Des voyageurs intrépides nous racontent leurs histoires. Elles sont parfois rocambolesques et même difficiles à croire. Parfois, aussi, leurs aventures ont surtout d'extraordinaire qu'elles les ont menés plus loin. Dans tous les sens du terme.

QUI?

Chantale Beaudoin, globe-trotter qui parcourt le monde depuis 10 ans.

QUOI?

Périple à dos de chameau dans le désert.

OÙ?

Au Rajasthan, dans le nord-ouest de l'Inde.

Des voyageurs intrépides nous racontent leurs histoires. Elles sont parfois rocambolesques et même difficiles à croire. Parfois, aussi, leurs aventures ont surtout d'extraordinaire qu'elles les ont menés plus loin. Dans tous les sens du terme.

***

«Que tentes-tu de fuir?» m'a demandé mon père à quelques heures de l'embarquement.

La question a résonné en moi. Elle allait m'accompagner pendant toute la durée du voyage. Était-ce la fuite qui me poussait depuis 10 ans à parcourir le monde? Peut-être allais-je trouver la réponse en Inde, où je m'apprêtais à rejoindre un ami pour un séjour de cinq semaines. Le point de rencontre avait été fixé: rendez-vous devant le Taj Mahal.

Après une visite au majestueux temple de marbre blanc, nos premiers jours en Inde nous ont permis de découvrir la cuisine et les coutumes locales. Dépaysement total, même pour la grande aventurière que j'étais. Un après-midi, mon ami consultait une brochure sur laquelle posait fièrement un homme à moustache qui proclamait posséder des «happy camels». Le lendemain, nous prenions la route de Jaisalmer, point de départ d'une expédition à dos de chameau dans le désert du Rajasthan, dans le nord-ouest du pays.

La fourgonnette qui allait nous conduire dans le désert semblait avoir traversé (au moins) une guerre. La route sinueuse n'aidait en rien le frêle véhicule et chaque courbe négociée creusait sa tombe. À mi-chemin, un bris mécanique nous a fait craindre le pire. Trois hommes vêtus de tuniques pâles se sont arrêtés pour nous offrir leur aide, que notre chauffeur a poliment refusée, à notre grande déception. Nous avons mordu la poussière lorsqu'ils sont repartis en fronde, en riant.

Après quelques manipulations sous le capot, la fourgonnette a redémarré et nous nous sommes finalement rendus à destination; l'aventure était sur le point de commencer. Devant nous, l'immensité du désert: des dunes de sable et trois guides, qui portaient eux aussi la moustache.

Avec quelques brindilles recueillies sur une terre où peu d'arbres poussent, ils ont fait un feu de bois et cuisiné pour nous un délicieux curry de légumes et pommes de terre. Après le repas, nous avons trouvé refuge à l'ombre pour faire une sieste sous la chaleur écrasante. Nous avons perdu la notion du temps et, quand nous avons rouvert les yeux, nous étions assoiffés, en sueur et, pire que tout, complètement seuls!

Les hommes à qui nous avions fait confiance (pour 12$, hébergement et repas inclus), nous avaient plantés là, en plein désert, sans nourriture ni eau. Les chameaux avaient également disparu, mais leurs selles avaient été laissées là, par terre. Nous imaginions déjà nos guides à l'hôtel du coin en train de boire une Kingfisher, bière locale, et raconter comment ils nous avaient roulés. L'idée d'une boisson froide nous faisait regretter de ne pas être assis bien tranquillement sur la terrasse de l'hôtel, à siroter un lassi à la banane, une boisson rafraîchissante à base de yogourt.

Je salivais encore à l'idée du lassi lorsqu'une silhouette est apparue au loin, émergeant de la colline. Nos guides sont finalement tous réapparus. «Il faisait trop chaud pour partir», a répondu un guide avec un sourire moqueur, devinant notre frousse. Une fois en selle, le désert nous appartenait, à 10 km/h. Ma monture, que j'avais affectueusement prénommée Rosie, était polie et docile, ce qui explique peut-être les centaines de mouches qui tentaient de la dévorer tout rond. À chaque mouvement de cou qu'elle tentait pour les éloigner, sa tête me frôlait, une intimité soudaine et un peu dérangeante.

Dans les villages traversés, des enfants couraient à notre rencontre pour qu'on leur lance de l'argent ou des crayons pour l'école. Des femmes et des jeunes filles, élégamment vêtues de saris colorés, marchaient jusqu'aux puits afin de collecter l'eau nécessaire pour la journée. Et tout le long du trajet, un garçon d'une douzaine d'années apparaissait de nulle part pour nous vendre une bouteille de Coca-Cola en verre pour 30 roupies ou 60 sous.

Ce soir-là après le repas, l'envie nous est venue de construire un château de sable. Nous étions après tout dans une dune, le terrain de jeu parfait. Nos guides, amusés, nous ont regardé faire avec pour seul outil un verre en acier et une bouteille d'eau. Le guide vêtu de blanc était de loin mon préféré. Chaque année passée sous le soleil ravageur était inscrite sur son visage. Pour chaque remerciement, il lançait fièrement un «Velcome very much» enthousiaste. Au moment d'ériger le dernier rempart de notre château qui n'en était pas vraiment un, il s'est approché de nous a commencé à entonner des chansons incompréhensibles, mais tout aussi magnifiques. À cet instant précis et précieux, plus rien d'autre n'avait d'importance que le son de sa voix, le vent dans la dune et le sable dans mes souliers.

Et alors, sous la lune pleine qui donnait à cette scène des airs de conte, j'ai compris. Ma vie entière était bel et bien marquée par la fuite. Depuis toujours, j'avais cherché à fuir le banal, l'ordinaire. Ma vie ne valait la peine d'être vécue que si elle était synonyme d'aventures et de découvertes. Le reste était accessoire. Il m'avait fallu longtemps pour comprendre que mon bonheur se trouvait là, dans des instants magiques comme celui-ci. J'ai remercié le guide, qui n'a pas su pourquoi, mais qui m'a quand même gratifié d'un sourire énorme... et d'un sincère «Velcome very much» !

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