C’était une énorme tente en toile, bleu et rouge, tellement massive qu’elle prenait pratiquement la moitié de l’espace dans le coffre de la voiture. Pendant des années, elle a abrité la famille lors de vacances de camping au parc du Mont-Tremblant ou sur les côtes du Maine. Achetée en 1970 chez André Jac Sport, elle évoque mille souvenirs, de bons moments de liberté et de découvertes.

Après 60 ans d’existence, le magasin André Jac Sport est aussi sur le point de devenir un souvenir. Le grand patron, Sylvain Alepin, prend une retraite bien méritée après avoir consacré 43 ans à cette boutique indépendante, devenue une référence en ski et en vélo.

Des négociations sont en cours avec de nouveaux partenaires pour permettre le maintien du site web, mais la boutique elle-même, située sur le boulevard des Laurentides, à Laval, fermera ses portes d’ici quelques semaines.

Sur la page Facebook d’André Jac Sport, les clients expriment leur tristesse et leur reconnaissance.

« Toute bonne chose a une fin, on passe à autre chose », répond invariablement Sylvain Alepin.

PHOTO ALEXIS AUBIN, COLLABORATION SPÉCIALE

La boutique mythique du boulevard des Laurentides, à Laval, fermera ses portes d’ici quelques semaines.

Il donne l’analogie des enfants qui quittent la maison. « On pense que lorsque le dernier partira, il y aura un pincement au cœur. Mais ce n’est pas ce qui se passe. C’est la vie qui suit son cours. »

Les parents sont presque contents que leur jeune de 20, 22 ans quitte la maison. Ils se retrouvent seuls, plus libres. C’est un peu comme ça avec le commerce de détail. Vous êtes heureux de retrouver la liberté.

Sylvain Alepin, propriétaire d’André Jac Sport

C’est en 1960 qu’André Tardy et Jacques Vanasse fondent André Jac, essentiellement pour vendre de l’équipement de ski. L’équipement de camping vient compléter l’offre de la boutique, qu’André Tardy gérera seul pendant près de 20 ans après le départ de Jacques Vanasse. Son neveu, Sylvain Alepin, vient lui prêter main-forte à partir de 1979.

« Ce qui nous démarquait, c’était le fait d’exposer beaucoup de nos tentes à l’extérieur, raconte M. Alepin. Les gens venaient de partout pour choisir leur tente. »

Partir au sommet

La boutique a traversé les époques, affrontant des géants comme La Cordée, MEC et SAIL, qui sont venus s’installer sur le territoire lavallois. « Les gens me demandaient comment on allait faire pour passer au travers. La Cordée, MEC et SAIL ont eu de grosses difficultés financières au cours des 18 derniers mois, mais nous, nous sommes toujours là. »

PHOTO FOURNIE PAR MARIE TISON

Au cours des décennies, bien des familles québécoises ont commencé leurs expériences en camping avec de l’équipement acheté chez André Jac Sport.

Comment la boutique du boulevard des Laurentides a-t-elle réussi ce petit tour de force ? « On peut comparer ça au Titanic : c’est plus facile de contrôler une petite entreprise qu’une grosse. Le service à la clientèle est plus présent. Et puis, comme on avait une seule adresse, ça devenait un lieu mythique. »

Sylvain Alepin a repris seul la barre du navire en 1998, après la retraite de son oncle. Il a toujours aimé le commerce de détail. « On ne fait pas ça pour l’argent. Je ne vais pas dire que je suis pauvre, mais il y a bien des métiers, bien des domaines qui sont plus rentables que le commerce de détail. Le rapport heures travaillées/rentabilité n’est pas très bon. »

Les enfants de M. Alepin et de sa femme, Anne-Marie Laflamme, très impliquée elle aussi dans le magasin, n’ont montré aucun intérêt à reprendre André Jac. Et puis, Sylvain Alepin a reçu « une offre qu’il ne pouvait pas refuser » pour la bâtisse. L’acheteur n’est pas du tout dans le domaine du plein air.

Ironiquement, André Jac ferme alors que la boutique vient de connaître les deux meilleures années de son existence. Avec la COVID-19, le ski de fond et le vélo ont carrément explosé.

Les gens ont mis une grande partie du budget voyage, du budget restaurant dans des piscines, des motoneiges, dans le vélo et le ski de fond. Habituellement, quand un commerce ferme, c’est que ça ne va pas bien. Mais ici, ce n’est pas le cas.

Sylvain Alepin, propriétaire d’André Jac Sport

M. Alepin et sa femme ont bien préparé leur plan de retraite. « Nous sommes tombés en amour avec la région de Charlevoix. Nous allons y déménager, nous serons au pied de la montagne. Quand on vend du ski, on n’a pas le temps de faire du ski. Là, en cessant de vendre du ski, nous allons avoir plein de temps pour faire du ski et du vélo. »