Le ski hors-piste connaît un essor sans précédent en Gaspésie. La neige folle y tombe en abondance sur des montagnes pleines de défis, au grand plaisir des amateurs de poudreuse, chaque hiver plus nombreux, en particulier à Murdochville. Et si l’avenir de la Gaspésie se jouait ici ?

(Murdochville) Cris de joie au mont York

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L’accès au sommet des pistes est une aventure peu banale.

Dans les montagnes qui entourent Murdochville, la joyeuse bande du Chic-Chac, une entreprise de tourisme d’aventure, a tracé à la tronçonneuse une série de couloirs où s’amassent chaque hiver des tonnes de poudreuse. Certaines descentes sont ouvertes à tous, mais il faut monter à bord d’un catski ou d’un hélicoptère pour y être guidé vers celles qui font le plus rêver…

Le soleil vient de percer les nuages quand le klaxon du catski (véhicule à chenilles) retentit deux fois dans les hauteurs du mont York, 40 minutes après le départ à Murdochville. C’est le signal qu’attend la douzaine de skieurs fébriles pour sortir de la cabine surchauffée.

La vue magnifique sur les sommets enneigés parsemés d’éoliennes attire à peine les regards, qui se tournent vers le guide Éric Gendron. « Tenez-vous sur la gauche, vous ne serez pas déçus », lance-t-il, après avoir donné une brève description des lieux et quelques consignes de sécurité.

Et là, tout arrive.

  • La vue est à couper le souffle.

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    La vue est à couper le souffle.

  • Le paysage est mémorable.

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    Le paysage est mémorable.

  • Les skieurs flottent dans la poudreuse parmi les conifères du mont York.

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    Les skieurs flottent dans la poudreuse parmi les conifères du mont York.

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Dans les couloirs percés entre les conifères, sur des pentes vertigineuses, les cris de joie fusent dès que les glisseurs tracent leurs premiers virages dans la couche de neige profonde et intacte, soulevant au passage des essaims de flocons. Même ceux qui traînent un peu, pour étudier leur trajet ou pour savourer le moment, ont l’impression de flotter sur un nuage en croisant les sillons laissés par les plus fervents.

Au pied de la pente, 350 m plus bas, les sourires enneigés sont fendus jusqu’aux oreilles.

  • Les meilleurs skieurs s'élancent dans le vide à partir de plateformes de sauts en bois installées sur certains tracés.

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    Les meilleurs skieurs s'élancent dans le vide à partir de plateformes de sauts en bois installées sur certains tracés.

  • La qualité de la neige gaspésienne a ravi Sylvain Legault, qui a skié un peu partout dans le monde depuis 35 ans.

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    La qualité de la neige gaspésienne a ravi Sylvain Legault, qui a skié un peu partout dans le monde depuis 35 ans.

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Tout le monde se presse pour attacher son équipement à l’arrière du catski et remonter à bord, histoire de pouvoir redescendre encore et encore, parfois sur des pentes très étroites. Il faudra même contourner de petites falaises à deux occasions. Mais les clients en redemandent. Et l’excitation atteint son paroxysme quand les meilleurs d’entre eux s’élancent dans le vide à partir de plateformes de sauts en bois installées sur certains tracés.

« C’est la plus belle descente que j’ai faite de ma vie ! », lance avec enthousiasme Benoit Domingue, un entrepreneur de la Montérégie venu faire de la planche à neige avec son frère Michel, après avoir dévalé le plus long tracé du mont York, baptisé Assurancetourix.

« Je ne pensais pas qu’on trouverait ici des pentes aussi prononcées, avec autant de neige », s’étonne Sylvain Legault, un ancien patrouilleur du mont Blanc qui parcourt les stations du monde entier avec des amis depuis 35 ans. Il est notamment accompagné cette fois d’un ami de longue date, Serge Pelletier, qui aura bientôt 72 ans.

Les dénivelés sont plus modestes que dans les Rocheuses, convient la postière Nadia Villeneuve, mais pour la qualité et l’abondance de la neige, « ça vaut largement ce que j’ai vu dans l’Ouest l’an dernier », dit-elle.

Du ski pour tous

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Le terrain de jeu au mont Porphyre est assez pentu.

L’accès aux monts York et Bell, deux sommets voisins d’environ 800 m aménagés par le Chic-Chac, reste limité. Au plus quelques dizaines de passionnés prêts à payer le prix pour les atteindre en catski ou en hélicoptère (soit quelques centaines de dollars par jour, au bas mot) s’y retrouvent quotidiennement. Ce qui contribue bien sûr à préserver la qualité de la neige.

Or, tous peuvent accéder gratuitement aux tracés défrichés par le même groupe de bûcherons aménagistes sur le mont Porphyre, tout près de l’ancienne mine de cuivre de Murdochville. On peut y monter avec des peaux ou en motoneige (ou encore à bord d’un castki du Chic-Chac). Mieux vaut toutefois se lancer avec un guide dans ce terrain de jeu assez pentu, où peuvent se produire des avalanches…

Les moins aventuriers mettront le cap sur le mont Miller, à une quinzaine de minutes de marche de là. On aperçoit chaque jour des skieurs-grimpeurs sur les pistes de cette station plus conventionnelle, avec remontée mécanique (T-bar) ouverte le week-end et les lendemains de tempête.

