Ça se passe le 22 août 1970. Un ministre fédéral, un certain Jean Chrétien, et une ministre du gouvernement du Québec, Claire Kirkland-Casgrain, signent une entente qui permet la création du parc national de la Mauricie. Cela fait donc 50 ans que les parents chargent enfants et bagages dans un canot pour une petite virée dans l’arrière-pays.

Depuis le centre de location d’embarcations de Shewenegan, tout près du poste d’accueil de Saint-Mathieu, le lac Wapizagonke a l’air tout petit. Ce n’est qu’une illusion. Il s’étire plutôt sur 15 km vers le nord, entre des collines boisées et d’imposantes falaises. C’est le lac rêvé pour une longue, très longue promenade en canot sans avoir à prévoir de portage.

Le seul nom de Wapizagonke évoque des souvenirs, enfouis très loin au fond de la mémoire. C’était au cours des années 70, un papa qui amène sa fillette faire du camping sur le bord du lac Wapizagonke. Ils mettent à l’eau le beau canot de bois qui fait la fierté du papa et pagaient vers le nord. Ils passent sous un pont, pagaient encore, s’engagent dans un défilé, un étroit cours d’eau qui relie deux des bassins du lac. C’est à la fois mystérieux, excitant et merveilleusement paisible.

En cette belle journée de l’été 2020, nous plaçons nos lourds sacs à dos au fond du canot de location et nous nous engageons sur le lac Wapizagonke. La météo prévoyait un vent du sud, un bon vent de dos qui devait nous permettre de progresser facilement vers le nord. Promesse non tenue : le vent vient du nord, il faut pagayer vigoureusement.

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Un petit canard habitué à la présence humaine patauge autour des familles Lebeau et Michaud.

Nous prenons une pause bien méritée sur une longue plage de sable. Malgré le vent, il fait très chaud et l’eau est particulièrement invitante. Une petite baignade est de rigueur, sous les yeux de canards noirs bien placides.

De l’autre côté du lac, des falaises s’élancent au-dessus des eaux avec des fissures, des colonnes et des toits qui feraient saliver les grimpeurs.

Nous reprenons la route vers le nord, mais nous ralentissons ici et là pour observer les oiseaux aquatiques. Voici notamment une maman grand harle avec ses sept petits, tout près de la rive. De toute évidence, elle n’apprécie pas les visiteurs. Plusieurs de ses petits grimpent sur son dos et elle s’éloigne, alors que nous faisons de même pour la laisser tranquille.

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La famille Patry-Ménard dans un passage étroit entre deux bassins du lac.

Voici enfin le fameux pont, situé au nord du bassin principal du lac Wapizagonke. Nous nous engageons sur un nouveau bassin et pagayons vers ce qui semble être le défilé. Celui-ci sera-t-il comme dans nos souvenirs ?

Le papa dirige habilement le canot dans l’étroit passage aux virages accentués. L’eau n’est pas très profonde, mais le canot passe aisément avec ses deux passagers.

Le défilé est bien là ! Mais de toute évidence, l’eau est plus basse, il faut parfois sortir du canot pour l’alléger et ainsi le déplacer sans heurts. Et des castors facétieux ont entrepris de construire des barrages, compliquant les choses. Il faut pousser le canot au-dessus d’un de ces obstacles. Mais l’atmosphère est la même que dans les souvenirs : un lieu de beauté et de sérénité.

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Mélanie Michel et Markus Deragon devront franchir un petit barrage de castor avant de pouvoir poursuivre leur chemin.

Une fois dans le dernier bassin du lac Wapizagonke, nous voyons enfin la petite pancarte qui marque notre site de camping. Nous accostons sur une minuscule plage dissimulée par la végétation et allons faire un petit tour du propriétaire. Tout y est : des tabliers de sable où nous pourrons monter les tentes, des tables de pique-nique, une toilette sèche, un très haut support de métal pour y suspendre la nourriture et la mettre ainsi hors de portée d’éventuels ours gourmands.

Un nouveau souvenir surgit. Ça se passe à la fin des années 70. Cette fois-ci, le papa amène ses deux filles pour une sortie de canot et de camping sur le lac à la Pêche, un peu plus à l’est dans le parc de la Mauricie. Il y a un petit portage pour aller visiter le lac Isaïe. Alors que le papa attache les avirons sur le canot et prépare le portage à l’aide de la grande fille, la plus jeune part en éclaireuse sur le sentier de portage… pour revenir rapidement : elle est tombée nez à nez avec un jeune ours, elle n’a pas voulu rester sur place et risquer de faire connaissance avec sa maman…

Nous installons le camp, suspendons les sacs de nourriture et reprenons le canot pour atteindre le bout du lac, tout près. Nous ralentissons toutefois le rythme pour observer un couple de huards qui surveille d’un œil protecteur ses deux petits. Par de petits cris impatients, les huards font savoir qu’ils aimeraient un peu d’intimité, merci beaucoup.

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De petits huards bien confortables sur le dos de maman.

À l’extrémité nord du lac Wapizagonke, nous accostons et enfilons des chaussures pour parcourir un sentier de 3 km qui débouche aux chutes Waber. En cette fin d’après-midi, il ne reste presque plus d’autres canoteurs-randonneurs, nous avons le sentier à nous seuls. Ou presque. Nous rencontrons en chemin deux mignons écureuils roux, des tétras du Canada un peu irrités et un lièvre qui se dresse au beau milieu du sentier pour grignoter quelque végétation. Ce dernier refuse toutefois de garder la pose pour une photo.

Les chutes Waber valent assurément le détour : en ce milieu d’été, le débit n’est pas très élevé, mais il est suffisant pour créer un tableau spectaculaire de cascades et de bassins qui se succèdent en un long escalier d’eau et de roc.

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Les chutes Waber dans la sérénité d’un début de soirée.

Le soir tombera bientôt, il faut retourner au site de camping pour préparer le souper. Sur place, de vilains visiteurs nous attendent : des maringouins assoiffés de sang, agressifs, sans pitié.

Un dernier souvenir totalement oublié revient à la mémoire. C’est au début des années 80. Le papa retourne au parc de la Mauricie avec sa grande fille pour quelques jours de canot-camping sur le lac du Caribou, un peu à l’ouest du lac Wapizagonke. Cet homme de plein air, ancien scout, a complètement oublié le chasse-moustiques à la maison. La soirée se termine tôt et le duo père et fille se réfugie rapidement dans la tente.

Nous nous aspergeons de chasse-moustiques et réussissons à survivre à l’invasion ailée. Pas très loin, un hibou s’exprime paisiblement : hou hou houhou ! Hou hou houhou ! La soirée se termine par un moment magique : une baignade dans l’eau très chaude du lac, sous la lueur de la lune, alors que des lucioles apparaissent et disparaissent dans l’atmosphère.

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Le campement au clair de lune.

Ce sont de nouveaux souvenirs qui se créent.