(Fatima, Portugal) En 1917, trois jeunes bergers ont reçu de la Vierge un terrible secret à Fatima. Un siècle plus tard, la petite ville portugaise reste un haut lieu du tourisme religieux, avec ses messes, ses offrandes et ses magasins de souvenirs. Avec un peu de chance, vous aurez même droit à une apparition…

Six femmes et un homme avancent à la file indienne le long de la route N3. Bâtons de marche et gilets jaunes pour être bien visibles. Ils sont partis à 3 h et ont déjà parcouru 35 km. Si tout se passe bien, ils devraient arriver à destination dans deux jours. « J’y vais pour remercier la Vierge, explique Maria, qu’on intercepte sur le bas-côté, tandis que les voitures nous frôlent. Mon fils a eu un grave accident de voiture, mais il est toujours en vie… »

Au moment de notre visite, ce n’est pas encore la haute saison à Fatima, petite ville du Portugal rendue célèbre par les fameuses apparitions de la Vierge à trois enfants, en 1917. Mais le tourisme religieux s’y porte visiblement très bien. Chaque jour, des centaines, voire des milliers de pèlerins y débarquent à pied, en voiture ou en autocar pour prier, chanter les louanges de Marie et lui faire des offrandes, à quelques mètres de l’endroit où les jeunes bergers ont eu leurs visions.

Selon les chiffres officiels du sanctuaire, 7 millions de personnes auraient visité les lieux en 2018 et 9,4 millions en 2017, année du centenaire des apparitions. Ces dernières années, la fréquentation serait globalement en hausse.

« Après Porto et Lisbonne, Fatima est de loin ma destination la plus courue », confirme Pedro, employé d’Abreu, plus vieille agence de voyages du Portugal.

Des saints et des saints

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Une immense esplanade relie les deux basiliques du sanctuaire. Au cours des célébrations spéciales, l’endroit est plein à craquer.

Dire que l’endroit exalte la spiritualité… euh… ça reste à voir. Un peu plus de 100 ans après les faits, Fatima est surtout devenue une belle grosse machine commerciale. Autour du sanctuaire, des dizaines de magasins de souvenirs se succèdent comme autant de pièges à touristes. On peut y acheter des chapelets, des icônes, des napperons, des bulles à neige, des porte-clés, des badges, des cierges ou des cartes postales à l’effigie de la Vierge et des trois enfants. 

À travers cette multitude de bébelles, d’étranges objets : ce sont des ex-voto en cire destinés à être brûlés en échange d’un miracle. Ils représentent différentes parties du corps : pieds, jambes, mains, intestins, yeux, seins. Toute l’anatomie humaine est à disposition, selon la maladie qu’on souhaite guérir. « Mon meilleur vendeur ? Sans doute les pieds et les jambes », répond très sérieusement Lucia, une vendeuse du temple. Avec tous ces gens qui marchent pour venir jusqu’ici…

Une drôle d’odeur

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Autour du sanctuaire, des dizaines de magasins de souvenirs se succèdent comme autant de pièges à touristes.

Nous voici sur l’immense esplanade qui relie les deux basiliques du sanctuaire. Au cours des célébrations spéciales, l’endroit est plein à craquer. Aujourd’hui, il fait gris. Et malgré la messe en plein air qui bat son plein, et une procession qui passe, l’endroit donne l’impression d’être vide. On s’attendait à voir des gens marcher à genoux pour implorer pardon et demander un miracle. L’image classique de Fatima. « Il y en a de moins en moins », nous confie un agent de sécurité.

On se dirige donc vers le crématorium, où les dévots, têtes grises pour la plupart, brûlent leurs chandelles et leurs ex-voto. Ça joue des coudes pour avoir un bon spot. José montre à ses jeunes enfants comment procéder. Il est portugais, mais vit en Normandie. Il a fait plus de 1500 km pour demander à la Vierge de bien traiter sa famille. « Si je crois à cette histoire d’apparition ? Un peu, quand même. Sinon, on ne serait pas ici. »

Elle leur livra le secret…

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José, à droite, vit en Normandie. L’homme d’origine portugaise a parcouru 1500 km pour faire un pèlerinage à Fatima avec sa famille.

Que s’est-il passé à Fatima, le 13 de chaque mois, entre mai et octobre 1917 ? Réponse simple au Musée de cire, situé à un jet de pierre du sanctuaire. En une trentaine de tableaux austères et dramatiques, toute l’histoire nous est racontée. En gros, voici : trois jeunes bergers de 7, 9 et 10 ans, Jacinta, Francisco et Lucia, voient apparaître la Vierge. Qui leur confie trois secrets, ou plutôt un gros secret en trois parties. Elle leur fait voir l’enfer et prédit la fin du régime communiste. Un évêque meurt (le pape ?). Le monde a besoin d’amour… On simplifie, là. Mais sur certains points, elle avait vu juste. Cette « vision » a alimenté les interprétations les plus diverses. Et suscité pas mal de polémique. Mais un fait reste : elle a bousculé l’Église catholique et transformé un petit village portugais en symbole. Pour la petite histoire, Jacinta et Francisco Marto sont morts en 1919 de la grippe espagnole. Lucia Dos Santos est devenue sœur, a écrit des livres et s’est éteinte en 2005.

Vers Aljustrel

Loin de la cohue, à un jet de pierre du sanctuaire, un petit chemin de croix mène à Aljustrel, le village d’où venait la petite Lucia. À chaque station, un groupe prie ou chante gloire à Dieu. Ils sont portugais, espagnols, polonais, africains. Certains sont accompagnés d’un prêtre… L’heure est au calme et au recueillement. Au bout de ce sentier d’environ 1 km, un hameau d’à peine 30 maisons. Des vendeurs de souvenirs s’étalent en bordure du chemin. Des autocars de touristes tentent de se frayer un chemin sur la route de terre. La demeure de Lucia est encore là, intacte. Elle a été transformée en musée. Tout est figé. Son lit est derrière une vitrine.

À deux degrés de séparation de la Sainte Vierge

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Des ex-voto en cire destinés à être brûlés en échange d’un miracle. Ils représentent différentes parties du corps : pieds, jambes, mains, intestins, yeux, seins.

Enfin un peu de vie : de l’autre côté de la rue vit toujours Maria Dos Anjos, nièce de Lucia. Elle a 99 ans. Toute sa vie, elle a travaillé dans les champs. Aujourd’hui, elle passe ses journées à recevoir les croyants. Vêtue de noir, fichu sur la tête et chapelet dans les mains, elle est assise près d’un radiateur. On dirait un personnage de film. 

Parler à Maria, c’est être à deux degrés de séparation de la Sainte Vierge. Pas étonnant qu’elle soit devenue une attraction. Les pèlerins entrent pour la toucher, l’embrasser et la prendre en photo. La scène est surréaliste.

Ça ne l’embête pas. Au contraire. Elle est contente de faire le travail. « C’est sûr qu’à la fin de la journée, je suis fatiguée. Mais je suis là et je vis ici. Pourquoi ne pas le faire ? »

Lucide, elle sait bien qu’elle n’a rien fait de spécial pour mériter toute cette attention. Après tout, elle n’est que la « nièce de ». Mais elle est contente de parler de tante Lucia, une femme « simple, mais triste. Triste parce qu’elle trouvait que le monde manquait d’amour ». Elle répond à nos questions simplement, l’air presque détaché. À l’inévitable « quel est le secret de votre longévité ? », la réponse fuse : « Il n’y a pas de secret. Tu travailles autant que tu peux et après, tu attends… »

Sur quoi elle nous baise les mains et nous dit adieu. Pas une apparition, mais presque…