Apprendre la cuisine thaïe à Bangkok, chanter dans la rue à Dublin, s'initier au lancer de la hache à Montréal... Pour certains, un voyage prend tout son sens dans une expérience qui permet une rencontre avec les gens du coin. Beaucoup y voient un terreau fertile, dont le géant Airbnb. Portrait d'une tendance en forte croissance.

Le géant qui nuit... ou qui aide?

Avec l'essor de l'économie de partage, les rubriques «Activités» des guides de voyage ont pris de sacrées rides. De plus en plus de voyageurs se tournent vers des plateformes en ligne pour dénicher aventures et ateliers organisés par des habitants du lieu visité, qu'ils soient pros, simples particuliers ou même bénévoles. Sentant la bonne affaire, Airbnb a tôt fait de mettre son nez dans le dossier; le poids lourd numérique va-t-il, une fois encore, venir brouiller les cartes?

Après le développement de solutions d'hébergement et de transport issues de l'économie collaborative, c'est au tour de l'organisation d'activités touristiques de connaître un chamboulement de l'offre et de la demande. Applications et sites internet facilitant la mise en relation entre touristes et animateurs, guides ou prestataires de services de tous poils essaiment désormais sur l'internet. S'initier à la calligraphie à Tokyo? Apprendre à cuisiner des tacos à Mexico? Trouver un guide pour un safari en Afrique du Sud? Ou pour une simple balade à vélo italienne? Tous ces divertissements sont désormais à portée de clic par l'intermédiaire de portails agrégateurs, généralistes ou spécialisés: TourMega, Withlocals, GetYourGuide, etc.

Un appétit à combler

C'est le cas de Cookly, plateforme cofondée en 2016 à Bangkok par le Gatinois Etienne Marleau-Rancourt et son complice Benjamin Ozsanay, qui offre un large éventail de cours et d'ateliers culinaires dans près d'une trentaine de pays. À l'origine du projet, le tandem a rapidement constaté, en arrivant en Thaïlande, qu'il avait peiné à trouver par lui-même des cours de cuisine locale.

«On a vu qu'il y avait vraiment un vide entre l'accessibilité pour les touristes et la visibilité pour les écoles de cuisine. On a visité plusieurs écoles pour voir si c'était un besoin de leur côté et ça s'est rapidement avéré. On a donc développé notre propre plateforme», relate le jeune entrepreneur québécois. La mayonnaise n'a pas tardé à prendre: la clientèle et l'offre se sont développées et diversifiées en l'espace de quelques mois.

Aux côtés de ces nouvelles pousses, les plateformes de la première heure sont plus que jamais actives. La canadienne ToursByLocals, qui vient de souffler ses 10 bougies, regorge de services de guides locaux spécialisés, d'excursions et d'activités partout sur le globe. Quant au précurseur Greeters, né en 1992, il va beaucoup plus loin dans le concept de l'«économie de partage», puisqu'il permet de faire le pont entre touristes et guides bénévoles dans plus de 250 destinations.

Airbnb, un prédateur?

C'est sur cet échiquier florissant qu'une pièce majeure a fait son entrée: Airbnb.

Profitant des visiteurs sur sa plateforme d'hébergement, le géant a lancé «Expériences» en 2016, suggérant une palette d'activités locales à ses clients. Au Québec, en épluchant les offres de services, on se voit ainsi offrir les divertissements les plus classiques (randonnée sur le mont Royal, ateliers de cuisine...) comme les plus saugrenus (nage en costume de sirène, séance de yoga avec un chien...).

«Expériences, c'est une sorte de Netflix dans le domaine du divertissement hors ligne. Sur le long terme, nos principaux concurrents seront le divertissement traditionnel et le fait de rester sur son sofa», lance Riccardo Ulivi, chef d'exploitation de la plateforme pour l'Amérique du Nord, en précisant que ce volet «propose une offre que l'on ne trouve pas sur d'autres plateformes, fournissant de véritables activités uniques qui immergent les hôtes dans la communauté».

Pourtant, la concurrence est évidente avec les agences de voyages traditionnelles et les sites naviguant dans les mêmes eaux. Le géant fait-il craindre une cannibalisation dans le secteur?

Le cofondateur de Cookly, lui, préfère tempérer, et il voit même la venue du mastodonte d'un bon oeil: la spécialisation en gastronomie est un atout dans sa manche.

«C'était surprenant [l'arrivée d'Airbnb], mais on a vite compris que ce serait quelque chose de positif pour nous. Avec Airbnb, ça va peut-être donner l'envie aux gens de découvrir les cours de cuisine, avant de se diriger par la suite vers Cookly. Notre force, c'est la mise en valeur des menus et les personnalités de ceux qui enseignent.»

Même attitude chez ToursByLocals, qui estime proposer une offre «différente». «Nos tours sont tous privés et offerts par des guides professionnels, qui ont passé des entrevues, fait l'objet de vérifications et obtenu une formation avec nous», indique Sara Cooke, directrice des communications de la plateforme, qui considère que le «niveau de professionnalisme n'est pas le même».

Mais Airbnb n'entend pas se laisser dénigrer ainsi. «Nous misons sur la qualité et seulement 30 % des milliers de candidatures que nous recevons chaque semaine répondent à nos critères», souligne Riccardo Ulivi.

Du côté de Greeters, qui met en relation des touristes et des guides bénévoles, on dort sur ses deux oreilles. «La principale différence entre eux et nous est que notre service est vraiment gratuit. C'est plutôt une nouvelle façon de partager, pas un modèle d'affaires», indique Jos Nusse, président du réseau.

