En kayak sur un lac, au sommet d’une montagne dans les Chic-Chocs. Je ne savais pas que j’étais à un coup de pagaie de vivre un moment où j’allais penser y passer pour vrai. C’est arrivé lorsque mon guide, Éric, s’est mis à crier « Oh… oh zut, j’aime pas ça… ABANDONNE LE KAYAAAAAAK ! ». Avant de se mettre à courir dans l’eau, en direction de la forêt. Je tente de m’extirper du mien, en manquant de laisser tomber mon équipement photo au fond du lac – chose qu’il ne faut pas dire à mes patrons… Alors que je réussis très disgracieusement la manœuvre, Éric me crie en courant que si elle s’approche trop de nous, il va lui parler. Mon cœur bat la chamade. Je me demande comment moi, qui n’arrive pas à contrôler mon caniche de 4 kg, je pourrais arriver à faire changer d’idée à cette colossale femelle orignal de 500 kg qui semblait vouloir humer nos mollets avec insistance. C’est peut-être végétarien, un orignal, mais qui veut vraiment tester sa force contre ce ruminant ?
Originaire de la Rive-Sud, Éric Deschamps a un parcours atypique. Il n’a pas fait son cégep, mais a quand même réussi à franchir les portes du baccalauréat en actuariat. Dix-huit mois après le début de ses études universitaires, il se rend compte que ce choix ne lui convient pas. Il fait un virage à 180 degrés et balance tout. Il quitte la ville pour la Gaspésie et part rejoindre son frère qui y est installé. En réponse à ses amis qui lui avaient tous dit qu’il ne ferait pas plus de six mois, il achète un appareil photo pour leur montrer la beauté de son nouveau coin de pays. C’est lors d’une randonnée en forêt qu’il rencontre par hasard un troupeau d’orignaux. Il est fasciné par ces doux géants et veut tout savoir à propos d’eux.
Éric Deschamps explique que pour lui, la photo n’est que le point culminant d’un processus. Sa démarche vise à comprendre l’animal dans son ensemble ; la photo est le point final.
Il devient rapidement un photographe de haut calibre et sa page Instagram le confirme : plus de 15 000 abonnés. En quatre ans, c’est énorme. Ses photos d’animaux sauvages sont sublimes. Pour quelqu’un qui a fouiné les méandres de YouTube pour apprendre la photo, je lui lève mon capuchon d’objectif. Éric a accepté de me montrer comment il parvient à faire son travail en nature.
Mon angle ? Comparer son travail au mien, celui de photographe de presse.
Trente heures dans le bois
Nous arrivons à destination en pleine nuit. Il est 3 h 30. D’entrée de jeu, je constate que cette activité ne s’adresse pas à ceux qui vouent un culte à leurs huit heures de sommeil en continu. Mais à la simple vue du lac bordé par ce brouillard matinal, digne d’un film, j’accepte volontiers ma destinée des 30 prochaines heures. Éric prépare les kayaks. Il installe tout le matériel sur les embarcations. Un léger doute s’installe dans ma tête : j’imagine déjà toutes mes choses au fond du lac après une maladresse de ma part. Ça n’arrivera pas. Nous traversons le lac tout doucement pour nous installer de l’autre côté.
Une fois que nous sommes installés, Éric me guide aux quatre coins du lac pour me montrer comment il s’y prend. Jumelles au cou, bien installé dans son kayak, il observe très attentivement chaque détail qui pourrait l’amener à voir un animal. Au début, je ne discerne absolument rien, mais lui voit au loin un huard. Ensuite, il aperçoit un castor. Puis, des jaseurs d’Amérique, un pic. Et soudainement, une superbe femelle orignal. Pour lui, c’est le pactole. Nous pagayons vers elle. Nous réussissons à la photographier pendant une quinzaine de minutes avant qu’elle ne tire sa révérence. Éric est aux anges.
Tout se déroule à merveille et nous repérons plusieurs animaux. Au milieu de la journée, nous nous arrêtons pour dormir. Puis, en début de soirée, nous retournons sur le lac profiter de la belle lumière. Comble de chance, les nuages font place à un ciel étoilé, ce qui permet de photographier la Voie lactée. Je suis conscient de ma chance et déjà, l’aube se pointe.
À la lumière matinale, à la sortie de ma tente, j’aperçois un autre orignal sur le lac. Celui-là même qui désire mieux nous connaître…
Après une approche amicale, cette femelle s’en va au centre du lac pour y manger des herbes au fond. C’est à ce moment qu’Éric lance « Mon Dieu, la chance d’une vie. Viens avec moi ! » C’est ainsi qu’après nous avoir acceptés, elle nous laissa la photographier gentiment pendant une bonne heure. Une expérience que je n’oublierai jamais.
Pour découvrir le travail d’Éric Deschamps : https://www.instagram.com/eric.nature/