L’objectivité journalistique fait débat. Certains la jugent inatteignable, d’autres remettent en question sa pertinence ou n’y croient pas. Et voilà que la CBC songe à lever l’obligation d’impartialité, mais pour certains journalistes seulement : ceux qui sont issus d’une minorité.

La Presse révélait en effet ces derniers jours que le pendant anglophone de Radio-Canada se montrait ouvert à une demande syndicale de ne plus pénaliser les employés qui « défendent publiquement leur humanité ou celle des autres ».

Dans le but de « démanteler le racisme structurel de la Société », on voudrait permettre aux reporters (donc pas les journalistes d’opinion) de se prononcer publiquement en faveur de Black Lives Matter ou d’un mouvement autochtone, afin qu’ils n’aient pas à « laisser leur humanité à la porte ».

Disons-le : c’est toute une pente glissante sur laquelle nous amène la CBC…

Qui décidera d’accorder ce droit au militantisme, et à qui au juste ? Dans quelles circonstances et en fonction de quels critères ?

Y aura-t-il des sujets « approuvés », comme Black Lives Matter ? Ou cela s’étendra-t-il au profilage racial ? Au financement de la police ?

Pourquoi d’ailleurs s’arrêter aux minorités victimes de racisme ? Il faudrait de toute évidence accorder le même droit aux reporters en situation de handicap ainsi qu’aux journalistes LGBTQ+ pour les enjeux qui les concernent.

Et si cette intention a pour but de ne pas nier l’expérience et l’« humanité » de certaines personnes, il faudrait également, pour être conséquent, élargir à ceux qui ne forment pas une minorité, mais dont le vécu a tout autant droit de cité, non ? Pensons aux femmes journalistes qui traitent de parité ou d’avortement.

Sinon, quoi ? On limite à certaines minorités seulement de rompre avec la sacro-sainte objectivité du métier ? Lesquelles ? Il est question des Noirs et des Autochtones, OK. Les Asiatiques aussi ? Les musulmans ? Les Acadiens ? Les Canadiens français ?

Permettra-t-on aux journalistes francophones qui œuvrent à la CBC de se prononcer sur les enjeux linguistiques ?

Heureusement, à Radio-Canada, le vice-président principal Michel Bissonnette a choisi de s’ériger contre cette intention de la CBC.

« Il faut être objectif dans un reportage, a-t-il soutenu, sinon ce n’est plus du journalisme, c’est de la chronique. »

Ce avec quoi nous sommes bien d’accord à La Presse. L’impartialité est un principe capital de la déontologie journalistique depuis un siècle : les reporters ne peuvent militer ni donner leur opinion dans leur reportage ou sur les réseaux sociaux.

Je suis bien conscient que certains doutent de l’objectivité des reporters, que des journalistes de la relève la contestent, et que d’autres estiment que c’est un idéal d’une autre époque. « La neutralité journalistique apparaît de plus en plus décalée par rapport au vécu de la population », écrit le prof de cégep Philippe de Grosbois dans La collision des récits.

Mais il est important de se rappeler que cette fameuse objectivité n’est pas et n’a jamais été l’absence d’opinion des journalistes. Les reporters de La Presse qui sont dans les autocars de campagne en ce moment ne sont pas sans opinion, et ne prétendent pas l’être : ils vont d’ailleurs voter comme tout le monde. Seulement, ils se gardent bien de partager leur avis publiquement.

L’objectivité, dans leur cas et dans celui de la confrérie, est plutôt un processus de travail. C’est une démarche professionnelle encadrée par des guides et des normes qui englobe notamment l’indépendance, la rigueur, la cueillette neutre des faits, la recherche d’équilibre et l’absence de jugement.

L’objectivité n’est donc pas un fait, c’est un idéal auquel il faut obstinément vouloir tendre, en sachant qu’on ne l’atteint jamais tout à fait.

Certains diront que les journalistes ont leurs biais, conscients et inconscients. Ce qui est vrai. Mais cela ne les empêche pas d’exercer leur métier le plus honnêtement possible.

Dans le Guide des normes journalistiques de La Presse, le mot « objectivité » n’apparaît d’ailleurs pas. On évoque plutôt la nécessité d’une démarche journalistique rigoureuse axée autour de la recherche de la vérité, de l’équité dans le traitement de l’information et, justement, de l’honnêteté.

N’est-ce pas d’ailleurs le regretté Pierre Bourgault qui disait que « l’observation incomplète et personnelle d’une situation, si elle reste aussi honnête que possible, peut être objective, à condition de ne pas prétendre qu’elle soit autre chose que personnelle et incomplète » ?

Plutôt qu’objectivité, l’ancien journaliste préférait d’ailleurs l’expression « subjectivité honnête ».

L’important, c’est que les médias offrent plusieurs points de vue, amenés par plusieurs journalistes ayant des « vécus » différents (ce travail, en cours à La Presse et dans la plupart des salles de rédaction, est incomplet, nous en sommes conscients. Et c’est pourquoi nous offrons chaque année nos bourses de la diversité, par exemple).

Les journalistes sont humains, donc imparfaits. Mais ils ont à respecter un ensemble de règles morales qui exigent une grande probité. Et ils doivent avoir une capacité à s’ouvrir et à comprendre les différents points de vue, surtout ceux qu’ils ne partagent pas. C’est la base même de leur métier.

L’objectivité est ainsi une éthique qui doit être suivie par tous les journalistes professionnels, peu importent leur sexe, leur origine et leur orientation sexuelle. Car c’est le socle même sur lequel repose notre profession.

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