Il n’est plus possible de faire l’ascension du plus haut sommet du Canada, le mont Logan, en solo. Il n’est pas non plus possible d’y faire une expédition hivernale. Pour le moment.

Parcs Canada vient d’imposer un moratoire sur ces types d’ascensions, en plus d’obliger les autres alpinistes à se munir d’une assurance valide.

La nouvelle a une résonance particulière au Québec, à la suite du sauvetage de l’alpiniste Monique Richard en juin 2018. La Québécoise avait atteint le sommet du mont Logan en solo, mais elle avait dû être secourue à la descente par deux autres alpinistes québécois, le duo père et fils Stéphane et Guillaume Gagnon.

Au cours des sept dernières années, Parcs Canada a dû effectuer huit opérations de sauvetage dans le secteur du mont Logan, dans le parc national Kluane, au Yukon. La plupart sont liées à des ascensions en solo et à des expéditions hivernales. C’est beaucoup compte tenu du très petit nombre d’alpinistes qui visitent le secteur, soit une moyenne de 35 groupes par année. Seulement 34 alpinistes tentent l’ascension du mont Logan lui-même par année. En comparaison, on parle de 1157 alpinistes par année pour le mont Denali, le plus haut sommet d’Amérique du Nord, avec une altitude de 6190 mètres. Pour le mont Logan, on parle d’une altitude de 5959 mètres.

PHOTO FOURNIE PAR PARCS CANADA

Le mont Logan se situe au cœur du parc national de Kluane, au Yukon.

« Le mont Logan est très éloigné, il y a très peu de gens qui y vont, note Ed Jager, directeur de l’expérience des visiteurs chez Parcs Canada. Il y a donc très peu de possibilités de se faire aider sur place s’il y a un problème. »

En cas de pépin grave, il faut dépêcher un hélicoptère et une équipe de sauvetage, ce qui représente des coûts élevés et des risques pour les sauveteurs.

« Il est important que les personnes impliquées dans des opérations de recherche et sauvetage ne se mettent pas en danger, rappelle M. Jager. On ne veut pas être la prochaine personne qui va avoir besoin d’aide quand on est en train de secourir quelqu’un. »

En hiver, les risques sont encore plus élevés, avec le froid et l’obscurité.

« Nous avons voulu voir comment mieux faire les choses, ce qui nous a amenés à prendre une série de décisions : un moratoire sur les expéditions hivernales et en solo et l’obligation de se munir d’une assurance », déclare M. Jager.

Dans l’ensemble des parcs nationaux du Canada, les visiteurs n’ont pas à payer les frais des opérations de recherche et sauvetage. La région du mont Logan sera donc une exception.

M. Jager souligne que la décision sur les expéditions hivernales et en solo n’est pas nécessairement permanente.

« On arrête pour le moment. S’il y a des changements, dans le contexte des opérations de Parcs Canada, on pourrait ramener les expéditions en hiver et en solo. »

PHOTO OLIVIER GIASSON, FOURNIE PAR SÉBASTIEN LAPIERRE

Sébastien Lapierre lors de l’une de ses expéditions

Une bonne préparation nécessaire

Sébastien Lapierre, premier Canadien à atteindre le pôle Sud en solitaire et en plein autonomie, note que les aventuriers ont une certaine responsabilité : ils doivent être bien préparés pour éviter les situations précaires et les opérations de sauvetage. Or, certains aventuriers recherchent les péripéties périlleuses, dont raffolent les médias. D’autres sont simplement mal préparés et collectionnent les ennuis.

C’est normal qu’il arrive des situations difficiles, c’est normal d’avoir des défis à relever, des obstacles à franchir, mais ce n’est pas normal de te mettre dans des situations où ta vie, ta santé, ta sécurité sont en péril presque tout le temps pendant l’expédition.

Sébastien Lapierre

Il note comment les médias se pressent de rapporter comment tel ou tel aventurier a été en mesure de se sortir de 25 situations périlleuses.

« Mais s’il s’est retrouvé dans ces 25 situations, c’est qu’il a commis 25 erreurs, c’est qu’il y a eu 25 cas de mauvaise préparation », affirme M. Lapierre.

Selon lui, cela ne fait qu’accroître les préjugés bien ancrés voulant que tous les aventuriers soient des égocentriques téméraires recherchant la gloire et les records à tout prix, parfois au détriment de leur propre sécurité.

Si certains aventuriers concoctent des expéditions sensationnelles ou visent des premières et des records, c’est évidemment pour attirer les commanditaires. Cela crée une pression supplémentaire pour atteindre les objectifs fixés, qui s’ajoute à la fièvre des sommets qui s’empare souvent des alpinistes et les pousse à aller de l’avant alors qu’il serait préférable de rebrousser chemin.

« Les comportements discutables récents de certains sur le mont Logan et dans le parc Kluane auront convaincu les autorités responsables d’émettre un moratoire sur les expéditions en solo et les expéditions hivernales dans ce parc national, affirme Sébastien Lapierre. Voilà une autre conséquence de nos actions en expédition. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE MONIQUE RICHARD

Monique Richard au sommet du mont Logan

Dans une déclaration écrite, Monique Richard défend sa préparation et la pertinence de ses décisions tout au long de son expédition, mais reconnaît que son évacuation aura été une « occasion d’apprentissage pour [elle] » et qu’elle a pu identifier « des éléments pouvant être améliorés ».

Elle maintient que son ascension est historique puisque, avant elle, « aucune femme n’avait été aussi loin en solo sur Logan ». Elle reconnaît toutefois qu’une première n’a toujours pas été réalisée, soit une ascension en solo avec descente complète.

Elle espère que Parcs Canada lèvera son moratoire pour permettre à nouveau les expéditions en solo et les expéditions hivernales.