Berceau de l’Amérique française, le Vieux-Québec attire son lot de touristes, et pour cause. Mais à part à l’occasion d’une sortie sur la Grande Allée, bien peu de visiteurs prennent la peine de découvrir les trésors qui se trouvent au-delà des fortifications. On est allé à la rencontre des gens qui animent ces quartiers qui forment le véritable cœur de la Vieille Capitale. Cette semaine : le quartier Saint-Jean-Baptiste.
Notre tournée s’achève au pied des murs qui ceinturent le cœur historique de Québec depuis la fin du régime français. Si la porte Saint-Jean est l’un des accès privilégiés à la vieille ville, c’est aussi au-delà de celle-ci que s’étend ce qui était autrefois le Faubourg Saint-Jean, quartier articulé autour de la rue du même nom, artère commerciale depuis près de 300 ans. Bienvenue dans le quartier Saint-Jean-Baptiste.
Le Pub Nelligan’s
Un peu en retrait de la rue Saint-Jean, dans la côte Sainte-Geneviève, le pub Nelligan’s est le repaire québécois des amateurs de bons whiskys. Mais un simple coup d’œil à cette magnifique maison d’époque vaut la peine — on s’imagine volontiers dans un véritable pub irlandais. Derrière le bar, on trouve 20 lignes de bières en fût, dont 14 qui proviennent de microbrasseries québécoises. On a aussi le choix parmi une quarantaine de gins, mais on y vient avant tout pour le whisky : « Je suis moi-même un passionné de whisky, nous explique le propriétaire Jonathan Labbé. J’ai donc 250 raretés, qu’on peut néanmoins trouver à la SAQ dans 95 % des cas. Cela dit, on va bientôt avoir une gamme de produits exclusifs. »
Toutefois, l’objectif de Jonathan Labbé est de faire partager sa passion. « On organise une à deux dégustations par mois, la plupart du temps autour de thématiques régionales, explique-t-il. Et quand tu peux goûter, tu peux l’acheter à la SAQ.
Pour un billet acheté 70 $ et 110 $, les clients peuvent déguster une gamme de cinq scotches whiskys qui vont globalement valoir plus de 5000 $. On ne fait pas ça pour faire des profits, mais plutôt pour se faire connaître. »
Si la clientèle est à 95 % locale — « on est un pub irlandais à la base, mais on s’est adapté à la fibre du quartier, si bien qu’on accueille des artistes, des jeunes et des gens d’affaires », nous apprend Jonathan Labbé —, les soirées de dégustation rayonnent de plus en plus.
« La formule est en place depuis le début, mais maintenant, c’est complet souvent trois semaines avant l’événement, assure le jeune entrepreneur. Il y a même des gens de Montréal qui viennent nous voir ! »
Notre présence bénéficie au quartier, notamment parce qu’on permet aux gens d’apporter la nourriture qu’ils ont achetée dans les restaurants du coin. Les commerçants nous aiment bien, il y a plein d’amour qui entre au Nelligan’s de plein de façons.
Jonathan Labbé, propriétaire
Épicerie J.A. Moisan
En revenant rue Saint-Jean, on arrive face à la légendaire Épicerie J.A. Moisan, la plus ancienne d’Amérique du Nord. Imaginez, on y sert les habitants du faubourg depuis 1871. Dans un enchevêtrement d’étalages qui témoignent des modifications subies par le commerce à travers les époques, on trouve un vaste choix de produits du terroir et d’importation, entre autres. D’ailleurs, les producteurs se bousculent pour pouvoir trouver une place sur les tablettes de J.A. Moisan. « En effet, les gens se déplacent et viennent nous voir, ils sont intéressés à être chez nous », admet le copropriétaire François Saint-Laurent, qui a acheté l’épicerie en 1999 avec son frère Clément et sa belle-sœur Nathalie Deraspe.
