Et si on voyageait par l’imaginaire ? Le Québec compte des dizaines de contes et légendes qui sont ancrés dans son territoire. À défaut de pouvoir se déplacer physiquement, on peut ainsi s’éveiller à des horizons méconnus dans bon nombre de régions de la province. Accompagnés de l’auteur Bryan Perro et des conteurs Éric Michaud et Francis Désilets, on part à la quête d’un patrimoine culturel trop rarement exploré.

Les légendes du Québec nous permettent de nous imaginer sur les eaux du lac Mégantic pour y guetter son monstre ou encore sur les berges du Bas-Saint-Laurent, à l’affût de la terrifiante Dame aux glaïeuls. À l’inverse, en apprendre davantage sur notre héritage collectif pourrait aussi nous donner l’envie — quand ce sera permis — d’aller défier les jacks mistigris des Laurentides ou de retrouver la trace du cochon bleu du Saguenay.

« Personnellement, je sais qu’il y a un monstre dans la rivière Saint-Maurice entre les Piles et Mékinac », nous affirme Bryan Perro, qui a vendu des dizaines de milliers de copies de ses trois recueils de contes et légendes québécois. « Chaque fois que je passe par là, je regarde la rivière et je me demande si je vais le voir. C’est le prétexte qui fait que je m’arrête, mais ça me rappelle chaque fois à quel point c’est beau.

PHOTOMONTAGE JULIEN CHUNG, LA PRESSE

« C’est ce que j’appelle “se faire accroire”, enchaîne l’auteur mauricien. Quand tu te fais accroire, tu sais que ce n’est pas vrai, mais tu choisis de te laisser aller au jeu et à la magie. On sait qu’on n’en verra pas de bibitte étrange, mais on peut se laisser aller, c’est un bon argument pour amener un peu de poésie dans le Québec ! »

Il faut bien entendu faire le choix de mettre en valeur ce patrimoine culturel pour en faire une attraction touristique en bonne et due forme. « Le tourisme au Québec s’appuie surtout sur la nature ou l’architecture », regrette Éric Michaud, qui a créé, avec son collègue Francis Désilets, le spectacle Contes et légendes du Québec, entre mythes et vérités. « La mémoire collective n’est donc pas mise en évidence chez nous. Pourtant, ça permet d’agrémenter l’endroit visité, il devient plus féérique. À Percé, par exemple, quand on connaît la légende de Blanche de Beaumont, le rocher devient alors bien plus qu’une roche avec un trou dedans ! »

PHOTO STÉPHANE LESSARD, ARCHIVES LE NOUVELLISTE

L’auteur Bryan Perro

Les contes et les légendes viennent ajouter une autre dimension. Il y a la beauté du lieu, mais aussi ce qu’il porte. La culture populaire définit les lieux, on peut ensuite les imaginer et en parler.

Bryan Perro, auteur

Hormis l’exception notable de Saint-Élie-de-Caxton, qui a appuyé son potentiel touristique sur les contes et la personnalité de Fred Pellerin, bien peu d’endroits ont fait le choix d’utiliser leur patrimoine culturel dans le but d’attirer les visiteurs. À Trois-Pistoles, qui organise chaque année le Rendez-vous des Grandes Gueules, festival consacré aux contes de la Francophonie, on a érigé une statue qui rappelle la légende entourant la construction de l’église de la municipalité du Bas-du-Fleuve. On dit qu’un cheval noir envoyé par le diable aurait contribué à construire le magnifique bâtiment religieux. « Ce n’est pas banal de voir un cheval du diable représenté devant une église catholique, s’exclame Francis Désilets. En fait, cette histoire est tellement forte que l’on a accepté de la représenter, ça montre à quel point c’est quelque chose d’étroitement associé au territoire. »

PHOTO FOURNIE PAR LES PRODUCTIONS OYEZ OYEZ !

Le conteur, historien et musicien Francis Desilets.

À l’inverse, rien ne permet de savoir que la cage contenant le cadavre de Marie-Josephte Corriveau a été suspendue en 1763 à la fourche des rues Saint-Joseph et de l’Entente, dans le Vieux-Lévis. Pourtant, cet évènement tragique est à l’origine de l’une des légendes les plus fameuses de l’histoire du Québec.

On pourrait certainement faire comme à Salem, au Massachusetts, où a eu lieu le procès des sorcières en 1692.

Éric Michaud, conteur

PHOTO N. HOLMES, FOURNIE PAR PRODUCTION OYEZ OYEZ !

Le conteur et historien Éric Michaud.

« C’est hyper dark, il y a des gens qui ont été torturés pour rien, mais la ville a décidé de surfer sur cette vague-là. En fait, c’est une façon de montrer à quel point l’humain peut être épouvantable », observe Éric Michaud.

Bryan Perro soutient lui aussi que beaucoup d’endroits dans le monde ont su exploiter leur mythologie. Selon l’auteur de la saga Amos Daragon, c’est une façon de définir un peuple. Il a lui-même déjà pensé à créer un guide touristique mythologique : « On pourrait ainsi savoir où et quand trouver les créatures fantastiques du Québec, suggère-t-il. J’avais pensé faire ça par région, je voulais appeler ça “Guide mythos ». Malheureusement, on a de bien bonnes idées, mais on n’a pas toujours le temps de les réaliser. Mais ça pourrait aussi prendre la forme d’une application avec des balados associés à des parcours géolocalisés. Il existe plusieurs façons de parler de la mythologie et de la culture populaire. En tout cas, moi, je verrais bien une petite famille partir à la chasse au Bigfoot dans les monts Valin ! »