Il y a les voyageurs qui foncent tête baissée dans le techno et s'accrochent à tout prix au moindre signal réseau. Puis ceux qui débranchent tout pour s'aventurer à l'ancienne, carte en main. Ces deux types de nomades font face à des défis spécifiques. Ils nous dévoilent leurs secrets respectifs, les uns pour gonfler leur connectivité, les autres pour la tarir et s'en sortir, histoire de vous aider à voyager comme vous le voulez!

ALEX NORMAND ET MARIE-JOSÉE LALANDE: HYPERCONNECTÉS PARTOUT

Le maillage technologique s'est développé de façon exponentielle durant la dernière décennie. Mais si rester connecté au pays demeure aisé, conserver un accès permanent et de qualité à l'étranger est une autre paire de manches. Cartes SIM, appels internationaux, accès au réseau... la gestion et les coûts changent au gré des frontières, ce qui peut devenir un vrai casse-tête pour qui improvise en la matière. 

Depuis qu'ils sont devenus vidéastes de voyage professionnels, Alex Normand et Marie-Josée Lalande, alias Alex & MJ On The Go, sont condamnés à l'hyperconnexion. Après avoir sillonné tous les continents ou presque, ils nous montrent comment ils manoeuvrent pour rester en permanence sur la Toile.

Une SIM, tout simplement

«À l'étranger, on s'achète toujours une carte SIM pour notre téléphone débloqué. Une fois qu'on a ciblé un pays, avant de partir, on fait une recherche Google pour consulter les commentaires sur les différentes entreprises téléphoniques et on n'en retient qu'une ou deux. Ça nous évite d'être bombardés par 15 opérateurs inconnus une fois sur place», confie le couple nomade, qui n'hésite pas, en marge, à interroger les habitants sur leurs forfaits et fournisseurs favoris.

Où s'en procurer? Dans les pays où l'anglais ou le français sont assez employés, la boutique d'un opérateur fait généralement l'affaire. «D'habitude, ils comprennent les mots clés : data, minutes, etc.», indique Alex. Ailleurs, en Chine par exemple, mieux vaut se tourner vers les succursales au sein des aéroports. Les tarifs y sont certes un peu gonflés, mais puisque les employés parlent anglais, cela désamorce les mauvaises surprises et permet de surfer sur l'internet à peine le pied posé en sol étranger. «On procède comme ça si on veut avoir tout de suite accès à notre Google Maps», complète Marie-Josée.

Déterrer l'internet haute vitesse

Utiliser son forfait de cellulaire canadien pour les appels et les données à l'étranger, c'est s'assurer une facture colossale. Or, le voyageur hyperconnecté a besoin d'une connexion constante, et à haut débit, pour partager ses photos et vidéos HD.

La qualité de la ligne internet devient alors un critère de premier plan dans le choix d'un logement. «Si l'internet n'est pas assez bon, on n'y va pas, lance Marie-Josée. D'ailleurs, il est souvent bien meilleur dans les logements loués par Airbnb que dans les auberges, où beaucoup de monde se connecte en même temps.» Alex conseille également d'éplucher les commentaires des internautes relatifs à ce point; lui-même va jusqu'à faire des tests de rapidité de connexion sur place avant d'opter pour un logement. «On obtient ainsi toutes les mesures de téléchargement et de téléversement», glisse-t-il. Les sites gratuits meter.net ou speedtest.att.com, entre autres, peuvent réaliser ces tests.

Pas à court d'appels

Le voyageur hyperconnecté ne fait pas que «pitonner». Il a aussi besoin de parler. Alors pas question de se passer d'appels téléphoniques.

Alex et MJ, qui se procurent des forfaits de données touffus, ont testé toutes sortes de plateformes d'appels par internet, comme Fongo, pour appeler au Canada gratuitement, ou Rebtel, qui propose de gros forfaits à bas coût.

