Des voyageurs intrépides nous racontent leurs histoires. Elles sont parfois rocambolesques et même difficiles à croire. Parfois, aussi, leurs aventures ont surtout d'extraordinaire qu'elles les ont menés plus loin. Dans tous les sens du terme.

Qui?

Jean-François Martin, et son fils Karl Medeiros

Quoi?

Voyage mouvementé en train.

Où?

Entre Genève et Lausanne, en Suisse.

***

Il n'y a rien de tel qu'un voyage père-fils pour renouer avec les bonheurs de la vie, non?

Mon fils Karl et moi sommes à Genève depuis quelques heures seulement. Grande marche pour découvrir la vieille ville, puis, retour à l'hôtel.

Dès le lendemain, nous devons prendre le train en direction de Saint-Maurice. Un trajet de 90 minutes qui longe le lac Léman, ce qui n'est pas détestable en soi!

Nous sommes en Suisse afin d'y présenter le film Trisomie 21: Le défi Pérou. Un film merveilleux où des adultes ayant une trisomie 21 font preuve de ténacité et de dépassement de soi pour se rendre au Machu Picchu.

En ouvrant les rideaux, le lendemain matin, je constate qu'il est tombé quelques centimètres de neige. Genève est toute blanche. C'est joli, mais pas évident pour traîner nos valises! Nous arrivons finalement à la gare et achetons nos billets pour un trajet en direction de Saint-Maurice. Le départ est prévu pour 9h56, quai numéro quatre.

Nous sommes entrés dans le wagon vers 9h30. À l'annonce du trajet, je me rends compte que Saint-Maurice n'est pas nommé. Serions-nous dans le mauvais train? Je préviens mon fils que je vais vérifier auprès du contrôleur de train sur le quai. Je descends et l'aperçois plus loin. Je me dirige vers lui, quand, soudainement, les portes du train se ferment.

Que se passe-t-il?

Voilà que le train se met en branle. Non, ce n'est pas possible, le train quitte la gare! Dites-moi que je rêve.

Je reste seul sur le quai, sans manteau, sans argent, sans téléphone. Complètement seul avec mon désespoir. Je me mets à courir à côté du train, comme dans un film, en criant à un contrôleur, sur le quai, d'arrêter le train. Le train poursuit sa route et moi je continue à crier que mon fils est à l'intérieur tout en frappant sur le train comme s'il allait s'arrêter! J'avais cette impression d'être un petit garçon de 5 ans qui a perdu sa maman et qui ne sait plus quoi faire.

À la fin de ma course et du quai, j'arrive devant le contrôleur qui me regarde d'un air stoïque. Mon visage doit être complètement dévasté. Je lui précise que mon fils, qui a une déficience intellectuelle, est seul dans le train. Je crois même que je verse une larme. Il me regarde et dit: «Il est 9h40 et le train devait partir à 9h40.

- Attendez monsieur, vous ne comprenez pas: mon fils est seul dans le train avec tous mes bagages.

- Je ne peux rien faire pour vous. Présentez-vous au guichet principal.»

Mon coeur veut sortir de ma cage thoracique. Je réussis à parler au même agent qui m'avait vendu les billets. Je prends le temps de lui expliquer mon histoire. Il décide de communiquer avec la gare de Lausanne et demande à ce que quelqu'un récupère mon fils jusqu'à mon arrivée.

Je n'ai que cinq minutes pour prendre le prochain train de Lausanne. J'arriverai 15 minutes après mon Karl. Me voilà reparti pour une autre course en direction du train vers Lausanne. Pendant tout le trajet en train, je ne fais que penser à lui. Je me demande comment il se sent.

Je ne vois rien de ce merveilleux trajet que j'avais si hâte d'admirer. À mon arrivée à Lausanne, je descends du train, je regarde partout. Aucune trace de Karl. Au service des objets perdus (!), on me suggère d'aller voir au quai numéro trois...

Je m'y rends à la course! C'est là que j'aperçois une partie du manteau de Karl. Toute la pression tombe. Un agent m'accueille. Je le remercie. Lui et tous ses descendants jusqu'à la troisième génération.

Et mon fils? Ce cher Karl est assis sur le banc, tout heureux comme si rien ne s'était passé. En plus, il a récupéré tous les bagages sans exception. Merci Karl! Je lui demande s'il a été stressé dans le train sans moi. Non.

«Mais c'était rigolo, car je t'ai vu courir sur le quai!»

Oui, c'était franchement rigolo...

Un homme, dans le wagon, est venu le voir en panique. Lui aussi avait dû me voir courir. Il lui a demandé son nom, où il devait descendre. Quelques instants plus tard, le contrôleur du train est venu le voir pour lui dire qu'il descendrait à Lausanne et que son père y serait.

Tout le reste de notre tournée s'est bien déroulé, mais je n'ai plus quitté Karl des yeux. De son côté, Karl n'a cessé de demander encore et encore, de raconter l'histoire du train à tous les gens que nous rencontrions. Encore aujourd'hui, il en parle en riant.

Et moi? J'en fais encore des cauchemars...

Vous avez une aventure à nous raconter ? voyage@lapresse.ca