Depuis 2004, les administrateurs de la Commission de la construction du Québec (CCQ), y compris des représentants de la FTQ-Construction, ont dépensé 500 000$ pour assister à des congrès, a appris La Presse. Même leurs conjointes en ont profité. C'est cette pratique, entre autres, qui vient de coûter sa place au président de l'organisme, André Ménard, après 17 ans de règne ininterrompu.

Selon une source proche du dossier, sa démission devrait être rendue officielle aujourd'hui. Le Conseil des ministres devrait lui nommer un remplaçant rapidement, avant le discours inaugural de Jean Charest, a appris La Presse. Son dernier mandat, renouvelé en 2009, devait s'achever en août 2012.

Ce départ pourrait être le premier d'une longue série. Selon nos sources, Québec souhaiterait que le ménage soit fait et que les mentalités changent dans cet organisme, qui joue un rôle clé dans le secteur de la construction et auquel on reprocherait sa trop grande proximité avec la FTQ.

Tours d'hélicoptère, soupers-croisières, rien ne semblait trop beau pour les administrateurs de la CCQ lorsqu'ils se rendaient à Las Vegas, à Hawaii ou à Hollywood pour être au fait des dernières tendances en matière de saine gestion des cotisations des travailleurs de la construction à leur caisse de retraite et à leurs assurances collectives. Par exemple, une délégation pouvant comprendre jusqu'à 15 membres du conseil d'administration de l'organisme parapublic, nommés par le gouvernement, participait chaque année au congrès de l'International Foundation of Employee Benefit Plans (IFEBP).

En 2010, ce séminaire, auquel assistent surtout des actuaires et d'autres gestionnaires de fonds d'assurances, a eu lieu à San Diego, comme La Presse l'a révélé le 1er décembre.

La facture s'est élevée à 35 000$ pour cette délégation, qui comprenait notamment le président André Ménard et Yves Mercure, président de la FTQ-Construction.

Manque de transparence

En plus de refuser de communiquer ses pièces justificatives à La Presse, la CCQ a camouflé certains renseignements dans les documents qu'elle lui a remis ces derniers jours à la suite de demandes en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Par exemple, l'organisme avait caviardé le nom d'un organisme qui a offert des soupers à la délégation de la CCQ aux congrès de San Diego en 2010 et de Las Vegas en 2009. Deux fois, devant notre insistance, l'organisme a répliqué qu'il s'agissait d'une donnée «confidentielle» de nature «privée» qu'il ne pouvait divulguer. Hier, la CCQ a fini par dévoiler qu'il s'agissait du Groupe-conseil AON, multinationale d'actuaires.

Autre mystère, des dépenses considérables regroupées d'abord pour chaque congrès sous la rubrique «Événements CCQ». Elles se chiffrent à 9357$ à Hollywood en 2006, à 11 251$ à Las Vegas en 2004, etc. L'organisme a fini par avouer qu'il s'agissait de billets de spectacles, de soupers-croisières et de tours d'hélicoptère offerts aux participants et à leurs conjointes (sauf en 2010 à San Diego). Jocelyn Dupuis, l'ex-DG de la FTQ-Construction, qui doit avoir son procès bientôt à la suite d'accusations de fraude, était de certains de ces voyages (en 2004 et 2006).

La CCQ avait expliqué qu'il était fondamental que ses administrateurs se rendent à ces lieux «de réflexion et d'échanges» que sont les congrès annuels de l'IFEBP. «Il y a une grosse pression sur la gouvernance de ces régimes, avait ajouté Audrey Murray, directrice du développement stratégique de la CCQ. Ces décideurs doivent être à la fine pointe des différents enjeux.»

Même si certains administrateurs ont jugé cette formation utile et bénéfique, la ministre du Travail, Lise Thériault, ne partage vraisemblablement pas cet avis. Elle a donc convoqué André Ménard au début du mois de décembre pour lui demander des explications et une reddition de comptes. Radio-Canada a confirmé, lundi soir, qu'elle l'avait de nouveau rencontré lundi. Ces dépenses ont fait grincer des dents sur la colline parlementaire dans un contexte de restrictions budgétaires, a confié une source à La Presse.

Une chasse gardée?

Québec souhaiterait aussi, toujours selon une source au fait du dossier, s'attaquer à ce qu'il considère comme une «chasse gardée» de la FTQ et de la FTQ-Construction, en particulier pour l'attribution des certificats de qualification.

Le réseau TVA a déjà rapporté le fait que plusieurs employés et cadres de la CCQ ont des liens familiaux avec des dirigeants ou d'ex-dirigeants de la FTQ. Par exemple, le frère d'Henri Massé, Richard, est responsable de l'inspection dans les chantiers. La centrale syndicale bénéficierait aussi «d'information privilégiée» sur l'ouverture de bassins de main-d'oeuvre.

André Ménard a décliné notre demande d'entrevue, tout comme la ministre du Travail. Mais l'attaché de presse de Mme Thériault, Harold Fortin, a précisé que la ministre «souhaite une transition la plus sereine possible compte tenu du fait qu'André Ménard a donné 17 ans de sa vie à la CCQ». Le Devoir a annoncé hier que le président de la FTQ-Construction, Yves Mercure, ne se représenterait pas à son poste - une drôle de coïncidence, selon certains de nos interlocuteurs.

Le budget de la CCQ provient en grande partie des cotisations syndicales et patronales. Le reste est fourni par le gouvernement. La CCQ a obtenu de plus une rallonge de 5 millions lors du dernier budget pour lutter contre la criminalité dans la construction.

- Avec la collaboration de William Leclerc