du Parti libéral (PLQ) à Québec, la fin de semaine du 22 octobre. Le témoignage percutant du responsable de l'Unité anticollusion du ministère des Transports, Jacques Duchesneau, a enlevé toute marge de manoeuvre au gouvernement, explique-t-on. La sortie du commissaire de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière - qui a publiquement exprimé des réserves au sujet de la tenue d'une enquête publique -, permettra toutefois au gouvernement de baliser bien étroitement l'exercice.

Le volet huis clos sera important, mais Québec cherche une solution «mixte» où certains aspects seraient publics. Au ministère de la Sécurité publique, qui a le leadership dans ce dossier, la formule n'est pas définitivement arrêtée.

Une enquête publique tous azimuts, même avec le huis clos habituel destiné à préparer l'exercice, présente des risques importants, fait-on valoir. Un témoin peut y lancer des allégations non vérifiées, aux conséquences gigantesques: «Quelqu'un éclabousse SNC-Lavalin, ça fait le tour des médias. Même si on constate après que ce n'est pas fondé, on a fait un tort incalculable à une société qui emploie 20 000 personnes au Québec», de résumer une source proche de ces réflexions. Si ces mêmes allégations sont faites à huis clos, elles peuvent être vérifiées et le commissaire aura à décider de ce qu'il retient dans son rapport.

Pour son congrès, le PLQ a déjà prévu un atelier «pédagogique» où les ministres Robert Dutil et son collègue aux Transports, Pierre Moreau, devaient faire une présentation des orientations gouvernementales aux 2500 militants. Cette tribune servira à expliquer la décision de Québec. Il est probable qu'on n'aura pu définir tous les détails et décider, par exemple, qui dirigera la commission d'enquête - M. Duchesneau préconise un groupe de trois juges. Ces commissions à huis clos sont courantes. Dans un passé récent, la commission Moisan a accouché, en 2007, d'un rapport d'enquête sur quelques révélations de la commission Gomery qui touchaient le financement des partis provinciaux. Le juge Bernier avait aussi longuement enquêté à huis clos sur le rôle d'Option Canada dans la campagne référendaire de 1995.

«Le gouvernement ne peut aller devant les militants sans avoir fait une annonce... ou au moins faire une présentation pour expliquer l'a b c des orientations gouvernementales», a expliqué hier Ronald Poupart, vétéran de l'époque Bourassa et membre de la commission des communications du PLQ.

Hier en point de presse, le ministre Robert Dutil a tenté de faire adhérer le Parti québécois à la logique du gouvernement. Il a pressé l'opposition de reconnaître qu'il y avait des «inconvénients» à la tenue d'une enquête publique. Selon lui, «la population a le droit d'être informée», mais il faut «trouver le meilleur moyen pour le faire sans nuire à ce qui se passe sur le terrain», a-t-il dit en soulignant que M. Duchesneau avait insisté sur l'importance d'une enquête à huis clos, plus susceptible de permettre aux langues de se délier, selon l'ex-policier.

«Tout est sur la table», mais une avenue paraît exclue, toutefois. Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, a soutenu sans détour «n'avoir jamais entendu parler» de la nomination d'un «superprocureur» que le gouvernement doterait de pouvoirs extraordinaires, comme solution au problème de la corruption dans l'industrie de la construction.

Quant au «procureur spécial», des juristes du gouvernement expliquent que la solution évoquée hier par certains quotidiens ne peut être employée au Québec. L'application du Code criminel est déjà déléguée au directeur des poursuites criminelles et pénales, Louis Dionne, qui a déjà désigné un procureur-chef pour les dossiers produits par l'Unité permanente anticorruption, Me Sylvain Lépine. Le gouvernement ne peut juridiquement nommer un autre procureur au dossier. «Cette formule serait impossible à appliquer ici», explique-t-on.

Réaction péquiste

En réplique, le péquiste Stéphane Bergeron a longuement parlé d'une «commission d'enquête» sans préciser spontanément qu'elle devrait nécessairement être publique. «Si le gouvernement avait l'intention de déclencher une commission d'enquête, il pourrait compter sur notre entière collaboration», a déclaré le député de Verchères. Ce n'est qu'après que les journalistes l'eurent invité à préciser sa position qu'il a insisté sur le caractère public de l'exercice, même si le commissaire a toute la latitude de décréter le huis clos pour certains témoignages - John Gomery avait,  dans un premier temps, entendu Jean Brault, de Groupaction, à huis clos.

Selon le Parti québécois, l'enquête ne peut se limiter aux problèmes de la construction, mais doit toucher la question de l'attribution de permis, de contrats et le financement des partis politiques. Si le gouvernement décide d'aller de l'avant avec une commission, l'opposition est prête à participer à la définition des paramètres.

M. Bergeron reconnaît qu'une commission publique comporte des inconvénients. Elle risque notamment de «contaminer» la preuve obtenue de façon autonome par les policiers, car la preuve divulguée en commission ne peut servir en procès, explique-t-on.

Selon le député péquiste, le gouvernement «fait de l'esbroufe» en soutenant qu'en comparaissant en commission d'enquête, les témoins obtiennent l'immunité qui les met à l'abri des poursuites. Même devant un tribunal, un témoin n'est pas forcé de s'incriminer, rappelle-t-il. Les enquêtes aident plutôt la justice, «elles permettent de lever des lapins dont les policiers peuvent par la suite suivre la trace».

Le commissaire de l'Unité permanente anticorruption, Robert Lafrenière, devait rencontrer aujourd'hui Jacques Duchesneau. Dans le milieu de la sécurité publique, on s'attend à ce qu'il lui annonce que Québec met fin au contrat de l'ancien patron de la police de Montréal, qui devait normalement se terminer en mars prochain. Il reste à définir si cette annonce sera faite par le commissaire Lafrenière ou le ministère des Transports, qui avait embauché le commissaire Duchesneau à l'origine.

Par ailleurs, Martin Drapeau, le militant libéral qui avait, en vain, demandé un débat sur la tenue d'une commission d'enquête publique sur l'industrie de la construction, reste bien sceptique quant à la volonté du gouvernement d'aller dans cette direction.

Le PLQ va permettre aux militants de débattre de cette question à son congrès, mais M. Drapeau ne croit pas qu'«ils le fassent avec grande conviction», a-t-il soutenu hier. Le militant était celui qui avait tenté au micro, sans succès, d'amener ce débat à un conseil national, le printemps dernier. Sa proposition, faite sur le parquet de l'assemblée, était restée lettre morte, faute de «secondeur» pour l'appuyer.

«Ils ont eu l'air fous de ne pas permettre un débat là-dessus. Ils savaient que je n'aurais pas d'appui et ils n'ont rien fait», a-t-il rappelé.

À la suite du rapport de Jacques Duchesneau, M. Drapeau «souhaite qu'il y ait une enquête publique, si le gouvernement n'en déclenche pas... on va pouvoir au moins en débattre». Il préfère croire M. Duchesneau plutôt que Robert Lafrenière, responsable de l'UPAC, qui voit beaucoup d'inconvénients à cette enquête.

Selon M. Drapeau, l'enquête pourrait porter sur des cas déjà soumis aux tribunaux, «comme ça, on ne contaminerait pas la preuve». Les autorités du PLQ «savent depuis longtemps» qu'il compte participer au congrès d'octobre. Martin Drapeau n'avait pas l'intention de revenir avec une proposition formelle, «comme les allumettes, cela marche juste une fois». Mais il avait prévenu le PLQ qu'il avait l'intention d'accepter toutes les demandes d'entrevue sur le parquet du congrès et de réclamer, de nouveau, une commission d'enquête.