«L'appli Whatsapp est très utilisée à l'étranger, c'est une bonne idée de mettre son compte à jour avant de partir», recommande Marie-Josée.

Avec application

Dans le cellulaire du couple, on trouve un véritable arsenal d'applications, dont celles de base: Maps.Me pour les cartes hors ligne, Currency Exchange pour les conversions de devises, Airbnb, Booking, Google Translate, Uber. Mais l'hyperconnecté est aussi branché sur les particularités locales. «Avant de partir en Corée, nous avons fait des recherches et nous nous sommes équipés des applications équivalentes locales, parce que ni Google Maps ni Uber ne fonctionnaient.»

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le couple Alex Normand et Marie-Josée Lalande recommande de consulter le site nomadlist.com, qui permet de connaître le degré de connectivité de chaque pays.

ALEXANDRE RIENDEAU: DÉCONNECTÉ, SANS REGRET

Même si les séjours de «détox numérique» se multiplient, le baroudeur débranché, véritable antithèse du voyageur surconnecté, est bel et bien en voie de disparition. La prolifération des réseaux a été si effervescente qu'il nous semble presque impensable, en 2018, de survivre sans cellulaire dans la jungle mondiale. Pourtant, Alexandre Riendeau navigue toujours à l'étranger comme un poisson dans l'eau, même privé de toute palme technologique. Comment s'en sort-il? Disons qu'il a sa façon de se connecter bien à lui...

Faire ses devoirs

«La seule fois où je me suis dit que j'aurais eu besoin d'un cellulaire en voyage, c'est lors d'une panne d'électricité au Maroc, pour avoir l'option lampe de poche!», s'esclaffe ce scripteur-scénariste qui a traversé nombre de pays, et pas des plus faciles (Inde, Maroc, Japon...), sans béquille web. Pour lui, il s'agit de jouer les bonnes cartes, et surtout les cartes géographiques.

«Il faut faire ses devoirs d'avance, effectuer beaucoup de recherche avant de partir. Une fois que j'ai un semblant d'itinéraire, je m'équipe d'un Lonely Planet et je complète avec un Cartoville, que j'apporte avec moi.»

Il n'hésite pas à dresser ses propres cartes détaillées, pour les itinéraires moins évidents, comme il l'a fait cette année afin de suivre un parcours d'art urbain en Scandinavie, consigné sur des cartes Google imprimées et annotées avant le départ. «J'ai ben des papiers! confesse-t-il. Ça fait partie de mon plaisir, la courbe du voyage est importante avant, dans la préparation. Après, il y a une partie plus inconnue, mais j'y arrive toujours, j'ai l'impression d'être prêt parce que j'ai fait mes devoirs. Si tu es bien préparé, que tu as de bonnes cartes avec toi, c'est facile.»

Se connecter aux habitants

À l'heure où l'on peut s'autogéolocaliser au mètre près par GPS, était-il vraiment handicapant de se priver des Google Maps de ce monde? «Au Maroc, dans les médinas labyrinthiques, je me suis souvent fait poser la question. Oui, je me suis perdu à quelques reprises, mais je n'ai pas peur d'interpeller les gens et de leur demander le chemin, alors que la moitié des touristes avaient les yeux rivés à leur écran et manquaient plein d'affaires», expose le voyageur, qui n'hésite pas à modifier son itinéraire et à ajouter des étapes basées sur ses échanges avec les gens de l'endroit.

Idem pour le choix des restaurants et pour toutes sortes de recommandations: l'information est cueillie à la source, sur place.

«En plus, si tu es assis tout seul dans un café à l'autre bout du monde sur ton cell, tes yeux ne se promènent pas, tu n'es pas en train d'échanger un sourire avec la personne qui est au café, tu es plus fermé. Je pense que je suis plus disponible», considère-t-il.