L’intérêt est aussi marqué du côté des touristes, qui constituent, bon an, mal an, la moitié de la clientèle de l’épicerie. Malgré tout, François Saint-Laurent soutient que le quartier pourrait bénéficier d’un apport plus important de visiteurs. « Faudrait qu’ils sortent davantage des murs, affirme le commerçant de 65 ans. Les plaisanciers restent tous en dedans des murs. Les gens arrêtent à l’autoroute [c’est ainsi que François Saint-Laurent surnomme l’avenue Honoré-Mercier] ; c’est un mur psychologique, il y a encore du travail à faire à ce niveau-là. »
L’épicerie continue toutefois de braver vents et marées, notamment parce que ses propriétaires, qui ont habilement restauré l’épicerie pour qu’elle retrouve son allure d’il y a 100 ans, s’assurent de préserver l’âme du commerce fondé par Jean Alfred Moisan. « Faut l’entretenir, faut s’en occuper, les tablettes vieillissent, faut parfois mettre quelques petits clous de plus ! », assure François Saint-Laurent.
Ça fait 35 ans que je suis ici, j’ai vu le petit bébé qui est devenu la maman qui vient aujourd’hui avec ses propres enfants. On l’aime, l’épicerie, c’est notre épicerie, ça, c’est vrai. On ne change pas la recette.
François Saint-Laurent, copropriétaire
Cantook Micro Torréfaction
On poursuit à pied du côté sud de la rue Saint-Jean en s’éloignant encore un peu plus du Vieux-Québec quand on croise le café Cantook, haut lieu du café dans la Vieille Capitale. On s’accroche aux effluves de grains de café fraîchement rôtis dès que l’on passe le pas de la porte du petit commerce, et pour cause : le café est torréfié sur place, juste là, à quelques pas du bar où les baristas s’affairent en discutant avec la clientèle bigarrée.
« Nos clients sont des gens du quartier ainsi que des fonctionnaires du gouvernement qui travaillent dans le coin, nous explique le gérant Jean-Philippe Marion. C’est aussi très familial, il y a beaucoup de bébés Cantook ! Il y a aussi beaucoup de touristes l’été, notamment des Asiatiques, car le café connaît un bel essor là-bas. En fait, on a remarqué une vague de tourisme du café cette année, car il y a pas mal de geeks qui sont venus nous voir. »
En plus des cafés de spécialité torréfiés sur place — l’espresso est corsé à souhait —, les clients peuvent aussi se rassasier avec une variété de pâtisseries gourmandes. De même, les murs sont sertis d’une sélection d’accessoires pour amateurs de café.
Les gens viennent ici pour la dynamique de l’équipe et pour l’ambiance. Il y a aussi que mon boss Simon [Fabi] est un phénomène, il a de la jasette !
Jean-Philippe Marion, gérant
Le Projet
On est au cœur de Saint-Jean-Baptiste quand on arrive à la magnifique église qui a en quelque sorte donné son nom au quartier. De biais avec l’édifice religieux d’influence Second Empire se trouve le resto-pub Le Projet, un incontournable pour les amateurs de bières. Il n’y a pas moins de 26 lignes de fûts, dont quatre cidres en tout temps. Les choix sont regroupés en six palettes de dégustation, en faisant une belle place aux bières Kawâ, fruit d’un projet parallèle du Projet et brassées à la Brasserie générale.
« On offre toujours une carte bien équilibrée, soutient la copropriétaire Dominique-Isabelle Rioux. Il y en a pour les amateurs qui veulent découvrir des nouveautés, mais aussi pour ceux qui veulent se familiariser avec les bières de spécialité. Il y en a pour tout le monde, on n’est surtout pas des snobs de bière. »
Le Projet se veut en fait à l’image du quartier Saint-Jean-Baptiste — « on n’essaie pas d’épater la galerie et tu n’as pas besoin de t’habiller beau quand tu viens ici ! », soutient la jeune entrepreneure — mais il s’est trouvé rapidement à rayonner au-delà des frontières du quartier. « Il y a beaucoup de touristes qui nous sont recommandés par les concierges d’hôtels, par l’Office de tourisme ou par Trip Advisor, admet Dominique-Isabelle Rioux. Et on attire aussi les touristes brassicoles, car la bière rejoint de plus en plus de gens. »
Je pense que l’on contribue de belle façon à l’essor du quartier. Mais ça n’aurait pas fonctionné aussi bien ailleurs : en banlieue, ce n’est pas la même énergie qu’en ville, alors qu’ailleurs au centre-ville, on n’aurait pas obtenu la même affluence en début de semaine.
Dominique-Isabelle Rioux, copropriétaire