Charleston est bien souvent cité comme étant la plus belle ville des États-Unis. Avec son centre-ville historique remarquablement bien restauré, ses fabuleuses demeures aux couleurs pastel et ses excellents restaurants, c’est effectivement un endroit exceptionnel. Toutefois, ce serait une erreur de se contenter d’admirer béatement le paysage, car la découverte de Charleston passe aussi par l’exploration de son lourd passé esclavagiste.
Musée vivant
Charleston, c’est comme si Jacques Cartier avait navigué du côté de l’été, pour paraphraser le grand Robert Charlebois. En marchant dans les étroites rues couvertes de pavés, on pourrait s’imaginer un moment dans le Vieux-Québec, mais avec des palmiers et de la mousse espagnole qui s’accroche aux branches des chênes verts. Mais à bien y penser, on se sent beaucoup plus près des Caraïbes que du cap Diamant !
Charleston est soumis depuis presque 100 ans à des règles de conservation strictes qui empêchent toute forme de développement sauvage. Qui plus est, aucune construction ne peut dépasser en hauteur le sommet du plus haut clocher d’église. Il en résulte une ville à échelle humaine qu’on peut parcourir à pied, des luxueuses demeures du secteur South of Broad jusqu’aux hôtels de Radcliffeborough en passant par l’incontournable Quartier français.
Héritage français
Parce que oui, il y a bel et bien un quartier français à Charleston, écho lointain à la contribution des huguenots, ces Français de religion protestante qui se sont réfugiés aux États-Unis à la fin du XVIIe siècle. Cent ans plus tard, les catholiques étaient aussi les bienvenus, si bien qu’on a vu Pierre Fayolles fonder la Société française avec les sujets de Napoléon 1er qui avaient fui Saint-Domingue après la révolution haïtienne. On peut trouver une plaque indiquant l’emplacement de la Société française, rue King, mais le bâtiment original se trouvait en fait un peu plus au sud…
Fondé en 1670 par quelque 150 colons britanniques, Charleston s’est effectivement rapidement distingué par sa tolérance religieuse, attirant les fidèles d’une multitude de croyances, si bien qu’il y a aujourd’hui plus de 300 églises dans le centre-ville, un nombre pour le moins étonnant pour une ville qui compte tout juste 150 000 habitants.
Voilà pourquoi on la surnomme la « Ville sainte ».
Architecture distincte
Ce qu’on remarque en parcourant les jolies rues de la ville est l’orientation bien particulière des maisons, dont la façade et les somptueux balcons donnent sur la cour latérale. Des légendes urbaines soutiennent que cela permettait aux propriétaires d’économiser en taxes en réduisant la superficie de la façade de leur maison, mais il s’agit tout simplement de profiter de la rafraîchissante brise maritime, caractéristique essentielle pendant les très chauds mois de juillet et août.
Quelques-unes de ces demeures peuvent d’ailleurs être visitées par le public. C’est le cas des maisons Nathaniel-Russell, Aiken-Rhett ou Edmondston-Alston, qui témoignent toutes du passé pas si lointain des propriétaires de plantations de riz et de coton de la Caroline du Sud (à lire dans l’onglet suivant).
Toutes ces demeures ont passé l’épreuve du temps en dépit du terrible tremblement de terre de 1886, qui a détruit plus de 100 bâtiments, et malgré le passage du violent ouragan Hugo, en 1989, qui n’a endommagé de manière importante qu’une poignée de résidences historiques. Néanmoins, les fonds fédéraux destinés à la reconstruction ont permis de restaurer la ville en lui redonnant sa superbe du passé. Cela a aussi entraîné l’embourgeoisement accéléré d’une bonne partie de la péninsule de Charleston. « Tout ce qui est situé au sud de la rue Broad se vend à plusieurs millions de dollars de nos jours, nous apprend Kourtney Jones, directrice des relations média d’Explore Charleston. Certains endroits où je n’osais pas aller quand j’étais au collège sont aujourd’hui parfaitement sécuritaires. »
Bref, à ce jour, Charleston n’abrite pas moins de 3500 bâtiments historiques protégés et restaurés en vertu des lois patrimoniales, ce qui fait de la ville le trésor architectural urbain le mieux préservé aux États-Unis. On en parle comme d’un musée vivant, et c’est effectivement le cas.
Pour ne jamais oublier
Comme les doigts des esclaves dont les empreintes ont marqué à jamais les briques des somptueuses résidences de Charleston, l’histoire de la Caroline du Sud sera toujours entachée par son terrible passé esclavagiste. Des initiatives récentes s’assurent que le souvenir ne s’efface pas des mémoires.
