Les touristes à Paris qui prévoient à leur itinéraire une promenade dans les allées des cimetières du Père-Lachaise ou du Montparnasse sont nombreux. En vacances dans la province, avez-vous déjà visité les tombes de Québécois disparus ? Dans certains de ces lieux à la fois fascinants et inquiétants, des guides offrent de vous accompagner. En ce mois des morts, notre journaliste vous convie à une balade au cimetière.

Promenade chez les défunts

Les feuilles tombées des arbres entourant le cimetière craquent sous chacun de nos pas. En cette fin d’après-midi d’automne, le soleil éclaire les monuments disparates du Compton Cemetery d’une douce lumière. Le calme règne dans ce grand espace bordant l’ancienne église anglicane de la petite municipalité estrienne. Si nous n’avions pas été accompagnée de notre guide, Jeanmarc Lachance, président de la Société d’histoire de Compton, aurions-nous osé franchir le portail métallique ? Peut-être pas.

PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

Quelques monuments au Compton Cemetery

Cette hésitation à l’idée de pénétrer dans un cimetière, nous ne sommes pas seule à la ressentir, confirme Ève L’Heureux, vice-présidente de deux organismes qui œuvrent pour la sauvegarde du patrimoine funéraire au Québec, soit Pierres Mémorables et l’Écomusée du patrimoine funéraire et commémoratif.

« C’est vrai qu’il y a une certaine gêne lorsqu’on entre dans un cimetière. On a l’impression d’être des intrus dans un endroit très, très privé. Pourtant, les cimetières sont des endroits faits pour être visités. »

S’il semble incontournable de s’arrêter au cimetière du Père-Lachaise lorsqu’on voyage à Paris ou de déambuler dans les cimetières-jardins des grandes villes américaines où l’on séjourne, pourquoi, au Québec, fréquente-t-on si peu les lieux où reposent nos ancêtres ?

L’explication est en partie sociologique, avance Pascale Marcotte, directrice du certificat en tourisme durable à l’Université Laval. « On a un rapport à la mort qui est fracturé. […] Il y a eu une laïcisation rapide au Québec, une rupture avec la religion qui se chargeait de donner un sens à la mort. Or, encore aujourd’hui, c’est beaucoup la religion qui s’occupe des cimetières. Puisqu’on n’a plus de rapport à l’Église pour une partie de la population […], on ne sait plus trop pourquoi aller les visiter. Qu’est-ce que ça signifie ? », développe la professeure.

Johanne Gagnon, qui travaille dans le domaine funéraire depuis près de 30 ans, s’est aussi demandé pourquoi les Québécois visitaient peu leurs cimetières. « L’offre n’existe pas vraiment », a-t-elle conclu, il y a quelques années. « C’est à partir de là que j’ai développé des visites guidées avec des personnages qui ont marqué l’histoire de la ville de Québec ou de la province », indique celle qui, depuis 2018, fait découvrir aux intéressés deux cimetières de la Vieille Capitale.

Cimetières familiaux

Les experts consultés par La Presse s’entendent en effet pour dire que l’offre touristique dans les cimetières de la province est limitée. Dans certaines régions, elle repose sur des bénévoles, comme notre guide de la journée, Jeanmarc Lachance.

PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

Le président de la Société d’histoire de Compton, Jeanmarc Lachance, au cimetière Carr

Ce passionné d’histoire originaire de Compton, en Estrie, a été étonné d’apprendre, il y a plus de 10 ans, que la municipalité comptait une douzaine de cimetières. Depuis, il s’est beaucoup renseigné sur ces lieux et organise des visites sur demande quelques fois par année.

Avant de s’arrêter à l’ombre de l’ancienne église anglicane, Jeanmarc Lachance nous a entraînée sur des routes de gravier rarement empruntées. Au milieu des champs, il nous a fait découvrir deux cimetières familiaux. « Ce type de cimetière est un héritage de la religion protestante en Europe », explique M. Lachance.

