La naissance du tourisme au Québec est souvent associée à Charlevoix et Tadoussac. Mais il ne faut pas oublier que le lac Saint-Jean fut également une destination très populaire auprès des riches canadiens, américains et même européens à la fin du XIXe siècle. Et cela grâce à la vision d'un homme d'affaires américain, Horace Jansen Beemer, considéré comme un des pionniers du tourisme au Québec.

Né en 1845 ou 1848 aux États-Unis, cet ingénieur découvre les richesses du lac Saint-Jean alors qu'il obtient le contrat, en 1883, de compléter la construction du chemin de fer entre Saint-Raymond-de-Portneuf et le lac. Il réalise alors tout le potentiel touristique de la ouananiche, un saumon d'eau douce que l'on retrouve alors en quantité astronomique. «Les pêcheurs pouvaient en attraper 300 lors d'un seul voyage», rappelle l'historien Éric Tremblay.

En quelques années, M. Beemer bâtit un empire touristique. À Roberval, en 1888, il érige un grand hôtel de style château de 100 chambres, qui en comptera plus du double quelques années plus tard. «Le luxe de l'Hôtel Roberval se compare à celui du Château Frontenac, qui sera construit quelques années plus tard», explique M. Tremblay. Tennis, baignade, croquets et une quinzaine d'ours noirs en cage, tout est prévu pour divertir la haute société!

À la même époque, l'homme d'affaires obtient les droits de pêche dans toutes les rivières affluentes du lac. Près de la rivière Grande Décharge (là où le lac Saint-Jean se déverse pour former un peu plus loin la rivière Saguenay), il construit un chalet de pêche de 36 chambres, l'Island House, aussi prestigieux que l'hôtel Roberval, à proximité de l'habitat de la ouananiche. Outre la pêche miraculeuse, les touristes viennent descendre en canot les rapides tumultueux de la Grande Décharge. Le lien entre les deux établissements s'effectue en bateaux à vapeur de luxe.

Cependant, une série de malchances met rapidement fin à l'empire Beemer. «En même temps que la pêche décline (il tente même de la relancer en faisant de la pisciculture), il subit la concurrence féroce des bateaux blancs de la Canada Steamship Line», raconte M. Tremblay. Comble de malheur, les flammes ravagent l'hôtel Roberval en 1908, Island House ferme peu après. L'homme d'affaires meurt d'épuisement en 1912.

Aujourd'hui, il ne reste presque plus rien de cette époque où le lac Saint-Jean attirait la crème de la crème de la haute société. Dans l'île Beemer, ne restent que des vestiges de l'hôtel Island House, qui a été démoli dans les années 40. Toutefois, le directeur du parc national de la Pointe-Taillon, François Guillot, souhaite les mettre en valeur quand cette île sera intégrée à son territoire, un projet qui devrait se concrétiser l'an prochain.

«Mon rêve serait de reconstruire l'Island House et de faire revivre l'épopée de la pêche à la ouananiche dans le lac Saint-Jean», affirme M. Guillot, débordant d'enthousiasme. Va-t-on connaître à nouveau les pêches miraculeuses de jadis?