(Les Deux Alpes) Entre les fourrés de noisetiers, la colonne de randonneurs progresse dans un craquement de glace pilée qui couvre un peu le bruit des oiseaux, mais n’empêche pas de lever les yeux pour admirer pics blancs ou chamois.

Laurent Ficheur mène sa petite troupe en raquettes à neige dans la forêt des Deux Alpes, en Isère, sur une neige croutée et abimée par la pluie tombée trop haut ces derniers jours.

Sur les montagnes en face, on observe des coulées d’avalanche lacérer les pentes d’un vallon. Par sécurité, le guide a préféré emmener Jean-Yves, Yannick, Florence, Maryvonne et Philippe un peu plus bas, dans une forêt de feuillus.

Ces amis venus de Mayenne, bientôt retraités, auraient préféré profiter des pistes de la station, mais là-bas, les skis prennent la poussière sur décision gouvernementale et les raquettes sortent enfin du placard.

Les voilà reines de l’hiver. Pour une seule saison, peut-être, mais reines incontestées des alternatives au télésiège dans les Alpes.

Avec le ski de randonnée et d’autres sports d’hiver alternatifs, les stations tentent d’attirer le touriste habituellement épris de glisse et ont aménagé des parcours dédiés aux raquettes à travers les pistes du domaine.

« Pour la santé, c’est excellent », avance Laurent Ficheur, accompagnateur en moyenne montagne. « La raquette, c’est avant tout de la marche », poursuit-il, « c’est quelque chose qui peut nous emmener très haut et faire énormément de bien au corps et à la tête ».

Ce montagnard du cru, 53 ans, ne fait pas que fournir matériel, itinéraire et conseils techniques, mais il explique, ici comment identifier les traces du lièvre dans la neige, montre là les couches géologiques dans les plissures du massif de l’Oisans, puis sort trois paires de jumelles pour montrer à ses clients une poignée de chamois descendus brouter sur la colline en contrebas.

— « Philippe, tu les vois ?

— Non, je ne les vois pas !

— Là, en dessous de la tache de neige, tu les vois bouger ! »

« Ça change les neurones »

PHOTO JEFF PACHOUD, AGENCE FRANCE-PRESSE

« La raquette, c’est avant tout de la marche. C’est quelque chose qui peut nous emmener très haut et faire énormément de bien au corps et à la tête », indique le guide Laurent Ficheur.

Il n’est pas aisé de se déplacer avec ces espèces de larges poêles à frire collées au pied, mais c’est plus joyeux que l’observation, depuis sa chambre d’hôtel, des remontées mécaniques à l’arrêt, d’une station vidée, de magasins fermés et d’une poignée de saisonniers à la mine pâle.

Depuis le début d’une saison particulièrement enneigée, les pratiques alternatives au ski explosent. TSL, principal fabricant de raquettes, a vu ses commandes doubler, Décathlon confirme le très fort engouement, et les magasins de montagne n’en ont pas assez à louer.

« Elles sortent tous les jours », confirme Benjamin Claise, responsable d’un magasin de location de matériel de sport aux Deux Alpes. Comme pour les skis de randonnée, il est bien souvent impossible de venir louer une paire au débotté les week-ends sans avoir réservé.

Avec une trentaine de paires de raquettes et 12 paires de skis de randonnée, contre 450 pour le ski de piste, ces sports représentent « 5-6 % de l’activité qu’on a habituellement », se désole-t-il.

Sans aucun forfait vendu, ces sports de pleine nature demeurent anecdotiques pour l’économie locale. Mais ils permettent de maintenir une certaine attractivité et répondent à une demande croissante de découverte de la nature.

« Pour moi la raquette c’est super », confirme Philippe Jousse, avec son grand manteau rouge et ses chaussures louées pour l’occasion. « On peut parler de choses et d’autres, de la nature, des animaux, du biotope, des arbres… »

« En ski, on serait bien emmerdé pour passer », lance Laurent à ses clients, en se faufilant sous la branche d’un arbre, sur le tracé de cette boucle qui parcourt les hauteurs de la vallée de la Romanche.

Yannick Mulot et ses amis ont payé une trentaine d’euros tout compris cette balade de trois heures pour « prendre l’air et se changer les idées, surtout ».

« Moi, je tenais un bar-tabac PMU presse, donc en ce moment, avec la COVID-19, c’est bloqué… » poursuit Yannick. Les raquettes, « ça change les neurones. »