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Après chaque descente, les skieurs se pressent dans le catski pour remonter plus vite.

Toutes ces montagnes profitent d’abondantes précipitations d’une neige sèche, souvent balayée par un vent assez vif pour effacer les traces de la veille. La saison de ski se poursuit aussi souvent assez tard en avril.

Et les amateurs de glisse se sont passé le mot : ils n’ont jamais été aussi nombreux en Haute-Gaspésie. La pandémie, qui a gardé les skieurs au Québec et restreint l’accès aux stations dans le Sud, a dopé le développement du ski hors-piste dans la région, se réjouit Guillaume Molaison, fondateur et PDG de Chic-Chac. « Ce sport-là a explosé, c’est incroyable ! »

« Il y a cinq nouvelles entreprises de hors-piste en Gaspésie, mais la demande pour nous continue d’augmenter », constate celui qui semblait pourtant bien seul à croire au potentiel d’attraction du sport quand il a lancé son entreprise en 2006 (voir onglet suivant).

Boom immobilier

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La ville de Murdochville, vue du Mont Miller.

Depuis, le Chic-Chac a retapé plusieurs immeubles dans une ville qui se vidait de sa population, dont l’ancien presbytère et des résidences privées, pour accueillir les visiteurs. Or, l’offre ne suffit plus. Et le niveau de confort, qui rappelle celui des auberges de jeunesse, non plus.

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Guillaume Molaison, fondateur et PDG de Chic-Chac

On a huit logements en rénovation, puis dix chalets en chemin pour l’année prochaine. Il y aura d’autres phases du projet immobilier aussi. Quand tu veux faire du tourisme de calibre international, ça prend une infrastructure de calibre international.

Guillaume Molaison, fondateur et PDG de Chic-Chac

Pas question pour autant de dénaturer Murdochville. Le Chic-Chac « prendra une bouchée à la fois » et cherchera encore à préserver les bâtiments existants avant tout.

Comme l’église, qui est devenue cette année après des travaux de plus de 1 million de dollars un quartier général, d’où partent les excursions quotidiennes et où tous se retrouvent après le ski, pour prendre un verre, admirer les photos prises en journée sur l’écran géant ou encore goûter au menu roboratif conçu par le chef Danny Gasse, de la Buvette Thérèse de Percé. « Un lieu qui rassemble tout le monde à Murdochville », se félicite Guillaume Molaison.

  • L’église du coin est devenue le quartier général de Chic-Chac.

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    L’église du coin est devenue le quartier général de Chic-Chac.

  • On s’y retrouve pour prendre un verre et admirer sur l'écran géant les photos prises plus tôt sur les pentes.

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    On s’y retrouve pour prendre un verre et admirer sur l'écran géant les photos prises plus tôt sur les pentes.

  • Les skieurs se réunissent dans le sous-sol de l’église avant chaque excursion pour y recevoir quelques consignes de sécurité.

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    Les skieurs se réunissent dans le sous-sol de l’église avant chaque excursion pour y recevoir quelques consignes de sécurité.

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Aux yeux de certains, le hors-piste reste une affaire de neige et de pentes, point. Pour eux, Guillaume Molaison a aussi de bonnes nouvelles : « On doit commencer l’été prochain les travaux d’aménagement de deux nouvelles montagnes dans le coin : les monts Brûlé et Rothery, notamment pour les skieurs moins expérimentés. »

Les cris de joie n’ont pas fini de retentir dans les montagnes autour de Murdochville.

Consultez le site de Chic-Chac Consultez le site de Tourisme Gaspésie

Poudreuse : mode d’emploi

Skier dans une profonde couche de poudreuse peut déstabiliser des skieurs habitués aux pentes damées. Il faut par exemple prendre une certaine vitesse pour faire des virages plus fluides. Le guide Jérôme Guilbeault donne aussi les conseils suivants : il faut skier les bras bien en avant, comme si on était sur un vélo, et ne pas passer dans les traces des autres skieurs, plutôt les croiser.

1073 m

Baptisé Assurancetourix, c’est le plus long de tous les tracés du Chic-Chac qui se trouve sur le flanc du mont Bell, dont le sommet culmine à 860 m d’altitude

7 m

Précipitations annuelles de neige dans la région

Source : Chic-Chac

Une partie des frais de ce voyage a été payée par Tourisme Gaspé et le Chic-Chac, qui n’ont exercé aucun droit de regard sur le contenu de ce reportage.

Un avenir au grand air

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Beaucoup ont adopté Murdochville et son mode de vie. Et rien ne semble vouloir freiner la relance.

Le ski hors-piste a sauvé Murdochville d’un déclin qui semblait irréversible. Et si le plein air pouvait donner un nouvel élan à toute la Gaspésie ?

Jean-François Théberge et Marie-Pier Poulin ont quitté leur 5 1/2 de La Petite-Patrie, à Montréal, sur un coup de tête en pleine pandémie pour s’installer à Murdochville avec leurs trois enfants. La famille s’est vite plu dans la petite ville gaspésienne.