Les gens ne pouvaient plus enterrer les membres de leur famille dans les cimetières officiels, habituellement catholiques. Qu’est-ce qu’ils avaient comme possibilité ? Ils ont développé des cimetières familiaux, c’est-à-dire que les gens ont enterré leurs proches sur un coin de leur terre.

Jeanmarc Lachance, président de la Société d’histoire de Compton

Dans la région, quelques-uns de ces petits cimetières regroupent plus d’une famille, note Jeanmarc Lachance, qui parle alors de cimetière de proximité. C’est le cas du cimetière Carr, dont les monuments, datés pour la plupart des années 1800, sont de tailles variées, ce qui en dévoile beaucoup sur la classe sociale des défunts, indique le président de la Société d’histoire de Compton.

  • Différentes familles anglophones sont enterrées au cimetière Carr.

    PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

    Différentes familles anglophones sont enterrées au cimetière Carr.

  • Les monuments y sont de tailles variées.

    PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

    Les monuments y sont de tailles variées.

  • Des symboles sont souvent gravés sur les stèles des protestants, indique notre guide, Jeanmarc Lachance.

    PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

    Des symboles sont souvent gravés sur les stèles des protestants, indique notre guide, Jeanmarc Lachance.

  • Les inscriptions sur ces stèles de granit ont été presque complètement effacées au fil des ans.

    PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

    Les inscriptions sur ces stèles de granit ont été presque complètement effacées au fil des ans.

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« Quand on regarde la symbolique funéraire, les monuments, leurs formes, il y a un paquet d’informations intéressantes », soutient Jeanmarc Lachance, en nous invitant à prêter attention aux images gravées sur les stèles protestantes. Un index pointé vers le haut ? « Ça signifie : “Je ne suis plus ici, je suis rendu au ciel”. » Une colombe ? C’est la tombe d’un enfant, nous apprend notre guide.

Tout comme Jeanmarc Lachance, Ève L’Heureux est fascinée par la richesse des cimetières. Pour elle, ce sont, en quelque sorte, des musées à ciel ouvert. « Quand on visite un cimetière, on a vraiment un contact très intime avec l’histoire d’un lieu, avec les gens qui l’ont habité, avec les us et coutumes et avec la symbolique. »

Au cimetière Mont-Royal, à Montréal, on remarque dans les dernières années que les visites guidées attirent nombre de nouveaux arrivants. « À la fin des visites, ils me disent : “Je viens juste d’arriver à Montréal. C’est une bonne façon pour moi d’en apprendre plus sur l’histoire de la ville” », révèle Myriam Cloutier, directrice des programmes du patrimoine.

  • La tombe de l’ancien premier ministre du Canada Louis St-Laurent. La pierre tombale en forme de croix à l’arrière est celle de son père.

    PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

    La tombe de l’ancien premier ministre du Canada Louis St-Laurent. La pierre tombale en forme de croix à l’arrière est celle de son père.

  • On trouve un calvaire dans de nombreux cimetières catholiques.

    PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

    On trouve un calvaire dans de nombreux cimetières catholiques.

  • Les croix sont très présentes au cimetière Saint-Thomas-d’Aquin, à Compton.

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    Les croix sont très présentes au cimetière Saint-Thomas-d’Aquin, à Compton.

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Mieux comprendre l’histoire de la municipalité est aussi l’une des raisons évoquées par les personnes qui prennent part aux visites de Jeanmarc Lachance. Tout l’après-midi, il nous parle d’ailleurs des personnalités qui ont marqué la région, dont l’ancien premier ministre du Canada Louis St-Laurent. Sa pierre tombale passe presque inaperçue au cimetière catholique Saint-Thomas-d’Aquin, remarquons-nous. « Il a tenu à ce que son monument ne soit pas plus grand que celui de son père », nous informe notre accompagnateur.

Des touristes étrangers ?

Dans les différentes activités organisées par les guides à qui nous avons parlé, les visiteurs sont principalement des gens de la ville ou de la région concernée.

