(Paris) Envie de découvrir la capitale française sous un autre angle ? Pourquoi ne pas emprunter la portion parisienne du chemin de Compostelle ? Un parcours méconnu, en marge des circuits habituels…

On le rencontre au parc de la Villette, par un après-midi de pluie. Pas la meilleure météo pour marcher dehors. Mais Jean-François Fejos n’est pas du genre à se laisser intimider par quelques gouttes, surtout quand il s’agit de faire partager sa passion.

Guide touristique à la retraite, M. Fejos est un pèlerin pur et dur : il a déjà parcouru, à pied, les 1478 kilomètres qui vont de Paris à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne. Cette très longue route comporte de nombreux segments magnifiques, dit-il. Mais il regrette que sa portion parisienne ne soit pas plus connue.

D’où son empressement à la faire redécouvrir.

Paris sous un autre angle

Hé oui. La route de Compostelle passe aussi par la capitale française ! Neuf kilomètres du nord au sud, répartis sur six arrondissements, qui vont grosso modo du parc de la Villette à la porte d’Orléans. Une belle journée de marche, en marge des circuits habituels, pour découvrir la ville autrement.

Au Moyen-Âge, le chemin était emprunté par les pèlerins venus de Belgique ou de Hollande. Paris était une halte obligée pour le repos, le ravitaillement et le ressourcement spirituel. Avec les années, ce tronçon de la « Voie de Tours » fut toutefois oublié, au profit d’autres routes considérées comme plus touristiques, comme la « Voie du Puy » qui part d’Autriche et passe par Lyon.

« Il y a pourtant beaucoup à voir », lance le sexagénaire, en nous invitant à le suivre. Des églises, oui, mais pas seulement, comme en témoigne notre balade de sept heures au cœur de la ville.

Parcours chargé d’histoire

On ne vous refera pas tout le chemin dans le détail. L’association Compostelle 2000, dont est membre Jean-François Fejos, publie sur son site web des cartes détaillées de la route à suivre dans Paris et ses environs.

Mais, en résumé, voici.

La première moitié du chemin, plutôt paisible, suit le canal de l’Ourcq dans le 19e arrondissement, puis traverse les 10e et 3e arrondissements, avant de déboucher sur le Centre Pompidou. Située à quelques mètres de là, l’église Saint-Merry vient confirmer que nous sommes sur la bonne voie : sculptée en façade, une statue de l’apôtre saint Jacques, regard tourné vers le nord, semble attendre le prochain groupe de pèlerins.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

La statue de saint Jacques sur la façade de l’église Saint-Merry, près du Centre Pompidou

La partie la plus riche du parcours commence toutefois un peu plus loin, au pied de la tour Saint-Jacques.

De ce point central, situé à mi-chemin, traversez l’île de la Cité en passant devant la cathédrale Notre-Dame, puis empruntez l’incontournable rue Saint-Jacques qui vous mènera quasiment à l’autre bout de Paris.

Au numéro 31, bien caché en hauteur, remarquez le cadran solaire créé par Salvador Dalí. Il représente un visage dont le haut ressemble à une coquille Saint-Jacques. De l’autre côté de la rue, presque en face, la petite église Saint-Séverin et son flamboyant style gothique, où vous verrez saint Jacques sur un vitrail.

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Au 31, rue Saint-Jacques, on peut voir le cadran solaire créé par Salvador Dalí qui reprend la coquille Saint-Jacques, symbole des pèlerins.

Passé le boulevard Saint-Germain, à un jet de pierre de votre itinéraire, ne manquez pas le musée de Cluny, consacré au Moyen-Âge. La meilleure façon de se mettre dans l’ambiance des pèlerinages médiévaux.

Poursuivez rue Saint-Jacques en longeant l’arrière de la Sorbonne et passez devant la Librairie du Québec à Paris (!) avant de franchir ce qu’il reste de la porte Saint-Jacques, qui marquait jadis les limites de Paris. Une plaque marque les lieux, au 172 de la rue Saint-Jacques.

C’est bien par là ?

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La Librairie du Québec se trouve sur le chemin de Compostelle à Paris.

À Paris, la route de Compostelle n’est que très peu indiquée. Quelques autocollants bleus, représentant la coquille stylisée de saint Jacques, jouxtent parfois les autocollants rouges et blancs des grandes randonnées de France (GR). Mais c’est encore trop peu.

Voilà pourquoi Jean-François Fejos essaie de convaincre la Ville d’installer des clous de bronze en forme de coquille Saint-Jacques sur la chaussée. « Mon souhait est que ce chemin soit vivant et visible. Le balisage montre le chemin. Il rassure le pèlerin. Ce serait une valeur ajoutée », dit-il, en nous montrant l’objet en question.

Sa campagne de « lobbying » semble porter ses fruits. Fin septembre, le conseil du 14e arrondissement a accepté de financer son projet de signalisation. Il lui faudra maintenant convaincre les cinq autres arrondissements de suivre. Mais on le sent ragaillardi par cette première victoire.

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Jean-François Fejos devant la tour Saint-Jacques, avec un exemplaire d’un « clou » en forme de coquille Saint-Jacques qu’il aimerait voir intégré à la chaussée pour baliser le chemin à Paris.

Vers la frontière, et plus loin encore

Petit à petit, les passants se font moins nombreux. Du 5e arrondissement, on passe au 14e… Quartiers plus résidentiels, voire un peu ternes, avant d’aboutir à la grouillante porte d’Orléans, limite du Paris intra-muros.

Au-delà du périphérique, le chemin s’annonce plus verdoyant. Du parc Jean-Loup Metton à la Coulée verte, on se retrouve presque à la campagne, en route vers Chartres ou Orléans, puis Tours, puis Bordeaux…

À ceux qui voudraient poursuivre, courage. De la porte d’Orléans, il ne vous reste que 800 kilomètres avant Saint-Jean-Pied-de-Port, dernière halte française avant le col de Roncevaux qui vous mène à la portion espagnole du chemin de Compostelle.

En marchant sept heures chaque jour, il vous faudra entre deux mois et deux mois et demi pour arriver à destination !

« À Paris, le trajet est trop court pour se confronter à la solitude. Mais le reste de la route est un excellent moyen de faire le vide, souligne Jean-François Fejos. J’en connais beaucoup qui sont partis randonneurs et qui sont revenus pèlerins… »

Consultez le site de Compostelle 2000 : http://www.compostelle2000.com/

Pourquoi Compostelle ?

Jacques de Zébédée, dit Jacques le Majeur, ou saint Jacques, était l’un des 12 apôtres de Jésus. On prétend que ses restes seraient enterrés à Compostelle, mais de cela, personne n’est vraiment certain. La petite ville espagnole n’en deviendra pas moins un lieu de pèlerinage extrêmement populaire au Moyen-Âge. Les siècles passent et la portion française du chemin tombe en désuétude, victime d’une perte d’intérêt pour la religion. Il faudra attendre les années 1960 pour que des passionnés décident de la remettre en valeur. Près de 3000 pèlerins se rendent chaque année à Compostelle, mais tous ne font pas le chemin au complet, lui préférant essentiellement sa portion espagnole. Selon Compostelle 2000, ils ne seraient pas plus de 400 par an à passer par Paris. Symbole de l’apôtre saint Jacques, la coquille est devenue, avec les siècle, le symbole des pèlerins en général.