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Jean-François Théberge, Marie-Pier Poulin et leurs trois enfants. « C’est trop cool ici », lance Romain, 9 ans, qui s’amuse beaucoup à Murdochville avec son frère Ludo, 7 ans, et sa sœur Charlie, 5 ans.

« L’école, la montagne, l’épicerie, tout est à 10 minutes à pied, raconte l’ingénieur qui gagne sa vie en télétravail. Quand on annonce de la neige, je m’organise pour me libérer un avant-midi et faire quelques descentes, les conditions sont tellement belles. »

Jeannie Gauthier et Anthony Gagné, dans la mi-vingtaine, se sont rencontrés il y a cinq ans à Nelson, en Colombie-Britannique, où ils ont planté des arbres et dévalé les pentes. Arrivés à Murdochville, l’automne dernier, ils ont trouvé du travail au Chic-Chac, qui emploie une trentaine de travailleurs saisonniers et une dizaine toute l’année.

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Anthony Gagné et Jeannie Gauthier sont venus passer quelques mois à Murdochville avec des amis… mais ont finalement décidé de rester après l’hiver.

« On aime beaucoup l’esprit de communauté ici, explique Jeannie, skis de randonnée à la main. C’est beaucoup plus fort que dans l’Ouest. »

Au point où le couple ne veut plus repartir. Comme les parents de Jeannie viennent d’acheter une maison en ville, les amoureux resteront après la fonte des neiges… pour planter des arbres.

Revirement

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Après la fermeture de la mine, puis de la fonderie en 2002, la population de Murdochville a chuté à environ 500 personnes. Dans les années 1970, la ville comptait près de 5000 hatitants.

Des familles et des jeunes qui s’installent à Murdochville ? La chose a longtemps paru impensable dans une municipalité passée à un cheveu de la fermeture après la fin des activités minières, en 2002.

Depuis une quinzaine d’années, le Chic-Chac, fondé par Guillaume Molaison et Éloïse Bourdon, a attiré ici des milliers de visiteurs. D’abord l’hiver, grâce aux conditions de neige exceptionnelles, mais aussi le reste de l’année avec le rafting, le vélo de montagne, la randonnée, etc. Beaucoup ont adopté l’endroit et son mode de vie. Et rien ne semble vouloir freiner la relance. Le prix des maisons, autrefois vendues quelques milliers de dollars à peine, dépasse maintenant souvent les 100 000 $.

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La poudreuse est au rendez-vous sur les pistes exigeantes du mont York.

Pour Guillaume Molaison, Murdochville est un exemple à suivre pour toute la Gaspésie.

Je vois un avenir ici avec l’industrie récréotouristique qui a un vrai potentiel durable. Après avoir vu ma Gaspésie comme une terre de pillage, c’est mon combat. Je suis certain que d’ici 10 ans, on a vraiment la chance de remodeler l’environnement social et économique de la région.

Guillaume Molaison, entrepreneur natif de Gaspé

Or, l’accès au territoire reste un enjeu de taille pour créer des activités et des emplois de qualité à longueur d’année, et soutenir une économie prospère, estime l’entrepreneur. « C’est la chicane en ce moment pour savoir qui va gérer l’accès au territoire. Si on ne veut plus que la vocation de la Gaspésie soit seulement l’industrie première, mais aussi le tourisme, et pas seulement l’été, le gouvernement doit nous donner les moyens de nos ambitions. »

Du travail à faire

Pionnière du tourisme hivernal dans la région, la fondatrice des Traversées de la Gaspésie, Claudine Roy, fait un constat semblable. « La nature, c’est une richesse incroyable ici. Il y a eu beaucoup de progrès ces dernières années, mais il nous reste du travail à faire avec l’industrie. Ce n’est pas normal qu’on limite l’accès à la Réserve faunique des Chic-Chocs pour protéger le caribou… et qu’on y autorise en même temps des coupes forestières. »

La Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ), qui gère l’accès au parc national de la Gaspésie, sent aussi qu’il y a un intérêt accru pour le plein air dans les montagnes du coin, mais n’a pas l’intention pour le moment d’y ouvrir de nouveaux secteurs au ski hors-piste. « Au parc, on veut surtout éviter de déranger le caribou, mais le terrain de jeu est déjà grand, avec par exemple les monts Ernest-Cormier, Albert, Hog’s Back et les Mines Madeleine », dit le porte-parole Simon Boivin.

Encore trop peu de Québécois réalisent la valeur exceptionnelle de ce coin de pays, croit pour sa part le planchiste professionnel Antonin Chamberland. « Beaucoup de gens passent à côté de quelque chose. Moi-même, je fais le tour des montagnes du monde depuis 12 ans et je n’étais encore jamais venu skier ici avant la pandémie. Pourtant, c’est la meilleure place au Québec pour le hors-piste. »

Il est tellement convaincu du rôle que peut jouer le plein air dans la région qu’il est devenu actionnaire du Chic-Chac. « On est une douzaine d’investisseurs qui veulent faire avancer les choses ici. On y croit vraiment, c’est un endroit incroyable. Et pour tout le monde. »