Nous avons eu la chance de visiter le Musée international afro-américain avant son ouverture officielle, le 27 juin. On en sort bouleversé, mais le sentiment est décuplé quand on ajoute à son séjour la visite de quelques plantations où travaillaient autrefois les esclaves.
Visite poignante
On se sent happé par l’histoire avant même d’entrer dans le musée, situé dans un secteur résidentiel un peu au nord du centre-ville. C’est précisément ici, sur le quai Gadsden, que les navires remplis d’hommes, de femmes et d’enfants ont accosté. De 1710 à 1808, près de 152 000 Africains séquestrés ont été débarqués à Charleston, en plus des 17 000 esclaves rapatriés des Caraïbes — des milliers d’autres ont été importés clandestinement jusqu’en 1866 malgré l’interdiction transatlantique de la traite d’esclaves.
Sous les pilotis de béton de coquillages du musée de 1300 m2, on a marqué le sol où se trouvait à l’époque la limite du quai Gadsden, avec juste à côté la reproduction grandeur nature du diagramme du Brookes, représentation graphique de la façon dont les esclaves étaient entassés dans la cale des navires. Soumise au mouvement des marées, la saisissante œuvre est tantôt à l’air libre, tantôt sous une fine couche d’eau de mer. « Le diagramme du Brookes est l’image la plus iconique de la façon dont les Africains étaient amenés en Amérique, enchaînés les uns aux autres, précise le conservateur adjoint du musée, Matthew Stevenson. C’est très poignant de voir ça. »
L’intérieur du musée n’est pas moins troublant ; l’exposition principale est aménagée comme une ligne du temps, de l’arrivée des premiers esclaves en terre américaine, au tournant du XVIe siècle, jusqu’à nos jours. Ce qu’on y apprend est perturbant, notamment la section où l’on voit d’un côté les noms que portaient les gens séquestrés en Afrique et de l’autre, les surnoms que leurs propriétaires leur donnaient à leur arrivée en Amérique. Avec, entre les deux, la description des affres de la traversée — on estime que 1,8 million d’Africains ont péri dans la traversée de l’océan Atlantique.
Une salle entière est par ailleurs consacrée à la généalogie des Afro-Américains de la Caroline du Sud, y compris la famille de l’ancienne première dame des États-Unis, Michelle Obama. « L’année 1870 représente un mur derrière lequel on perd la trace de nos ancêtres, car c’est à ce moment qu’ils ont cessé d’être répertoriés comme de la marchandise, nous dit Matthew Stevenson en référence à la fin de l’esclavagisme aux États-Unis. Mais nous avons mis la main sur des dossiers qui datent de la guerre civile et qui devraient nous aider à briser cette barrière. On espère d’ailleurs que les gens vont venir ici pour faire leurs recherches. »
Plantations
Visiter les plantations en imaginant les conditions des esclaves est une autre expérience déchirante. D’un côté, il est impossible d’être insensible à la beauté des lieux, notamment quand on déambule dans les jardins de Middleton Place créés en 1786 par André Michaux, botaniste du roi Louis XVI de France. L’aile sud du domaine est également superbement conservée — construite en 1755, c’est le plus ancien bâtiment qui subsiste encore à ce jour dans le domaine qui s’étalait en 1860 sur plus de 26 km2. À l’intérieur, les collections exposées sont sublimes : argenterie, draperies, œuvres d’art, vêtements, meubles, près de 95 % de ce qu’on voit est original, tout a été récupéré auprès des descendants de Henry Middleton. « La plupart des objets proviennent de membres de la famille, certains étaient sur place, quelques-uns étaient dans d’autres plantations, d’autres étaient conservés ailleurs, dit le guide John Neil. On a trouvé le moyen de réunir tout ça dans le musée. »
Mais on apprend aussi qu’à son apogée, au milieu du XVIIIe siècle, l’empire commercial de la famille Middleton s’appuyait sur le travail forcé de pas moins de 800 esclaves dans ses nombreuses plantations de riz de la Caroline du Sud.
Des esclaves dont les familles nombreuses vivaient entassées dans de petits réduits de deux pièces comme la maison habitée jusqu’en 1986 par Eliza Leach. C’est d’ailleurs d’ici que commence Beyond the Fields, l’une des visites guidées offertes au public, qui met l’accent sur l’héritage afro-américain du domaine.
