Les amis, les femmes, les enfants, les artistes et les purs inconnus qui ont posé pour le célèbre peintre britannique Lucian Freud sont en vedette ces jours-ci à la National Portrait Gallery de Londres. Une exposition majeure qui regroupe plus d'une centaine d'oeuvres et couvre presque 70 ans de carrière.

«Si une peinture n'a pas d'aspect dramatique, elle ne fonctionne pas. C'est seulement de la peinture sortie d'un tube», disait Lucian Freud. Il aura été fidèle à ses principes jusqu'à la fin.

Portrait of the Hound, la dernière toile sur laquelle il travaillait encore quelques semaines avant de mourir, le 20 juillet dernier, est poignante. Assez avancée pour qu'on voit clairement l'intention de l'artiste, mais laissée en suspens. L'assistant de Freud, David Dawson, est là tout entier. Son chien Eli, par contre, n'a que la tête et l'avant du corps. On a à la fois l'impression que le peintre va venir terminer son oeuvre, et la conscience que le temps lui a manqué. Troublant.

Les portraits de Freud vont bien au-delà de la simple représentation du corps humain. L'artiste travaillait très lentement, essuyant son pinceau après presque chaque trait pour pouvoir appliquer un mélange de couleurs différent à chaque touche. Les séances de pose s'étalaient donc sur de nombreux mois, souvent même de nombreuses années, durant lesquels le peintre échangeait beaucoup avec ses modèles. Le résultat final est plus révélateur que n'importe quelle photo.

On pense à cette tête de John Minton, un peintre et illustrateur profondément angoissé qui s'est suicidé quelques années plus tard. Ou à John Deakin, un autre visage tourmenté: photographe-vedette dans les années 60, celui-ci avait en réalité une assez piètre opinion de son travail, car il aurait préféré être peintre.

Regard lucide

L'artiste posait un regard tout aussi lucide sur lui-même. Il suffit de voir Reflection, un autoportrait réalisé dans la soixantaine, peint d'après son reflet dans un miroir, de nuit, sous une lumière crue. «J'ai essayé de me voir de manière inattendue. La personne que je ne peux pas, ou ne veux pas, imaginer», expliquait-il. Il ne sera pas plus indulgent dans un autre autoportrait, produit l'année de ses 80 ans. On l'y voit ridé, la main crispée, l'air presque absent.

Freud a peint ses femmes, ses enfants et ses amis artistes, mais aussi de parfaits inconnus, comme ce voleur de banque au visage couturé de cicatrices qui habitait dans le même immeuble que lui dans les années 40. Et cette fonctionnaire de la Sécurité sociale aux formes plus que généreuses, Sue Tilley, dont l'un des nus, Benefits Supervisor Sleeping, s'est vendu plus de 33 millions US en 2008, un record pour un artiste vivant.

Lucian Freud: Portraits est l'affiche à la National Portrait Gallery (NPG) jusqu'au 27 mai. L'audioguide vendu en ligne offre un aperçu très intéressant avec, en prime, des extraits d'entrevues avec l'artiste et plusieurs de ses sujets. Une centaine de dessins de Lucian Freud sont aussi exposés à Londres, à la galerie Blain/Southern, jusqu'au 5 avril. L'exposition de la NPG se transportera ensuite au Musée d'art moderne de Forth Worth, au Texas, du 1er juillet au 28 octobre.