Des avantages

Pour sa part, le centre montréalais Sports de combat, ouvert depuis avril 2017, n'a pas hésité à annoncer ses activités sur la plateforme d'Airbnb. Depuis quelque trois mois, il y affiche deux loisirs à l'intention des touristes internautes : le lancer de hache et le tir à l'arc.

«Ça nous paraissait une bonne occasion d'avoir un contact direct avec les touristes à Montréal, explique Sam, l'un des superviseurs du complexe. Nous avons eu de bonnes expériences avec Airbnb en ce qui concerne le logement, et on y trouve des gens qui ont une croyance dans l'économie du partage.»

Le centre n'y voit que des avantages: meilleure visibilité et augmentation du volume de la clientèle, surtout pendant les périodes de vacances. «C'est tellement plus pratique pour les voyageurs d'utiliser la même plateforme dont ils se servent pour leur logement que d'aller sur un autre site web et nous trouver par eux-mêmes», estime Sam, qui précise qu'Airbnb prélève environ 20 % sur chaque transaction faite avec un client.

D'ailleurs, à cause de la commission payée à la plateforme en ligne sur chaque réservation, des internautes ont souligné que les prix y étaient parfois plus élevés qu'en réservant directement auprès de l'entreprise (par exemple, un centre d'équitation ou une école de surf). L'inverse est aussi vrai: certaines activités reviennent au même prix, voire moins cher sur Airbnb que si elles sont réservées directement auprès du prestataire. Mieux vaut donc faire quelques recherches préalables, si l'on veut s'assurer d'avoir le meilleur prix.

Airbnb propose déjà plus de 25 000 activités dans 1000 villes du monde. Tel un lanceur de hache, le géant numérique atteindra-t-il sa cible, comme il l'a fait dans le domaine de l'hébergement? Réponse dans les années à venir.

- Avec la collaboration d'Isabelle Ducas, La Presse

Dublin avec les Dublinois

Dublin, Irlande -Après avoir popularisé la location d'appartements entre particuliers, Airbnb propose des «expériences» avec des gens qui vivent aux quatre coins du monde, pour découvrir une destination sous un autre jour. Nous en avons testé quatre, à Dublin.

Photo Isabelle Ducas, La Presse

Nous avons eu l'occasion de chanter dans la rue, avec John à la guitare.

Dans la peau d'un musicien de rue

Guide: «Runaway John», qui vit de sa musique dans les rues de Dublin

Prix: 47 $/personne

Ce qu'on a découvert: pourquoi Bono et The Edge, de U2, ont-ils acheté l'hôtel The Clarence? Un ancien propriétaire les a déjà chassés parce qu'ils «dérangeaient» les clients en chantant sur le trottoir. Bono aurait répliqué qu'un jour, l'hôtel serait à lui. C'est l'une des anecdotes que l'on apprend en sillonnant les rues pour découvrir les musiciens qui y jouent. Nous avons pu y entendre Allie Sherlock, une chanteuse de 12 ans qui a été invitée à l'Ellen Show après la diffusion de sa performance dans Grafton Street.

Moment fort: la fin, lorsque nous avons eu l'occasion de chanter dans la rue, avec John à la guitare.

Tournée des friperies avec une fashionista

Guide: Mélissa, ancienne propriétaire de friperie

Prix: 28 $/personne

Ce qu'on a découvert: nous avions déjà trouvé par nous-mêmes certaines boutiques, mais nous en découvrons d'autres, adaptées au style et au budget de nos deux adolescentes mordues de mode. Son réseau inclut aussi les magasins d'oeuvres caritatives (comme ceux de la Société Saint-Vincent-de-Paul) où l'on peut faire les meilleures trouvailles.

Moment fort: les suggestions d'agencements de Mélissa, qui nous fait profiter de son flair pour les tendances.

Photo Jason Alden, Archives Bloomberg

Grafton Street, à Dublin, est toujours fort achalandée.

Fabriquer son propre jonc en argent

Guides: Maddy et Sinead, créatrices de bijoux et propriétaires d'un atelier-boutique

Prix: 116 $/personne

Ce qu'on a découvert: à notre arrivée, une petite languette d'argent et des outils sont disposés devant nous. Deux heures plus tard, nous ressortons avec une bague à notre doigt, après avoir appris comment travailler ce métal précieux. Pas vraiment de découverte de la ville ici, mais en maniant maillet, lime et cisaille, notre groupe de huit aura l'occasion de questionner nos hôtesses sur leur métier et leur ville.

Moment fort: réaliser qu'on est capable de créer un bijou de ses propres mains.

Photo Isabelle Ducas, La Presse

Réaliser qu'on est capable de créer un bijou de ses propres mains est vraiment gratifiant.

Concerts sous les ponts en kayak

Guides: on n'a pas eu l'occasion de les rencontrer vraiment, en raison du grand nombre de participants (une trentaine).

Prix: 78 $/personne

Ce qu'on a découvert: découvrir Dublin en pagayant au fil du Liffey, la rivière qui traverse la ville, est déjà très plaisant. Une entreprise de location de kayaks bonifie l'expérience en y ajoutant des musiciens, en chaloupe à moteur, qui se produisent sous les ponts, là où l'acoustique est la meilleure. Un bémol: les musiciens, que l'on ne connaît pas, parlent peu d'eux-mêmes et des chansons qu'ils interprètent.

Moment fort : lorsqu'un musicien a enseigné rapidement le refrain d'une chanson traditionnelle irlandaise au groupe de kayakistes, qui l'a reprise en choeur avec lui. Magique!

Photo Isabelle Ducas, La Presse

Une entreprise de location de kayaks offre d'écouter des musiciens, en chaloupe à moteur, qui se produisent sous les ponts.