Entre eux, ils s'appellent les lemmings, les limicoles, les renards, les oies, les limnos, les prédateurs aviaires... On dirait un camp scout avec ses noms de patrouilles, sauf que la quinzaine de jeunes Québécois, de 21 à 30 ans, qui ont passé plusieurs semaines cet été dans l'Arctique canadien, n'y étaient nullement en vacances. Ils travaillaient sur divers projets de recherche dirigés par des professeurs réputés. Nous avons en début d'été partagé durant quelques jours le quotidien de ces jeunes chercheurs enthousiastes: le temps de visiter leur «terrain de jeu» scientifique durant le court été arctique, une large vallée glaciaire adossée aux monts Byan Martin, partie de la Cordillère arctique, au sud-ouest de l'île Bylot.

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1- Située au nord du 73e parallèle, cette île impressionnante de beauté sauvage est un refuge d'oiseaux migrateurs, notamment pour la grande oie des neiges. L'île fait partie depuis 10 ans d'un parc national canadien - Sirmilik - («terre des glaciers» en inuktitut), troisième en superficie au pays. Les scientifiques, étudiants et professeurs, en sont les principaux «visiteurs» chaque été, en dehors des Inuits du village de Pond Inlet.

2- Le camp de base, construit en 2009-2010 en fibre de verre, a l'allure d'un refuge moderne de haute montagne à l'épreuve des intempéries. «Avant, on travaillait sous tente», explique Jean-François Lamarre, co-chef de camp, en maîtrise à l'Université du Québec à Rimouski, tout en nous faisant une visite guidée des lieux: bâtiment principal (où quelques chambres «pour VIP» jouxtent le labo), entrepôt, toilette surnommée la «chapelle», une douzaine de tentes pour dormir, le tout entouré d'une clôture électrique anti-ours polaires, même si personne n'en a vraiment vu de près au cours des dernières années...

3- Dans la vallée, parsemée de polygones de toundra, comme un vaste damier de petits étangs formés par la fonte de pergélisol, Jean-François Lamarre marche en cherchant des nids de pluviers et de bécasseaux. «Ça prend du coeur au ventre pour travailler ici et une bonne expérience de plein air n'est pas de trop», lâche-t-il en souriant. On le croit en arpentant le terrain accidenté que ces étudiants foulent jour après jour durant de longues heures, passant de zones sèches à des milieux très humides.

4- Ici, il n'y a pas d'heures pour les braves! Certains se lèvent à 6h du matin, voire plus tôt, pour des relevés, d'autres courent la toundra à 10h du soir pour trapper un lemming ou visiter des nids. Les journées sont longues. Fatigués, les chercheurs rentrent au camp après avoir couru, pendant des heures, à ramasser des échantillons de végétaux qu'ils trient le soir.

5- Les chasseurs partent à la «chasse» aux hermines dans la vallée, avec récepteur sur le dos et antenne en main. Trois trappes sont installées aux abords. Quelques minutes plus tard, une hermine curieuse est déjà prise au piège. Vaguement endormie dans un petit sac à l'aide d'un coton imbibé d'anesthésique léger, elle sera ensuite pesée, mesurée puis relâchée avec un petit collier émetteur autour du cou. En soirée, ils troqueront hermines pour lemmings afin, notamment, de leur implanter une puce électronique sous la peau du dos, à l'aide d'une seringue.

6- Karita Neghandi, étudiante en deuxième année de doctorat à l'INRS de Québec, s'intéresse avec son assistante Gabrièle Deslongchamps à l'effet des étangs de fonte de pergélisol sur le relâchement de méthane et autres gaz à effet de serre. Il faut les voir récolter leurs échantillons à partir d'un petit bateau pneumatique, plongeant les bras dans l'eau glacée!

7- Le matin, Josée-Anne Otis est chargée du «sked», l'un des deux rendez-vous radio quotidiens du monde des scientifiques de l'Arctique. Nous grimpons avec elle sur la colline pour rejoindre une petite tente isolée, au pied d'une antenne. Couchée sous la tente, elle se branche sur le canal 1, «inter-Bylot», pour prendre des nouvelles de «Bylot 2», camp secondaire de l'île, à une trentaine de kilomètres, où trois étudiants étudient l'arrivée et la nidification des oies des neiges avant leur «transhumance», à pied et en famille, vers la vallée Qarlikturvik.

8- Deux autres équipes concentrent leurs études à quelques centaines de mètres du camp dans les petits étangs formés par la fonte du pergélisol. Catherine Girard, étudiante en doctorat à l'Université de Montréal en est à son troisième été sur l'île Bylot, y étudie en solitaire les effets du mercure sur les milieux aquatiques. Tout en préparant une expérience de dépôt de toile sur une mare, elle s'exclame: «C'est un cadeau d'être ici, une expérience exceptionnelle. On travaille fort mais on aime tellement la science», ajoute celle que ne rebute pas le fait de venir faire des relevés toutes les six heures, chaque jour et nuit, au bord de «son» étang.