(Cornwood) « La nature est un droit humain ! » Bonnet rouge vissé sur la tête, Anya Wilding a enfilé ses chaussures de randonnée pour récupérer un droit « fondamental » qui lui a été « arraché » : celui de bivouaquer dans le Dartmoor, dans le sud-ouest de l’Angleterre.

Jusqu’à la mi-janvier, ce parc national prisé des randonneurs pour ses landes sauvages était le seul endroit d’Angleterre où le bivouac n’était pas interdit. Il faudra désormais « le consentement du propriétaire du terrain » avant d’y planter sa tente, a estimé la justice britannique, saisie par un riche propriétaire local.

La décision a fait bondir les amateurs de camping. Samedi, malgré le froid, ils étaient quelque 3000 selon les organisateurs à s’être donné rendez-vous dans le petit village de Cornwood pour une marche de protestation jusqu’au « Stall Moor », une vaste lande aux paysages lunaires appartenant à Alexander Darwall, le propriétaire opposé au bivouac.

« C’est un droit fondamental qui nous a été arraché et je suis là aujourd’hui pour le récupérer », affirme Anya Wilding, une étudiante en photographie de 21 ans. « C’était le seul endroit où c’était légal donc ça fait vraiment grincer des dents. »

Elle se remémore avec nostalgie son dernier séjour dans les environs et le moment « magique » quand elle s’est « réveillée avec cette lumière dorée qui illuminait la lande. »

« Regarder les étoiles »

Dans une Angleterre dont les terres sont quasiment entièrement privatisées, les Anglais n’ont le droit de s’aventurer hors des sentiers battus que sur une infime partie de leur territoire : 8 % de la campagne et 3 % des cours d’eau selon les chiffres officiels.

Ce « Right to Roam » (droit à l’errance) garanti depuis l’an 2000 un droit d’accès au public à certains espaces naturels privés, mais il est très limité. On ne peut pas y faire n’importe quoi, surtout pas camper, et encore moins le faire n’importe où.

Dans ce cadre législatif restrictif, le Dartmoor était une « magnifique anomalie », souligne auprès de l’AFP Guy Shrubsole, auteur du livre Who Owns England ? qui détaille comment une petite élite d’aristocrates, d’hommes d’affaires et d’entreprises en est arrivée à posséder la grande majorité de l’Angleterre.

Une loi spécifique au Dartmoor garantit depuis 1985 le droit d’y exercer tout « loisir de plein air ». Cas unique en Angleterre, le bivouac y était donc pratiqué sans crainte avant que la justice n’estime qu’il ne s’agissait pas d’un « loisir ».

Pourtant, « c’est un plaisir, une aventure, une exploration », affirme Alison Thomas, une retraitée de 72 ans venue samedi rejoindre la protestation.

Si elle ne campe plus – « les sacs sont trop lourds à nos âges » – elle veut que les plus jeunes expérimentent « la simple joie de regarder les étoiles ».

« Nous avons tous besoin de la nature et la nature a besoin de nous », abonde Guy Shrubsole en guidant les randonneurs sur l’étroite route qui mène à la lande.

« Nous sommes au milieu d’une sixième extinction de masse, on a sérieusement besoin de reconnecter avec la nature, de mieux la connaître et la comprendre pour tous en être les gardiens, pas seulement les propriétaires », ajoute ce membre fondateur du « Right To Roam ».

Ce collectif, à l’initiative du rassemblement, milite pour un plus grand accès à la nature anglaise, comme c’est le cas en Écosse ou ailleurs en Europe.

Pas de « permission »

Arrivés dans le « moor » après une grosse heure de marche rythmée par les tambours et les cymbales, les randonneurs-militants de tous âges appellent à l’aide « Old Crockern », le « bon esprit » du Dartmoor qui selon la légende locale a déjà poussé à la faillite un propriétaire trop avide.

« Le Dartmoor est un lieu magique avec de nombreux mythes et légendes », explique Harriet White, une habitante du coin reconnaissable aux plumes d’oiseaux qu’elle a glissées dans ses cheveux.  

Devant la justice britannique, Alexander Darwall a justifié vouloir interdire le bivouac en raison des déchets laissés par certains campeurs, un argument balayé par Harriet White.  

« Tout le monde doit être responsable, les propriétaires aussi », estime-t-elle, soulignant que « le surpâturage de la lande ou l’élevage de faisans (M. Darwall organise des chasses) est bien plus dangereux que le bivouac ».  

Comme de nombreux randonneurs, elle s’oppose à l’accord trouvé entre le parc national et certains propriétaires disposés à autoriser le camping moyennant une rétribution financière payée par le parc national.  

« On mérite un droit d’accès, pas une permission. »