Une télécabine qui tombe et une montagne fermée par les autorités… Le début de saison a été catastrophique au Mont-Sainte-Anne. D’anciens abonnés dégoûtés font même des appels au boycottage. Mais est-ce toujours agréable de skier à Sainte-Anne, qui a rouvert dimanche ? La Presse est allée sur place vendredi pour tenter d’élucider la question, dans une poudreuse à fouetter les cuisses.

(Beaupré) Vendredi matin, la neige et le vent balaient Québec. À la radio, on annonce que les commissions scolaires sont fermées. C’est l’heure de partir. Direction : Mont-Sainte-Anne.

On emprunte l’autoroute Dufferin-Montmorency, encore plus vide qu’à l’habitude. Environ 40 minutes plus tard, elle apparaît dans le blizzard, cette montagne qui fait couler l’encre depuis des années au point d’être renommée Mont-Sainte-Panne par certains détracteurs.

L’exercice de La Presse est simple ce matin : chausser les skis et dévaler les pentes renommées de cette station qui se targue d’offrir le troisième dénivelé de la province, mais aussi parler à des habitués qui ont choisi de skier à la montagne malgré les controverses.

« Il n’y a rien de comparable au Mont-Sainte-Anne dans la région de Québec en matière de diversité des pistes, lance Andrée, retraitée rencontrée dans le télésiège quadruple L’Express du Sud. Même le Massif, pour moi, ce n’est pas pareil. »

« Bien sûr, il faut que les gondoles fonctionnent, mais vous savez, en toute honnêteté on est habitués, ça fait des années qu’elles ont des problèmes. »

La chute le 10 décembre dernier d’une télécabine, ou d’une gondole comme on dit à Venise, a mené à la fermeture de la station. La Régie du bâtiment du Québec a donné le feu vert à la réouverture le 7 janvier, mais a interdit l’opération de la fameuse Étoile filante.

PHOTO GABRIEL BÉLAND, LA PRESSE

L’Étoile filante, qui permet de rejoindre le sommet à partir de la base, est fermée pour la troisième fois en quatre ans.

La télécabine fermée, les skieurs doivent donc emprunter deux télésièges en début de journée pour se rendre au sommet, L’Express du Sud puis La Tortue.

Dans la file pour L’Express du Sud à 8 h 45, 15 minutes avant l’ouverture, se retrouvent les passionnés de poudreuse. Ils veulent être les premiers à dévaler les pentes vierges. Des habitués racontent qu’ils ont pris congé.

« Mon boss semblait correct avec le concept en novembre, mais aujourd’hui il la trouve moins drôle », rigole un skieur.

Rendu en haut, il faut ensuite emprunter La Tortue. Le télésiège quadruple a connu de meilleurs jours depuis son inauguration en 1986. En temps normal, L’Étoile filante – la télécabine – fait le travail de ces deux remontées et mène les skieurs tout en haut.

« Ouais, c’est pas fameux, devoir prendre deux chaises pour se rendre au sommet, mais en vérité, tu ne dois pas le faire souvent dans ta journée », lance Pierre, rencontré dans La Tortue.

Dans les pistes, les skieurs sont aux anges. Une poudreuse comme celle de vendredi matin, c’est rarissime. Certains tombent quand leur fixation lâche sous le poids de la neige et disparaissent dans un nuage de poudreuse.

Les appels au boycottage se multiplient

Vendredi, quand on a appelé au service à la clientèle pour acheter un billet – 109,46 $, avec les taxes ! –, la téléphoniste s’est excusée de l’attente.

« Avec la neige qui s’en vient, ils veulent tous se réabonner », lâche l’employée. Le laissez-passer de saison à Mont-Sainte-Anne coûte aujourd’hui 1818 $ plus taxes (c’est moins cher s’il est acheté plus tôt dans l’année).

Le début de saison désastreux de la station a poussé des skieurs à annuler leur abonnement. Certains appellent même au boycottage de la montagne pour forcer le gestionnaire actuel, Resorts of the Canadian Rockies (RCR), à vendre la montagne.

« Le MSA est ma montagne préférée, mais si vous souhaitez que ça change, cessez d’écrire ici et posez un geste concret pour que les choses changent : skiez ailleurs », a récemment écrit Étienne dans un groupe Facebook de skieurs insatisfaits.

Un récent sondage Léger commandé par le groupe Les Amis du Mont-Sainte-Anne – qui milite pour un changement de gestionnaire – révèle que 80 % des répondants de la grande région de Québec sont favorables à une intervention du gouvernement pour forcer un changement de gestionnaire⁠1.

