J'ai grandi sur le bord du St-Laurent, à Ste-Geneviève-de-Berthier. D'une certaine manière, c'est lui, le fleuve, qui m'apprît à nager, à m'élancer dans la vie. Je m'imagine encore, petit gamin admiratif à la vue des paquebots géants qui passaient derrière chez-nous. Je les savais conduis et habités par des marins courageux et aventuriers. Comme ce que j'ai toujours voulu être, à ma façon...

Histoire d'un petit mousse

Je devais avoir quatre ou cinq ans. Mon frère, de douze ans mon aîné, avait loué une chaloupe avec deux de ses potes, et avait décidé de m'amener sur l'eau pour me faire vivre ce qui allait devenir un moment-phare dans les souvenirs de ma tendre enfance.

Je revois encore mes deux soeurs, un peu plus âgées qu'eux, protester en les regardant apprêter la petite embarcation, s'inquiétant des dangers possibles de l'escapade.

Une demi-heure de négociation plus tard, elles me crémaient comme une tartine de Coppertone, me priant de bien surveiller les grands. Elles ne diraient pas un mot à nos parents absents cette journée-là, à condition de rentrer avant le coucher du soleil.

Surfin'bird

Ah! Quelle sensation de voguer sur les flots agités du fleuve! Vêtu d'un T-shirt du Manic, d'un short des Canadiens, d'une casquette des Expos et d'un gilet de sûreté, je me faisais venter, installé tête haute, à la pointe du seize pieds kaki! Tout l'après-midi, nous avions navigué à l'intérieur du labyrinthe de chenaux formé par les splendides Îles-de-Berthier.

Vers les 17h00, l'équipée décidait de filer vers la rive sud afin d'aller casser la croûte; nous allions accoster au quai d'une marina dans la région de Sorel.

Trop jeune pour avoir peur

Près d'une piscine, plusieurs jolies femmes en bikinis dansaient au son de la disco, les hommes jouaient au volleyball et aux fers en buvant des verres. Mes gardiens avaient l'air de bien apprécier l'endroit.

Moi aussi! Seul marmot dans la place, je profitais du chaud soleil en me laissant gâter par ces dames, me gavant de hot-dogs, de frites et de boissons gazeuses.

Au crépuscule, nous remontions à bord de notre petit bateau. Mon frère, le seul toujours apte à tenir le moteur, me couvrit d'une serviette de plage et enleva son gilet pour m'en faire un oreiller. Je commençais à trouver l'expédition un peu bric-à-brac, mais réussis néanmoins à m'assoupir à ses pieds.

Rêver éveillé

Je ne saurais dire combien de temps ma sieste dura, mais quand je repris connaissance, nous étions en train d'escalader l'échelle d'un gigantesque paquebot ancré au beau milieu du fleuve. Des marins italiens, nous croyant perdus, avaient fait signe d'accrocher notre minuscule embarcation à leur énorme navire.

Une fois à bord, un des officiers parlant un français approximatif comprît que nous étions en randonnée, simplement. Il nous proposa alors de visiter le transatlantique.

Wow! Je crois n'avoir jamais été aussi excité de ma vie de bambin; oui, Goldorak, Albator, le Petit Castor assuraient, mais ils n'étaient rien comparés à ces gaillards aux pifs rouges qui parlaient une drôle de langue et qui dormaient dans des lits plus petits que le mien.

Notre tournée se termina à la salle à manger où l'équipage s'attaquait au petit-déjeuner; il devait être minuit...

Deux matelots interrompirent leurs repas pour nous aider à redescendre afin de retrouver notre chaloupe.

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Une demi-heure plus tard, nous arrivions à la marina de mes parents dans les cris et pleurs de mes soeurs paniquées.

Aussitôt les pieds sur le quai, elles me prirent dans leurs bras, m'embrassant à qui mieux-mieux.

Le petit bonhomme éberlué était accueilli en héros, de retour, sain et sauf, d'une grande aventure.

À cet instant, je réalisai l'ampleur de l'exploit et entendit une voix intérieure me confirmer que, oui, j'allais devenir un grand marin et vivrait d'amour, d'eau douce (parfois forte!) et de voyages fous.

Cette nuit-là, la seule question qui me prit la tête: pourquoi les marins italiens ne mangent-ils pas leur petit-déjeuner au matin comme tout le monde?

Et pourquoi cette histoire?

J'ai passé le week-end dernier à St-Ignace-de-Loyola, une des 103 îles de ce merveilleux archipel du fleuve St-Laurent. Ma soeur aînée y vit et nous a reçus, toute la famille, pour un week-end ski nautique, piscine et barbecue.

Famille + fleuve = retour aux sources = bonheur = j'exulte et je raconte mes plus belles histoires!

Les splendides Îles de Berthier-Sorel

Chaque fois que je passe dans ce coin de mon patelin natal, la beauté me scie en deux. C'est simple, à certains endroits, on se croirait dans les bayous de la Louisiane... Sans alligators, ni serpents!

À savoir:

-En 2000, la Réserve mondiale de la biosphère du Lac St-Pierre a été inaugurée sous l'égide de l'UNESCO. C'est l'une des six réserves mondiales de la biosphère au monde.

-Aujourd'hui, plus de 90% du territoire de chenaux et de marais des îles conservent leur état sauvage et naturel.

-On y dénombre environ 80 espèces de poissons, 30 espèces de plantes rares et 290 espèces d'oiseaux, dont une douzaine sont jugées menacées.

-Ces Îles hébergent la plus importante halte migratoire de sauvagines et la plus grande héronnière en Amérique du Nord.

Évidence

À seulement une heure de Montréal, deux heures de Québec et trente heures de New Orleans... Vous seriez imbéciles de passer à côté sans vous arrêter.

Photo: Isabelle Perreault, collaboration spéciale

Yann Perreau