Être plus souple

Même si le quadragénaire a commencé dernièrement à faire quelques réservations préalables, à interroger Google ou à consulter des forums, il a longtemps voyagé en se lançant à l'aventure sans préparation aucune. «Je m'arrêtais dans les pensions, je visitais la chambre pour voir si ça me plaisait. J'avais une liberté totale. Si j'avais un coup de coeur pour une ville, ça me permettait de rester plus longtemps. Effectivement, il y a un risque que tu veuilles partir tel jour et qu'il n'y ait pas de bus ce jour-là, mais bon, je suis prêt à l'assumer.»

Encore une fois, plutôt que de quérir conseil auprès de son iPhone, le voyageur débranché préfère s'adresser à la «faune» locale, prompte à infléchir ses (non-)plans et ajouter sites et étapes à son voyage. «Il faut se laisser porter, mais aussi se fier à son instinct», conclut celui qui est devenu un oiseau rare du nomadisme.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Alexandre Riendeau n'a pas de cellulaire dans la vie quotidienne, et a fortiori n'en a pas en voyage. Cela lui permet d'explorer de nouvelles voies, autres que numériques.

DES OUTILS POUR RESTER CONNECTÉ

La plupart de voyageurs aiment rester au moins un peu branchés même à l'autre bout du monde. Mais comment s'y prendre pour utiliser son téléphone, sa tablette ou son ordinateur portable en voyage? Nos conseils pour étoffer son arsenal afin de parer à toute pénurie numérique.

La recharge, c'est dans le sac

Divers fabricants n'ont pas tardé à courtiser les voyageurs connectés en mettant au point des sacs à dos avant-gardistes. La société new-yorkaise Voltaic, par exemple, a mis au point une série d'équipements munis de panneaux solaires branchés à une pile, permettant de recharger sur la route ses appareils technos, même énergivores. Les panneaux peuvent aussi être achetés à part et installés sur votre sac favori.

Le WiFi dans la poche

Certains pays ou entreprises proposent aux touristes la location de bornes WiFi mobiles. La borne vous suit partout et on peut y connecter plusieurs cellulaires ou tablettes simultanément. Au Japon, deux semaines de location coûtent une centaine de dollars. Pour l'Europe, parmi d'autres, hippocketwifi.com loue ce service. Cette solution s'avère intéressante pour les groupes de voyageurs.

Souvenirs et sauvegardes

En voyage, on bouge, on se presse, on déballe et on remballe. Et des fois, on perd ou on oublie. C'est pourquoi le voyageur techno a tout intérêt à faire affaire avec son grand ami: le nuage (dit cloud). Cartes, documents importants et photographies devraient être synchronisés en ligne, ou placés dans un serveur de type Dropbox. Pour les fichiers volumineux, on trouve des miniclés USB qui peuvent se brancher directement dans la plupart des cellulaires.

Jamais à plat

Journée bien remplie (photos par milliers, déplacements avec GPS, applis de traduction) rime avec pile vidée. Le prix des piles de recharge portables a baissé et le choix est immense, avec diverses capacités et vitesses de chargement.

Avoir sa langue dans sa poche

Disons-le tout de suite: la traduction des langues est une chose si complexe que les technologies de reconnaissance vocale, bien qu'ayant progressé, se mettent souvent le pied dans la bouche. Divers minitraducteurs spécialisés dans cette fonction sont offerts sur le marché, même si aucun ne semble être le Saint Graal. Par exemple, l'outil baptisé Ili fonctionne hors connexion et sans cellulaire... mais ne traduit que dans un seul sens, avec un nombre limité de langues.

Sauter la Muraille

C'est un secret de Polichinelle: le blocage de certains sites et applications par certains pays, comme la Chine, n'est pas insurmontable. De nombreux voyageurs installent avant de partir une application de type VPN (Virtual Private Network) sur leur cellulaire, créant une connexion à distance, ce qui permet de contourner l'interdit et d'accéder à Facebook ou à Google. Cela dit, le réseau reste tout de même surveillé.