Ont-ils déjà reçu des touristes de l’extérieur de la province ? « Je pense que ce qui attire un touriste étranger, c’est d’aller voir la pierre tombale d’une personne précise et très connue », répond Myriam Cloutier, du cimetière Mont-Royal. Leonard Cohen, qui repose au cimetière juif Shaar Hashomayim à Montréal, attire les curieux. « C’est fou la quantité de gens qui viennent à notre cimetière en pensant qu’il y est enterré. Je peux confirmer qu’il y a énormément d’Européens », confie-t-elle.

Parmi les touristes qui visitent les cimetières du Québec, il y a aussi les passionnés de généalogie, note la professeure Pascale Marcotte. « Ils font des recherches et se déplacent pour aller lire des archives ou pour aller retrouver des traces physiques de leurs ancêtres. »

Muséologue de formation, Ève L’Heureux croit toutefois que le potentiel touristique de ces lieux de repos n’est pas assez développé. « Il y a tellement de richesses à exploiter dans un cimetière. Il faut les remettre de l’avant et les réintégrer dans la vie de tous les jours. »

Elle donne en exemple certaines initiatives, dont celle du cimetière Saint-Matthew, à Québec, qui propose un circuit interactif, ou encore celle du cimetière de Laval, qui, par moments, fait jouer de la musique.

« Les stèles, c’est fait pour garder la mémoire des défunts en vie. Et la seule façon de le faire, c’est en parcourant les cimetières. »

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

À Québec, depuis 2018, il est possible de visiter les cimetières Saint-Charles et Notre-Dame-de-Belmont dans une voiture de tramway tirée par des chevaux.

Cimetières québécois

Cinq activités à découvrir

Curieux de vivre une expérience touristique au cimetière ? Voici cinq visites à essayer.

En tramway à Québec

  • L’ancien premier ministre du Québec Jean Lesage repose au cimetière Notre-Dame-de-Belmont…

    PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

    L’ancien premier ministre du Québec Jean Lesage repose au cimetière Notre-Dame-de-Belmont…

  • … tout comme le journaliste Arthur Buies.

    PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

    … tout comme le journaliste Arthur Buies.

  • La guide Johanne Gagnon

    PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

    La guide Johanne Gagnon

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« Je suis une passionnée de cimetières et une passionnée d’histoire », affirme Johanne Gagnon, qui compte près de 30 ans de carrière dans le domaine funéraire. Depuis 2018, elle offre des visites guidées dans les deux plus grands cimetières de Québec : Saint-Charles et Notre-Dame-de-Belmont. Une quarantaine de fois par été, elle accueille les intéressés dans une voiture de tramway tirée par des chevaux. « Je voulais que ce soit accessible à tous », précise-t-elle au sujet de ce moyen de locomotion peu ordinaire.

Pendant plus d’une heure, elle présente différentes particularités des deux cimetières, qui ont près de 200 ans chacun, et parle de certaines personnalités qui y sont enterrées. Parmi elles, nommons la chanteuse Alys Robi, l’ancien premier ministre du Québec Jean Lesage, le journaliste Arthur Buies ou encore la Dre Irma Levasseur, première femme médecin canadienne-française.

« On se sent très fiers d’être québécois lorsqu’on finit la visite », assure Johanne Gagnon, qui est surnommée par son entourage « la Fred Pellerin de Québec ». Outre ces visites estivales, des conférences sont organisées toute l’année. En novembre, par exemple, il sera notamment possible d’en apprendre davantage sur les femmes d’exception inhumées à Québec.

Consultez le site de la Compagnie Saint-Charles

Le passé dans les oreilles

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LA PRESSE

Le cimetière Saint-Matthew, à Québec

Plus ancien cimetière protestant de la ville de Québec, le cimetière Saint-Matthew a été restauré en 2009-2010. Depuis, il est possible de découvrir les lieux en compagnie de l’historien David Mendel grâce à un audioguide offert gratuitement sur le web. Cette visite d’environ 40 minutes retrace le vécu d’une douzaine de personnages des XVIIIe et XIXe siècles.

On y fait notamment la rencontre du soldat écossais Alexander Cameron, mort en 1759, dont la stèle serait la plus vieille au Québec. On estime qu’entre 1772 et 1860, de 6000 à 10 000 personnes ont été enterrées sur ce terrain qui longe la rue Saint-Jean. Pourquoi ne pas profiter de ce moment pour entrer dans l’ancienne église anglicane transformée en bibliothèque ? Le lieu est de toute beauté.

