Souvent, photographies et réminiscences ne suffisent pas. Qui ne rapporte pas dans ses bagages un bibelot, un vêtement ou une boisson locale? Même à l'ère où tout devient virtuel, ces petits (ou gros) objets rapportés de voyage restent en vogue. Pourquoi? Pistes de réflexion.

L'OBJET QUI RACONTE UN VOYAGE

Qu'y a-t-il de plus immatériel qu'un voyage? Images, saveurs, chaleurs, rencontres: autant de fragments précieusement conservés dans nos mémoires d'explorateurs. Pourtant, le besoin impérieux de glisser dans notre sac un petit bouddha de bois ou un sari indien nous saisit presque systématiquement à l'heure de quitter des contrées lointaines. À tel point que l'on ne s'interroge même plus sur ce réflexe, cultivé depuis des lustres. Alors, qu'est-ce qui nous pousse à glaner ces «bouts du monde», qu'ils soient kitchs ou majestueux?

Extensions multiples

Pour l'anthropologue Vincent Fournier, ils sont avant tout des extensions, et ce, à plusieurs points de vue. «Les objets qui nous entourent constituent des cadres de signification qui donnent du sens à ce que l'on fait, où l'on est. Ils sont des extensions de nous-mêmes et une partie de notre identité. Le souvenir de voyage est le symbole d'une expérience, d'un vécu», expose celui qui enseigne à l'UQAM. Une extension identitaire, mais aussi temporelle. «Souvent, l'expérience d'un voyage est relativement courte, s'étend sur une semaine ou deux. Rapporter un objet va nous permettre, par la suite, de revivre, d'arrêter le moment et de le conserver», poursuit-il, en soulignant que l'expérience vécue ou recherchée va influencer le type d'objet rapporté: «Si on va voir des paysages, on va peut-être simplement rapporter une roche. Si on va dans un tout-inclus dans le Sud, on va rapporter deux bouteilles de rhum. N'essaie-t-on pas de rapporter avec soi une partie de l'expérience?»

«Les objets représentent pour moi une histoire: soit celle où j'ai échangé avec le ou la vendeuse, souvent en négociant, soit les moments marquants de mon séjour, indique Nathalie Sentenne, voyageuse assidue et professeure de science politique. Avant, je rapportais plus de souvenirs pour décorer les murs, mais avec le temps, j'essaie de me limiter à de petits objets comme un bijou spécifique au pays.» Le rôle d'extension des souvenirs va aussi se réaliser dans le dialogue, comme autant de réservoirs à aventures et à anecdotes à raconter à ses proches. «Quand je porte un bijou acquis ailleurs, cela engage souvent de beaux échanges sur le pays en question», illustre Mme Sentenne.

Une preuve, un rituel

Autre fonction primordiale de l'objet-souvenir : il constitue une preuve matérielle et symbolique d'un voyage, autant pour nous-mêmes que pour les autres. Ainsi, même si certains séjours s'apparentent à des rêves, ce masque africain ou cette petite tour Eiffel sont là pour nous assurer de ce vécu. «Ces objets sont fabriqués pour fossiliser une expérience et en devenir les preuves», écrit la chercheuse et ethnologue Véronique Dassié, dans Objets d'affection: une ethnologie de l'intime. Leur accumulation peut même dénoter un petit côté ostentatoire. «D'un coup d'oeil, quelqu'un peut regarder son étagère et se dire: "Je suis un grand voyageur", tout comme cela peut être montré aux autres», relève M. Fournier. Une preuve qui peut même s'insérer dans le cadre d'une ritualisation, là encore pour soi-même ou pour autrui. «Pour moi, rapporter des souvenirs, cela va de soi, indique Nathalie Sentenne. Aussi, je rapporte systématiquement à mon père une bière de chaque pays visité. C'est une tradition. Et pour mes proches, je continue à envoyer des cartes postales, ce qui constitue un souvenir, en quelque sorte.»

Les réseaux sociaux, ces trouble-fêtes

Justement: Facebook, Instagram et compagnie sont venus brouiller les cartes. Et surtout en ce qui a trait aux cartes postales. «C'est probablement l'un des objets touristiques les plus chamboulés par les réseaux sociaux. De même que les photographies, qui faisaient aussi partie des objets: on rapportait des pellicules, on les présentait, on ritualisait des soirées », note Vincent Fournier. Il cite également de nouveaux comportements permis par le numérique, comme le fait d'avoir davantage tendance à photographier un objet exotique pour simplement le diffuser, plutôt que de l'acquérir ou de l'offrir. «Aujourd'hui, on a aussi la possibilité de l'acheter en ligne après son voyage, pour ne pas avoir à le transporter pendant ses déplacements.» Le partage numérique aurait-il pris le pas sur le partage «physique»?

L'authenticité, un impératif?