Avant de partir vendredi, petit coup de fil à Jean-Luc Brassard. La légende vivante des bosses connaît bien les stations du Québec. On veut comprendre pourquoi le Mont-Sainte-Anne, peut-être plus que toute station au Québec, suscite autant les passions.

« Le potentiel de Sainte-Anne est extraordinaire. Il y a tout à faire », lâche Brassard au bout du fil, en référence à ce dénivelé généreux, cette vue sur le fleuve à couper le souffle et cette proximité de Québec.

Selon Jean-Luc Brassard, le secteur expert de Sainte-Anne reste son attrait principal, l’atout dans sa manche.

Le MSA est encore perçu comme la montagne au Québec avec les pistes damées les plus relevées. Tout le côté gauche, la Saint-Laurent, la S, la Crête… Ce sont des pistes dans lesquelles on ne peut pas se laisser aller. Il y a déjà eu des championnats canadiens dans ces pistes-là.

Jean-Luc Brassard

Parlons de la Saint-Laurent, une piste abrupte qui, lorsqu’elle est pleine de neige à craquer comme vendredi, donne une envie soudaine à vos cuisses de démissionner et de partir sur-le-champ pour Punta Cana.

Des airs vieillots

Mais malgré ces bons mots, et malgré la beauté indéniable de la montagne, Brassard partage plusieurs des critiques des Amis du Mont-Sainte-Anne. La station a « perdu de son lustre », les remontées sont vieillissantes, les investissements sont rares…

« Le nouveau télésiège quadruple dessert le secteur expert. Mais dans une drôle de décision qui s’explique difficilement, ils ont changé l’orientation de l’ancien télésiège. Il faut maintenant faire un pèlerinage de ski de fond pour se rendre aux pistes expertes. »

Il parle aussi du fameux chalet de la Crête, laissé à l’abandon depuis 10 ans. « Il y a là un panorama extraordinaire ! », se désole Brassard.

Le vieux chalet placardé a mauvaise mine au sommet. La station a installé des panneaux pour en interdire l’accès, prévenir les récalcitrants de la présence de caméras. La scène a des airs de station balnéaire abandonnée.

PHOTO GABRIEL BÉLAND, LA PRESSE

L’ancien chalet de la Crête a été fermé en 2012. Depuis, il est laissé à l’abandon.

Et le chalet de la base, d’où le journaliste écrit ce texte, ne pèche pas non plus par excès de modernisme. Mais il est plein à craquer aujourd’hui, preuve que, malgré les scandales, une télécabine qui tombe et les appels au boycottage, cette montagne unique reste magnétique. Surtout un jour de poudreuse.

Jean-Luc Brassard est convaincu que RCR et le gouvernement sont condamnés à s’entendre sur un plan de réinvestissement. C’est toute la région de Québec et même Le Massif qui souffrent selon lui du statu quo. Il rêve par exemple d’un hôtel au sommet pour permettre à RCR de rentabiliser la station et de réinvestir.

« Plusieurs touristes ont délaissé Québec dans les dernières années. On ne peut pas laisser Sainte-Anne aller comme ça. »

1. Sondage réalisé avec un panel d’internautes de Léger. La collecte des données s’est déroulée du 6 au 8 janvier 2023 inclusivement, auprès de 502 résidants.

Trois évènements en quatre ans

L’évènement du 10 décembre est le troisième en quatre ans sur L’Étoile filante. En 2020, un arrêt brusque avait fait 21 blessés. « Un homme a carrément été expulsé de la cabine. Il était suspendu la tête en bas. On a essayé de le retenir. Il a réussi à réintégrer la cabine. Je pense qu’il l’a échappé belle ce jour-là », s’est récemment souvenu le skieur Jacques Hardy, qui était dans L’Étoile filante ce jour-là.

RCR a conclu que l’évènement avait été causé par une « variation de tension sur l’alimentation électrique » d’Hydro-Québec.

La télécabine avait rouvert le 1er mars 2020 pour refermer le 11 mars après un épisode similaire, qui n’avait toutefois pas fait de blessé. Elle était ensuite restée fermée un an.

RCR avait investi 1,5 million dans la télécabine en août 2021. Elle avait rouvert en décembre, puis fonctionné sans évènement majeur toute la saison passée. Puis le 10 décembre, une télécabine est tombée. La remontée est fermée depuis ce jour, sans date de réouverture prévue.