C’est LA nouvelle tendance en randonnée pédestre : aller camper au sommet d’une montagne pour être aux premières loges pour le coucher du soleil. Et pour le lever aussi, tant qu’à y être. Si l’expérience peut être magique si elle est faite dans les règles, elle peut aussi être dévastatrice pour certains environnements particulièrement fragiles.

« C’est problématique, indique Patrick Auger, président du conseil d’administration de Sans trace Canada. C’est toujours un sujet délicat. Les gens ont envie de nature, ce qui est une bonne nouvelle, mais ils se préoccupent peu de l’environnement. »

René Charest, spécialiste en conservation à la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ), rappelle que les sommets sont des écosystèmes très fragiles, notamment lorsqu’on parle des hauts sommets de Charlevoix ou de la Gaspésie. « Ça ne prend pas beaucoup de piétinement pour que la végétation disparaisse, affirme-t-il. Mais en même temps, ce sont les endroits les plus majestueux de ces parcs-là. C’est là où les gens veulent aller pour voir les paysages. »

La SEPAQ accorde donc beaucoup d’attention à ces territoires.

On essaie de canaliser les gens pour qu’ils demeurent dans les sentiers, soit par des aménagements, de la sensibilisation ou de l’application réglementaire.

René Charest, spécialiste en conservation à la SEPAQ

Il n’est donc pas permis de camper sur les sommets dans les parcs nationaux. « Ça nous obligerait presque à avoir une présence en plein milieu de la nuit, ce qui n’est pas évident, et on aurait probablement une dégradation de ces habitats-là. »

Il faut observer que la SEPAQ offre des refuges près de certains sommets qui permettent aux gens de faire de la longue randonnée et d’observer le coucher ou le lever du soleil sans porter atteinte à l’environnement.

Certains parcs régionaux offrent aussi des expériences intéressantes, comme le fameux « Camping au sommet » du parc régional du Mont-Ham. L’activité est tellement populaire qu’elle est déjà complète jusqu’à la fin de la saison, à la mi-octobre. Les autorités du parc ont travaillé fort pour réduire les impacts : le nombre de campeurs est limité, l’inscription est obligatoire, il y a un guide sur place et il faut transporter soi-même le bois pour le feu de camp depuis le bas de la montagne (deux bûches par personne !), pour ne pas dénuder la végétation du sommet.

PHOTO FOURNIE PAR MONT SUTTON

Le camping au sommet du mont Sutton est organisé pour ne pas endommager l’environnement et garder une certaine intimité pour les campeurs.

Au sommet du mont Sutton

Le camping au sommet du mont Sutton a aussi un impact minimal sur l’environnement de la montagne : il se pratique tout en haut des pistes de ski alpin, autour du chalet Altitude 840, donc sur un terrain déjà en partie déboisé. Les sites sont délimités, il n’est donc pas possible de camper n’importe où dans la nature.

« Ça permet une intimité entre chaque groupe », ajoute Nadya Baron, directrice du marketing de Mont Sutton.

Elle indique que le camping au sommet gagne en popularité d’année en année.

« Les gens font de plus en plus d’activités de plein air et cette année, avec la pandémie, ils sont plus nombreux à rester au Québec. »

Le chalet n’est pas accessible en 2020 en raison de la COVID-19, mais on a accès aux toilettes, ce qui protège la nature environnante. Il y a trois feux de camp communautaires, ce qui réduit le nombre de ronds de feu qu’on pourrait trouver dans le secteur.

Du mercredi au dimanche, un gardien est sur place pour accueillir la clientèle et s’assurer que les feux sont bien gérés, ajoute Nadya Baron.

Les impacts du camping au sommet des montagnes sont plus pernicieux lorsque les gens s’installent illégalement. Il y a quelques semaines, un randonneur est tombé sur un feu mal éteint au sommet du mont Gorille, dans les Laurentides. Sans son appel au 911, le feu aurait pu se propager.

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION LOISIR, CHASSE ET PÊCHE DU TERRITOIRE LIBRE – SECTEUR PIED-DES-MONTS

La végétation au sommet du mont des Morios est particulièrement fragile.

À d’autres endroits, le camping est permis, mais il reste beaucoup de sensibilisation à faire, comme sur le sentier du mont des Morios, dans Charlevoix.

« C’est un superbe endroit, mais c’est une zone alpine, fait observer Patrick Auger, de Sans trace Canada. J’ai vu des gens installer leur tente sur la végétation alpine. C’est un peu le réflexe humain : si on a le choix entre mettre la tente sur la roche ou la mettre sur un sol plus douillet, on opte souvent pour le sol douillet. »

Or, ce sol douillet est composé de plantes qui ne survivront pas à un tel traitement et qui auront besoin de plus de 100 ans pour renaître, affirme-t-il.

Les campeurs piétinent également la végétation en se déplaçant d’un site à l’autre et en recherchant un petit coin tranquille pour leurs besoins naturels.

L’Association loisir, chasse et pêche du territoire libre – secteur Pied-des-Monts, qui gère le sentier, est très consciente du problème. Le président du conseil d’administration de l’association, Gaétan Girard, tente de sensibiliser les randonneurs à l’entrée du sentier. « Mais cette année, on a été dépassés », affirme-t-il.

Pour visiter le mont des Morios, il faut devenir membre de l’association. Il y a trois ou quatre ans, celle-ci comptait 640 membres. Cette année, elle en comptait déjà plus de 5000 à la mi-août, avant même les mois de septembre et d’octobre, prisés des randonneurs.

M. Girard reconnaît que tout ce trafic risque d’endommager la végétation et le sol fragile des sommets.

« C’est surtout le campage sur le top qui brise l’écosystème, déplore-t-il. À un moment donné, si ça désagrège la montagne, on va être obligés d’interdire le camping sur la montagne. »

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION LOISIR, CHASSE ET PÊCHE DU TERRITOIRE LIBRE — SECTEUR PIED-DES-MONTS

Il y a de beaux terrains de camping dans des secteurs moins fragiles, notamment dans la vallée. On voit ici la chute des Îlets.

Il préfère toutefois la voie de la sensibilisation. Il recommande aux campeurs de ne pas installer leurs tentes sur la végétation. Il leur rappelle aussi qu’il y a d’autres endroits où camper le long de la grande boucle du sentier du mont des Morios, dans des secteurs moins fragiles.

L’association prévoit également installer des toilettes sèches à des endroits judicieux pour limiter l’impact sur l’environnement.

Patrick Auger a aussi des conseils pour les randonneurs. « Si j’avais à aller au mont des Morios, je m’informerais au sujet du nombre de campeurs, affirme-t-il. Je pourrais décider de revenir une autre fois s’il y a déjà trop de monde. Si j’y allais quand même, je m’installerais sur une surface durable. Mieux encore, j’éviterais de camper en haut de la ligne des arbres pour protéger le sommet. »

Une vidéo d’une étrange beauté. Dans ce court métrage de Ryan Gibb, Nico Vink parcourt une forêt récemment brûlée.

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Chiffre de la semaine : 280 mètres

C’est la profondeur du lac le plus profond au Québec, le lac Walker, au nord-ouest de Port-Cartier, sur la Côte-Nord.