On n'oublie jamais l'Inde quand on l'a visité. Moi, c'était au printemps 2008. Je me souviendrai toujours à quel point j'y ai testé mes limites.

Combien j'ai pu affranchir ma tolérance à la fatigue, à la chaleur, développer ma capacité à lâcher prise face aux retards des trains et bus, trouver la force de garder mon calme dans les bains de foules, de rire étouffé dans les odeurs de merde et d'urine mêlées aux parfums d'épices, de fleurs, d'encens. D'endurer la soif, la faim, les mouches, les cafards, les crachats, les pets, les rots et défécations en public, d'accepter les petites arnaques et usurpations, de voir et entendre les enfants qui quêtent avec trop d'insistance au son des klaxons tonitruants...

Vraiment, l'Inde nous teste constamment... Puis au moment où on croit qu'on va casser, que la coche va péter, l'Inde vient nous charmer avec ses nombreuses et incomparables merveilles: son peuple, sa gentillesse, ses sourires, ses paysages, ses couleurs, ses animaux, sa musique... sa vie, quoi!

Ce sous-continent est fascinant, déroutant, dérangeant; il y a tellement de faces à découvrir et à comprendre dans cette culture si différente de la nôtre... À gaver nos sens d'occidentaux bouffis.

Un de mes coups de coeur en Inde : Varanasi, ville sainte sur le bord du Gange.

Photo: Marie-Pier Veilleux

Yann avec un saddhu dans un rue de Varanasi

Varanasi

Varanasi est une ville sacrée. Le Gange qui symbolise les cheveux de Shiva a une fonction purificatrice. Selon les mythes hindous, se faire incinérer à Varanasi c'est rompre le cycle des réincarnations et accéder au Nirvana. La frénésie religieuse a encore plus sa place ici qu'ailleurs en Inde.

Dans le petit monde des voyageurs, Varanasi est auréolée d'une aura mystique. Il y a une «énergie» dans cette ville. Qu'en est-il exactement ? Honnêtement, on a été secoués.

D'abord le côté bédé avec ses palais décatis, comme reflets d'une splendeur d'antan. La lumière brumeuse du petit matin qui semble isoler la ville.

Ensuite le cirque coloré le long des ghats (quais), ces escaliers qui longent le Gange sur près de 7 km. On y vient pour prier, se laver, se purifier, se raser (les femmes pèlerins font don de leurs cheveux au fleuve), jouer au cricket, laver son linge, faire l'aumône aux saddhus, pratiquer le yoga, faire sécher des bouses de vaches... ou simplement regarder la vie qui déroule. On y entend pêle-mêle de la musique pop hindi, le bruit des conques et des cloches agitées lors des prières.

Photo : Marie-Pier Veilleux

Vue sur le bord du Gange, Varanasi

Photo: Marie-Pier Veilleux

Lever de soleil sur le Gange

Le Gange

Sur 7 km, 30 égouts déversent les déchets de 2 millions de personnes. Le Gange est carrément étouffé par la pollution.

Voir des centaines de gens plonger la tête dans cette eau pour se purifier donne froid dans le dos. Des plastiques, des ordures sont déversées dans le fleuve recouvert à certains endroits d'une nappe huileuse. Rassurez-vous, comme nous le dit notre batelier : «Seule la surface est sale, en dessous le Gange est pur» ! Yeah right.

Les rues de Varanasi peuvent aussi donner la nausée. Tous les dix mètres une poubelle en plein air, une bouse, une odeur nauséabonde et des mouches qui se réjouissent. Il faut fermer la bouche et se boucher le nez : apnée temporaire salutaire!

Et malgré tout, Varanasi reste fantastique !

Photo: Marie-Pier Veilleux

Deux jeunes indiennes sculptant des boulettes à brûler avec du caca de vaches

Bûchers funéraires

Accompagné d'une fanfare, un cadavre est apporté près du ghat Manikarnika, ghat crématoire de Varanasi. Les crémations se font en plein air devant les badauds : touristes affolés et indiens désoeuvrés.

La famille du mort est grave, mais ne montre pas son chagrin. L'événement est très lent, sans rituel, sans mise en scène de la mort, sans prêtre.

Enveloppé de tissu et papiers dorés, recouvert de colliers de fleurs, le cadavre est plongé dans l'eau purificatrice du Gange et déposé sur le bûcher.

Photo: Marie-Pier Veilleux

Bûcher funéraire

Un spectacle surréaliste

Au travers de la fumée blanche qui s'échappe du bûcher, on voit soudain un pied en l'air. Parfois les bras calcinés s'élèvent vers le ciel. Une autre fois, une tête chauve restée accrochée à un corps incandescent.

L'odeur, un mélange de plantes odorantes, de charbon de bois et de chairs brûlées déclenche les hurlements des chiens qui espèrent un morceau de viande.

Des visions sidérantes : des enfants lavent énergiquement du linge, la poussière de cendre se déposant sur les vêtements qui sèchent. Une brochette d'hommes regarde nonchalamment les bûchers en se brossant les dents dans l'eau du Gange. Un clébard qui enterre un os tombé ou cette chèvre qui vient manger les fleurs tombées du bûcher en flammes.

Impossible de rendre compte du choc, mélange de sensations fortes, de voyeurisme, d'écoeurement et d'émerveillement.

On ne pourra plus jamais faire un Barbecue comme avant.

Je terminerai mon récit en reprenant la phrase de Monsieur Viau dans RBO: «Oui, Varanasi on y va, mais pas avec n'importe quelle agence!».

Photo: Marie-Pier Veilleux

Yann jouant au Cricket avec de jeunes Indiens