Même si l'acquisition de souvenirs se pratique depuis des siècles, depuis les premiers explorateurs, l'industrialisation et la consommation de masse sont entre-temps passées par là. Et, bien que le commerce du souvenir soutienne encore des pans entiers des économies locales, bon nombre de bibelots sont fabriqués en Chine avant de se retrouver sur les étals du monde entier. Pas idéal pour les voyageurs obsédés par l'authenticité! D'autant plus qu'ils aiment broder dans le cliché; il n'y a qu'à voir les castors et bibelots pseudo-amérindiens vendus dans les boutiques de souvenirs du Vieux-Montréal.

Ugo Monticone, écrivain, conférencier et grand voyageur, a pour sa part tout simplement cessé de rapporter des souvenirs. «J'avais l'habitude d'acheter des vêtements traditionnels que finalement je ne porte jamais, et des souvenirs qui finissent comme ramasse-poussière. Alors c'est fini! tranche-t-il. De plus, le souvenir typique est devenu une industrie qui parfois tue la culture locale. Je suis à Bali et le souvenir qui se vend le plus est un ouvre-bouteille en forme de pénis en bois... Ça n'a rien à voir avec la culture locale, mais puisque les Australiens en achètent, les sculpteurs locaux en fabriquent...»

Mais, dans le fond, le souvenir, quel qu'il soit, et même made in China, ne remplit-il pas toujours sa fonction d'évocation? «L'authenticité est une construction. Certains objets peuvent être frappés d'inauthenticité, mais pas aux yeux de ceux qui les achètent. Le fait qu'un t-shirt "I Love NY" soit fabriqué en Chine n'est peut-être pas si important pour eux», conclut M. Fournier.

Réinventer le souvenir, un vrai défi

L'objet-souvenir est tellement ancien que sa réinvention donne du fil à retordre aux villes touristiques. En 2011, la Ville de Montréal a lancé le catalogue Code Souvenir, vitrine pour les designers locaux, appelés à suggérer des créations de cadeaux d'entreprise ou grand public représentant Montréal. «C'est un enjeu qui n'est pas évident à gérer. Les créateurs ont des idées, même si on trouve souvent les mêmes thématiques, comme le skyline de Montréal», indique Béatrice Carabin, commissaire au design au Bureau du design de la Ville de Montréal. Le défi principal reste de créer un souvenir qui réponde à des critères précis (transportable, emblématique, durable, etc.) tout en faisant preuve d'originalité... mais sans forcément esquiver les clichés. «On ne va pas chercher absolument à les éviter dans la mesure où certains peuvent être intelligemment retravaillés ou revisités, comme le coussin Castor de Velvet Moustache», indique Mme Carabin. Le catalogue 2018-2019 Code Souvenir Montréal vient tout juste d'être publié.

Photo Sylvain Sarrazin, archives La Presse

Étal de souvenirs à Pingyao, en Chine

DES SOUVENIRS QUI PEUVENT EN LAISSER DE MAUVAIS

Certains objets peuvent être charmants ou tentants, mais peuvent aussi attirer bien des ennuis. Que ce soit pour des motifs de dégradation, éthiques ou environnementaux, les exemples suivants ne devraient pas atterrir dans vos bagages, d'autant plus que les autorités locales et les agents des douanes veillent au grain.

Archéologie et monuments

Tenté de rapporter un petit bout du Machu Picchu? Non seulement cela dégrade le monument à petit feu, mais en plus, on s'expose à de lourdes sanctions.

Parcs naturels

Ce n'est pas parce que pierres et bouts de bois se retrouvent en pleine nature qu'ils peuvent être déplacés ou emportés. Bon nombre de parcs nationaux, comme celui de Petrified Forest, en Arizona, l'interdisent. Pris la main dans le sac? L'amende s'élève à 325 $US. Dans le même ordre d'idée, le ramassage de sable, galets et coquillages est surveillé et prohibé dans certaines zones, comme en Normandie, aux Seychelles ou en Sardaigne.

Contrefaçons

Certains pays ont fait des contrefaçons... leur marque de commerce. Bon marché, le maillot griffé de l'équipe nationale de soccer? Pas si un douanier canadien l'intercepte.

Limites douanières

Attention aux restrictions légales, notamment alimentaires. N'oubliez pas la limite concernant l'alcool: une seule grande bouteille de rhum cubain et la limite est déjà atteinte...

Espèces protégées

Attention à certains matériaux (comme l'ivoire) et aux espèces protégées ou en voie d'extinction. Acquérir un charango fabriqué avec une carapace de tatou n'est pas la meilleure des idées.



Photo archives Reuters

Non seulement emporter des fragments de sites archéologiques entraîne une dégradation, mais cela peut aussi valoir de lourdes sanctions à celui qui se fait prendre la main dans le sac.