Consultez la page du cimetière Saint-Matthew

Un cimetière, différents angles

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le cimetière Mont-Royal

« Ça fait très longtemps qu’on offre des activités tous les ans », indique Myriam Cloutier, directrice des programmes du patrimoine au cimetière Mont-Royal. Si, dans les premières années, les visites guidées portaient principalement sur les personnages connus qui reposent dans ce cimetière fondé en 1852 par la communauté protestante de Montréal, l’offre est aujourd’hui fort diversifiée et se renouvelle chaque été. Pourquoi ? « On se rendait compte que les gens revenaient […] donc j’essaie de ne pas répéter les visites », répond Myriam Cloutier.

À titre d’exemple, « les monuments remarquables » et « les attraits touristiques » sont deux des thèmes qui ont été explorés cette année. « Ça a toujours un lien avec l’histoire de Montréal », précise celle qui travaille au cimetière depuis 27 ans. Les gens qui participent aux visites sont d’ailleurs principalement des Montréalais passionnés d’histoire, note-t-elle. De nombreuses personnes choisissent également l’endroit pour leur promenade quotidienne. Qu’aiment-elles des lieux ? « La réponse qui revient souvent, c’est l’aspect serein, l’aspect calme », révèle Myriam Cloutier.

Consultez le site du cimetière Mont-Royal

Les trésors du Centre-du-Québec

PHOTO LES MAXIMES, FOURNIE PAR TOURISME VICTORIAVILLE ET SA RÉGION

Nancy Shaink propose des visites de cimetière dans le Centre-du-Québec.

« Même dans le plus petit cimetière du Centre-du-Québec, il y a des trésors », croit Nancy Shaink. Depuis près d’une dizaine d’années, la femme qui poursuit un doctorat en théologie pratique à l’Université Laval offre des visites guidées de divers cimetières du Centre-du-Québec, notamment à Victoriaville. Plutôt que de miser sur l’aspect historique, elle concentre ses présentations sur la symbolique qu’on peut observer en ces lieux.

« Dans les cimetières de la région, il y a de tout : des monuments très pompeux côtoient des petits monuments qui ont aussi une histoire intéressante. […] Il y a encore des stèles de bois. Les gens sont surpris de voir la variété », explique la guide qui publie les dates de ces visites sur la page Facebook « Les cimetières de Nancy ».

Consultez la page « Les cimetières de Nancy »

Paroles d’Outre-temps

  • Le cimetière Saint-Edmond, à Coaticook

    PHOTO PATRI-ARCH, FOURNIE PAR LA MRC DE COATICOOK

    Le cimetière Saint-Edmond, à Coaticook

  • Le cimetière Saint-Edmond, à Coaticook

    PHOTO PATRI-ARCH, FOURNIE PAR LA MRC DE COATICOOK

    Le cimetière Saint-Edmond, à Coaticook

  • Le cimetière Saint-Edmond, à Coaticook

    PHOTO PATRI-ARCH, FOURNIE PAR LA MRC DE COATICOOK

    Le cimetière Saint-Edmond, à Coaticook

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Plus de 80 cimetières ont été répertoriés dans la MRC de Coaticook. L’audioguide Paroles d’Outre-temps, offert gratuitement sur le web, permet d’en découvrir 10 parmi eux. Le circuit, qui s’étend sur des kilomètres, présente aux curieux de petits cimetières familiaux dispersés sur des terres agricoles, mais aussi des lieux plus vastes, comme le cimetière catholique Saint-Edmond, situé au cœur de Coaticook.

Paroles d’Outre-temps raconte la vie de dizaines de pionniers qui se sont installés dans la région au XIXe siècle. À quelques reprises, ce sont les défunts eux-mêmes qui s’adressent à vous… Il est également possible de faire la visite de façon plus traditionnelle en se procurant un dépliant au bureau touristique de Coaticook et en suivant les panneaux d’interprétation dans les différents cimetières.

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