Située à quelques kilomètres de Middleton Place, la McLeod Plantation est un autre endroit qui vaut absolument la peine d’être visité. Plus modeste, l’ancienne plantation de coton abrite aussi les maisons d’esclaves qui ont été habitées jusqu’en 1990. Vous avez bien lu : les derniers descendants d’esclaves ont vécu ici, dans des maisonnettes sans électricité ni eau courante, jusqu’à la mort du dernier des McLeod, William E., à 104 ans. Après la guerre de Sécession, les esclaves libérés se sont vu offrir les terres appartenant à leurs anciens maîtres, mais ils n’avaient bien souvent pas les moyens de payer pour les outils et l’équipement, notamment. Certains s’endettent donc auprès de leurs anciens propriétaires et choisissent de payer leur dû en fournissant directement leur travail, une forme de servitude pour dettes dont héritent les enfants des esclaves affranchis. C’est donc avec stupéfaction qu’on apprend que John Gathers, descendant des esclaves Hanna et Gable Gathers, payait toujours 25 $ par mois en 1990 pour rester dans la même maisonnette que ses aïeuls…
Quelques Chiffres
366 : C’est le nombre d’années qu’a duré le commerce légal et illégal d’esclaves entre l’Afrique et l’Amérique, de 1501 à 1866.
36 000 : C’est le nombre de voyages documentés entrepris dans le cadre de la traite d’esclaves.
12,5 millions : C’est le nombre estimé d’Africains qui ont été forcés d’embarquer dans les navires de trafiquants d’esclaves.
Que faire à Charleston
Bonnes tables
Charleston peut se targuer d’avoir l’une des plus belles scènes culinaires aux États-Unis. Toujours fidèle aux plats locaux du Lowcountry comme le shrimp & grits, la she-crab soup ou les huîtres grillées, les restos de la ville se sont raffinés au contact des nombreux chefs qui ont choisi d’y migrer. « Quand j’ai ouvert le Charleston Grill il y a 23 ans, il y avait très peu de variété en ville », dit Mickey Bakst, qui est sorti de la retraite pour donner un coup de main au Sorelle, nouvelle table vedette du centre-ville. « Charleston s’est par la suite retrouvé constamment sur la liste des plus beaux endroits à visiter aux États-Unis, et cet influx de touristes qui ont découvert la ville a encouragé les chefs d’ici à s’ouvrir à de nouvelles tendances. La scène culinaire a considérablement changé au cours des 20 dernières années, si bien que les chefs talentueux ont commencé à affluer en masse. »
Au pays du barbecue
Situé dans le quartier East Central, Lewis Barbecue est l’un des barbecue joints les plus populaires du coin, avec ses voisins Rodney Scott’s BBQ et Home Team BBQ. Tendres briskets, côtes levées juteuses ou porc effiloché, tout est cuisiné dans un style qui rappelle le Texas natal du proprio John Lewis, mais avec l’influence de sa contrée d’adoption, caractérisée par sa sauce juste assez vinaigrée avec un soupçon de moutarde. Rassurez-vous, la file d’attente avance rapidement, et on peut patienter en sirotant une bière locale — la plupart des nombreuses microbrasseries de Charleston sont aussi établies dans le secteur. La terrasse sur le toit de Revelry Brewing est particulièrement invitante, et c’est à moins de 300 m de Lewis Barbecue.
Pêche au crabe pour tous
Casual Crabing With Tia a été inclus au palmarès des activités les plus géniales, selon Airbnb, et pour cause. D’abord, Tia Clark est incroyablement sympathique, et l’expérience qu’elle propose est unique. On peut en effet pêcher le crabe bleu au bout du quai, dans la rivière Ashley, avec un panier rétractable, un filet ou simplement avec un fil au bout duquel est fixé un appât. Cette dernière technique est plus difficile, mais beaucoup plus satisfaisante, on peut en témoigner. On peut conserver nos prises s’il est possible pour nous de les cuisiner, sinon on peut les apporter au Charleston Crab House, où on peut les faire apprêter. Impossible d’avoir plus frais !
Marché public
Établi en 1804, le marché public de Charleston est l’un des plus anciens aux États-Unis. Ses échoppes s’étalent sur plus de 400 m, entre les rues East Bay et Meeting. Profitant d’un investissement de 5,5 millions en 2011, le marché a été complètement retapé. On a notamment construit le Great Hall, section couverte et climatisée qui abrite certains commerces permanents, y compris la Historic Charleston Foundation, qui propose une variété de produits locaux de même qu’une sélection d’ouvrages retraçant l’histoire de la ville.
Les frais de ce reportage ont été payés par Travel South, qui n’a exercé aucun droit de regard sur le contenu du reportage.