La cinquantaine passée, aucune expérience de navigation et un budget aux allures de peau de chagrin. Nathalie Deraspe n’avait pas vraiment le profil de l’emploi pour mettre les voiles du jour au lendemain. Pourtant, sur un coup de tête survenu un beau matin de 2017, la Madelinienne s’est jetée à l’eau en amorçant des périples de dizaines de milliers de kilomètres, naviguant d’une embarcation à l’autre, en qualité de « bateau-stoppeuse ». Elle en a tiré un livre, La fille à bord, mais aussi des expériences inoubliables et des leçons maritimes précieuses.

Schématiquement, quel a été votre périple ?

Le premier capitaine voulait rejoindre les Tuamotu, en Polynésie. On est partis de Camargue, en France, vers les Baléares. Un pépin au niveau du moteur nous a menés à Ibiza, puis nous avons longé la côte espagnole, passé le détroit de Gibraltar, sommes allés au Maroc puis aux Canaries. Nous avons eu alors quelques mésententes avec le capitaine et à partir de là, j’ai décidé de tenter ma chance comme bateau-stoppeuse.

Avec un autre capitaine, nous nous sommes lancés dans une traversée de 26 jours en mettant le cap sur la Martinique, avec tous les pépins du monde : la bôme s’est brisée, puis le pilote automatique. Physiquement, ce fut extrêmement dur. Une fois rendus, nous avons fait un saut en Guadeloupe et à Saint-Martin, en essayant de soutenir les locaux, qui avaient essuyé le passage de l’ouragan Irma six mois plus tôt.

Puis nous avons fait les îles Vierges britanniques et américaines, un des plus beaux endroits de la planète pour naviguer. Après, Porto Rico, la République dominicaine, les Bahamas, et enfin la côte est américaine, avant de terminer à New York.

Aussitôt rentrée, je me suis empressée de trouver un autre bateau pour repartir, avec un capitaine qui me proposait de faire l’Afrique de l’Ouest et la côte brésilienne.

Vous avez connu des moments de grâce, mais aussi des tempêtes…

Quand nous étions en Méditerranée, j’ai songé aux migrants et rencontré l’un d’eux à Carthagène, alors que nous, nous étions dans un bateau stable, avec des vêtements chauds. 

Nous avons subi deux tempêtes, qui m’ont donné deux bonnes trouilles : au large du Maroc et en quittant les Bahamas.

Dans la portion des îles Vierges, je me suis sentie comme en croisière. Ça peut aussi être ça, la voile, ce n’est pas obligé d’être toujours éprouvant, il y a des moments où l’on apprécie la vie, le soleil et les dauphins.

On côtoie le paradis et l’enfer en même temps, ça m’a fait grandir énormément. On voit bien que les tempêtes finissent par passer, tout comme celles dans notre vie. Ça rend plus résilient.

Êtes-vous partie sous le coup d’une impulsion ?

Je reçois parfois des signaux pour prendre des décisions. Mais un dimanche matin, j’en ai reçu un particulièrement puissant. C’était une discussion entre moi et moi-même, un vrai ping-pong mental. « Tu as toujours rêvé de faire un tour du monde à la voile, qu’est-ce que tu attends ? »

Je voulais honorer la mémoire de mes ancêtres marins, il y avait un appel viscéral. Il fallait que je prenne la mer. J’ai cherché des capitaines sur le site vogavecmoi.com. Quand l’un d’eux m’a répondu « tout est parfait », ce fut le coup d’envoi, un accord tacite venait d’être scellé.

Quelles sont les attentes des capitaines ?

Il y a de jeunes rêveurs qui pensent qu’une traversée de l’Atlantique, c’est tenir un petit journal et que la vie est belle, alors que les capitaines s’attendent à ce qu’on contribue. Je n’avais pas d’expérience, mais je cuisinais et il fallait tout faire : assurer les quarts de surveillance, tenir la barre, etc. On apprend à la dure.

Songez-vous à un prochain périple ?

Je vais probablement terminer de découvrir la côte brésilienne, jusqu’en Uruguay, pour pouvoir documenter ce voyage-là. Les navigateurs n’osent pas aller dans ce coin, ils disent que « ça craint, ça craint ». Alors que le seul endroit où ça craint, c’est entre nos deux oreilles.

Quels conseils donneriez-vous à nos moussaillons de lecteurs ?

Il faut avoir foi en soi, en ses capacités, pas en quelqu’un ni en une idée. Au plus profond de nous-mêmes, on a cette force. Il faut être joyeusement écervelé, ce sont des décisions qui viennent du ventre et non du mental. Quand le rêve surgit, c’est parce que c’est le moment de le réaliser. Les gens n’ont pas peur de mourir, ils ont peur de vivre.

IMAGE FOURNIE PAR NATHALIE DERASPE

La fille à bord, de Nathalie Deraspe

La fille à bord, de Nathalie Deraspe. Auto-édité. 312 pages. Édition papier ou numérique.