Le Québec fait partie des champions canadiens lorsqu'il s'agit de sous-traiter à des firmes privées l'inspection d'infrastructures de transport qu'elles ont parfois bâties elles-mêmes. Dans la foulée de l'effondrement sur l'autoroute 720, des ingénieurs gouvernementaux réclament que l'État reprenne davantage le contrôle de cette tâche cruciale.

Le ministère des Transports a confirmé lundi que 90% des inspections des structures sont réalisées par des firmes de génie-conseil, contre à peine 10% pour les inspecteurs gouvernementaux. Sur 975 ingénieurs formés à cette tâche au Québec, 239 travaillent au Ministère et 736 travaillent dans le secteur privé.

En comparaison, l'Ontario sous-traite 50% des inspections en 2011, soit 40% de moins qu'au Québec, selon une porte-parole du ministère ontarien des Transports.

Le Nouveau-Brunswick, quant à lui, fait réaliser la grande majorité des inspections par des ingénieurs du gouvernement. «Il y a des fois où nous engageons des consultants pour des études en profondeur, mais généralement, la majorité est faite par nos inspecteurs», confirme Jean-François Pelletier, porte-parole du ministère des Transports de la province maritime.

En Colombie-Britannique, le ministère des Transports n'était pas en mesure de fournir des chiffres précis hier, mais il affirme que le portrait est équilibré. «Nous utilisons un panel d'inspecteurs du Ministère et du secteur privé», explique le porte-parole Jeff Knight.

Garder l'expertise

Depuis des années, les ingénieurs gouvernementaux québécois s'inquiètent de ne pas voir assez de leurs collègues sur le terrain et jugent la situation potentiellement dangereuse. Déjà, en 2008, une vingtaine d'entre eux ont écrit au premier ministre Jean Charest pour l'informer que le manque de personnel qualifié au gouvernement pourrait représenter une menace pour la sécurité publique. Depuis le dévoilement de leur lettre par l'émission Enquête de Radio-Canada, la situation n'a pas beaucoup évolué, déplore le président de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec, Michel Gagnon.

«Ce n'était pas le syndicat qui le disait, c'étaient des gars avec des maîtrises en acier et en béton, à la direction des structures, qui disaient que, de leur avis d'ingénieurs, le personnel n'était pas assez nombreux et qu'en vertu de leur code déontologique, ils devaient en informer M. Charest», raconte-t-il.

Les ingénieurs du secteur privé demeurent des ingénieurs soumis au même code déontologique, souligne M. Gagnon. Le problème pour lui n'est pas la qualité de leur travail, mais la perte d'expertise au sein de l'appareil étatique. Sur un chantier, l'entrepreneur n'a pas le droit d'improviser. Toute technique de travail doit être approuvée par l'ingénieur responsable. Celui-ci est l'ultime responsable de la réalisation des travaux conformément aux plans.

«Ce que les ingénieurs disent, c'est que c'est important pour eux de connaître leur réseau routier et d'avoir une bonne expertise en interne. S'ils ne font plus d'inspections, il y a une perte d'expertise. Et quand on est propriétaire, tout va passer sur notre dos, peu importe s'il y avait des entrepreneurs et des consortiums sur le terrain», affirme M. Gagnon.

Selon lui, il faudrait «sans aucun doute» que les inspecteurs du Ministère reprennent aux firmes privées certains mandats d'inspection et de surveillance. Il déplore d'ailleurs qu'une part trop importante des budgets du Ministère soit consacrée à la conception et à la construction de nouvelles routes, alors que le réseau actuel montre un criant besoin de réfection.

Le consortium reste muet

Pour ce qui est des travaux de démolition effectués par la firme Laco Construction sur les murs de l'autoroute au moment de l'effondrement, la surveillance était assurée par un consortium de trois firmes de génie-conseil, CIMA+, Dessau et SNC-Lavalin. Celles-ci avaient obtenu un contrat gouvernemental de gré à gré d'une valeur de 1,8 million de dollars en 2010.

À la suite d'un appel d'offres, un mandat de contrôle de la qualité des travaux avait été aussi accordé à Groupe Qualitas, une filiale de SNC-Lavalin, pour un total de 200 000 $. C'est aussi SNC-Lavalin qui avait réalisé l'inspection de la structure en 2008 et produit un rapport décrivant l'état « critique » de la structure. Celle-ci avait été construite dans les années 70 par la firme Lalonde, Valois, Lamarre, Valois et associés, qui deviendra plus tard SNC-Lavalin.

Une porte-parole du consortium CIMA+, Dessau et SNC-Lavalin, Leslie Quinton, a renvoyé toute question au ministère des Transports, qui poursuit son enquête.

L'attaché de presse du ministre Sam Hamad ne nous a pas rappelés pour commenter la question de la sous-traitance des inspections.

- Avec André Noël