Le XXIe siècle sonnera-t-il le glas du ski dans les Alpes ? Alors que les stations produisent toujours plus de flocons artificiels pour pallier la diminution de l’enneigement, divers scénarios de l’impact du réchauffement se dessinent, certains plaçant le secteur sur une pente très glissante. Conscientes de la situation, les stations alpines se préparent à amorcer un virage serré pour sauver les meubles.

« On ne peut pas le nier »

La scène a choqué, et certains y voient un symptôme des temps à venir : fin décembre, dans la station alpine de Montclar les 2 vallées, un hélicoptère est venu transférer 200 m3 de neige dans la portion basse des pistes, qui n’avait pas reçu autant de flocons qu’en amont, a rapporté Le Dauphiné Libéré. Mais c’est surtout les moyens employés, jugés polluants, qui ont fait grincer des dents, puisque le réchauffement climatique est pointé comme l’un des principaux défis de l’industrie du ski.

Élucubration d’écologiste carburant à l’écoanxiété ? Pas du tout, si l’on consulte les relevés objectifs de température recueillis par Météo France près de Grenoble, à 1300 m d’altitude, depuis 50 ans.

« Ces mesures précieuses nous montrent qu’à cette altitude de moyenne montagne, on a une diminution tendancielle de la hauteur de neige, ce qui signifie une hausse de la température. Elles sont assez cohérentes avec d’autres systèmes de visualisation enregistrés dans d’autres pays ou dans d’autres complexes montagnards », nous apprend Emmanuelle George, chercheuse en aménagement touristique de montagne à INRAE (Institut national de la recherche agronomique et de l’environnement).

PHOTO JEAN-PIERRE CLATOT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les stations alpines commencent à réfléchir à d’autres activités que le ski qui pourraient être offertes dans leurs installations.

Du côté des stations de ski, on ne se met pas la tête dans la neige. « On ne peut pas nier qu’il y a un véritable effet de changements climatiques, on constate depuis plusieurs années des étés beaucoup plus secs et chauds, des hivers un peu plus doux. Le réchauffement n’est pas linéaire, c’est moins net pendant l’hiver, mais c’est réel », confirme Olivier Simonin, directeur général de Val-d’Isère Téléphériques. Un constat et une résignation qui trouvent leur écho partout dans les vallées alpines. « Oui, on a noté une diminution de l’enneigement. Sur le long terme, c’est une menace pour nos activités et le sport d’hiver en général. On devra rebondir sur d’autres activités et trouver des solutions pour maintenir notre produit attractif », résume Stéphane Berthaud, responsable, qualité, sécurité et environnement, pour les remontées mécaniques des Menuires, en Savoie.

Quelle remontée des températures ?

Si les stations alpines parviennent encore à proposer des infrastructures praticables, avec un recours de plus en plus important à la culture de neige et au damage (tassement mécanique pour stabiliser le manteau neigeux), les skieurs en herbe commencent à se poser la question : les pistes deviendront-elles toutes littéralement vertes d’ici 30 ans ? 

INRAE, en partenariat avec Météo France, a sérieusement étudié cet enjeu et a mis au point une modélisation basée sur les différents scénarios établis par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) — le plus optimiste prévoyant une hausse limitée à 1,5°C, avec des efforts internationaux décuplés. « On constate que jusqu’en 2050, le fait de pouvoir faire de la neige de culture continue de jouer son rôle d’amortisseur quand l’enneigement naturel est défavorable », rassure Mme George. En revanche, au-delà de 2050, la situation dépendra du rythme d’émissions de gaz à effet de serre, mais ne frappera pas forcément les stations de manière uniforme. « Si on poursuit sur le rythme actuel, on va avoir des situations très contrastées selon les stations », nuance la chercheuse, précisant que la capacité d’adaptation des stations alpines dépendra de nombreux facteurs, comme leur emplacement, leur altitude, leur orientation, mais aussi leur historique, leur modèle de développement et leur mode de gouvernance.

Il serait donc trop simpliste de tracer une ligne d’altitude en dessous de laquelle toutes les stations fondraient. « On ne peut répondre de manière générique en disant que la catégorie de la moyenne montagne va disparaître. Toutes les stations de moyenne montagne ne sont pas équivalentes, ce n’est pas qu’une question de climat », souligne Emmanuelle George.

Par exemple, la station de Val-d’Isère dit bénéficier de « retours d’Est » de plus en plus fréquents, qui jouent en sa faveur : « Le réchauffement de la Méditerranée engendre des perturbations sur le golfe de Gênes, de l’humidité remonte sur les Alpes, ce qui provoque des chutes de neige significatives », indique Olivier Simonin.

Des pistes de solution ?

Face aux incertitudes climatiques sur le long terme, les stations alpines ne restent pas de glace.

À Val-d’Isère, on compte dans un premier temps sur la multiplication et le développement des enneigeurs, toujours plus efficients et moins énergivores. « On arrive aujourd’hui à produire de la neige de qualité aux alentours de — 2°C alors qu’habituellement, on y arrive plutôt à — 4°C », signale Olivier Simonin, ce qui comblerait la hausse prévue dans le scénario optimiste du GIEC. Mais des actions plus globales sont aussi sur la table.

On a récemment décrété une forme de mobilisation générale de la montagne. Il faut qu’on travaille sur l’accès à nos stations, en privilégiant les transports en commun. Aujourd’hui, on étudie des solutions de bus à hydrogène.

Olivier Simonin

C’est justement dans cette direction que des organismes à but non lucratif montés par des passionnés de sports d’hiver, tels que Protect Our Winters (POW), essaient d’aiguiller les stations. « Dans l’exploitation d’une station, 50 % des émissions de carbone proviennent du transport des touristes », soutient Antoine Pin, directeur de POW France, qui préconise le covoiturage ou l’utilisation du rail. Il évoque aussi la création de Snowcarbon, une plateforme permettant aux Britanniques d’accéder aux domaines skiables alpins en train. Mais il reste encore de la route à faire. « Les infrastructures sont existantes. Le problème, c’est la cohérence et l’intermodalité entre ces modes de transport », regrette-t-il.

Comme l’a soutenu Darwin, la survie passe par la capacité d’adaptation. Certains centres des Alpes l’ont compris et songent déjà à moduler et à diversifier leur offre au-delà du sport d’hiver. « Le ski restera à Val-d’Isère pour très longtemps, mais aujourd’hui, on va réinventer d’autres utilisations de nos remontées mécaniques, pour des clientèles qui ne sont pas skieuses », souligne M. Simonin.