Illustration La Presse

POURQUOI VOULOIR ÊTRE (DÉ)BRANCHÉ?

Oscillant entre la quête de l'hyperconnectivité et celle du débranchement volontaire, la philosophie du voyage est en pleine mutation. Nous avons demandé à Mohamed Reda Khomsi, professeur au département d'études urbaines et touristiques à l'UQAM et expert en innovation du tourisme, de nous éclairer sur cet écartèlement.

Pourquoi certains voyageurs ressentent-ils le besoin de se passer de technologie, alors qu'elle pourrait les aider à mieux gérer leur voyage?

À la base, le voyage est perçu comme une échappatoire à la normalité qui marque le quotidien des sociétés occidentales. Dans ce contexte, et comme les technologies sont devenues une partie intégrante de notre normalité, il est tout à fait normal que certains voyageurs sentent le besoin de se déconnecter pendant leur voyage. Je tiens à préciser toutefois que la déconnexion de beaucoup de voyageurs est parfois forcée. Dans l'imaginaire collectif, on a toujours l'image du voyageur connecté un peu partout, mais dans la réalité, les frais d'itinérance restent élevés pour le commun des mortels et plus particulièrement lorsqu'on change de continent. Notons finalement que l'accès à l'internet n'est pas aussi simple partout dans le monde. Certaines régions de l'Afrique ou de l'Asie restent peu connectées même si elles proposent de très belles expériences touristiques. Sans aller jusqu'au bout du monde, il existe au Québec plusieurs régions où la connexion est plus ou moins faible, voire inexistante.

Les nouvelles technologies créent-elles de la dépendance chez le voyageur hyperconnecté, voire une atrophie de certaines capacités généralement développées en voyage, comme la débrouillardise ou les aptitudes sociales?

A priori oui, mais il faudrait consulter des spécialistes en santé publique pour voir comment ils définissent ce type de dépendance. [...] Pour revenir au voyageur, plusieurs études ont démontré que la connexion fait désormais partie intégrante de l'expérience du voyage. Autrement dit, si une entreprise touristique n'offre pas du WiFi sur place, le voyageur peut être déçu de son expérience. Le partage de l'expérience en temps réel, à travers Facebook live par exemple, est perçu par les Y comme faisant partie du voyage, puisque cette génération s'inscrit dans une logique de l'instantanéité où il faut partager l'expérience au moment où elle se produit, et non après. Cette situation explique, entre autres, pourquoi plusieurs villes investissent dans le développement d'un réseau WiFi public accessible à tous et surtout aux touristes qui visitent la ville.

D'après vous, quels seront les nouveaux moyens technologiques à la disposition du voyageur dans les décennies à venir?

L'intelligence artificielle va bouleverser les façons de faire, si ce n'est pas déjà commencé. La capacité d'analyser un volume important de données, jumelée à l'apprentissage profond, fera en sorte que les propositions d'expérience touristique seront de plus en plus adaptées aux besoins de la clientèle. Dernièrement, j'ai vu passer une application qui fait de la traduction simultanée avec une précision intéressante. D'ailleurs, à Paris, certains théâtres ont commencé à cibler la clientèle asiatique avec cette technologie et, a priori, les résultats sont très encourageants.

À lire: Le voyageur hypermoderne

Cet ouvrage signé par deux universitaires de l'Université de Pau, en France, analyse justement les mutations, dilemmes et contradictions du nomade du XXIe siècle, qui est «ici et ailleurs à la fois», en s'appuyant sur de nombreuses entrevues et beaucoup de témoignages. «Comme autrefois le voyageur traditionnel laissa sa place à un voyageur moderne, notre époque voit ce dernier être remplacé à son tour», écrivent les auteurs de cette recherche sociologique remarquable.

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Le voyageur hypermoderne, Francis Jauréguiberry et Jocelyn Lachance, éditions Érès, 2017, offert en version numérique, 18 $.

Illustration La Presse