«Vous ne connaissez pas vraiment le Mexique si vous n'avez pas vu Xochimilco.» Appuyé sur la longue perche qui lui sert à guider habilement son bateau à fond plat dans les canaux de Xochimilco, Juan, notre batelier-guide, sait tout aussi bien vanter son produit. Mais, malgré son bagout un peu suspect de vendeur itinérant, il n'est pas bien loin de la vérité car, à quelque 20 km du centre-ville de Mexico, «le lieu où poussent les fleurs», comme l'ont nommé les Aztèques, est absolument unique.

Tous les week-ends et pendant la semaine aussi, les Mexicains s'y retrouvent en famille ou entre amis pour célébrer la vie. On y apporte de la bouffe, du vin, parfois aussi de la musique et on s'y amuse ferme en se laissant glisser entre les îlots de fleurs. La Juanita, la Maria... les trajineras, ces bateaux colorés et fleuris, portent presque tous des noms de femmes. Comme on doit quasiment consacrer la journée à cette visite, notamment en raison de l'aller-retour à partir du centre-ville de Mexico, les touristes y sont relativement rares, ce qui conserve à Xochimilco son cachet typique.

 

De temps en temps, une autre embarcation nous aborde, ici des mariachis qui nous offrent une sérénade, là des vendeurs de maïs dont la casserole fumante occupe le milieu de leur chaloupe, ou bien des vendeurs de fleurs, de chapeaux ou de poupées. De petits ponts enjambant les îlots donnent au parcours un air bucolique. Dans les trajineras voisines, à la faveur de l'alcool qui coule habituellement généreusement, les gens papotent bruyamment, chantent en choeur ou dansent.

Ceux qui ont négligé d'apporter leur pique-nique (c'est notre cas) peuvent accoster à un resto sans même avoir à se lever de leur siège. La serveuse monte à bord de notre embarcation pour nous servir puis, un peu plus tard, au retour de la visite, nous dessert avec autant d'entrain. Ici et là, on peut débarquer pour aller admirer les plantations de fleurs ou l'incontournable autel consacré à la Vierge de Guadalupe, la sainte patronne du pays. Le tout est exubérant, un peu excessif, à l'image du Mexique en fête.

Un lien vivant avec le passé

À l'époque préhispanique, Xochimilco servait carrément de potager à l'immense Tenochtitlan, la capitale aztèque devenue Mexico. On parle d'ailleurs, à tort, de jardins flottants. En fait, les Aztèques, inventifs, avaient carrément créé, vers le XIIe siècle de notre ère, des îlots-potagers au beau milieu du lac Texcoco pour nourrir la population de leur mégapole. En entassant de la terre, de la glaise et des débris de végétaux, ils ont créé les chinampas, sur lesquels ils faisaient pousser des fruits et des légumes et qui servent surtout maintenant à cultiver des fleurs.

Pourtant, Xochimilco a bien failli étouffer, victime de l'expansion débridée de Mexico. Pendant des années, en effet, on s'est servi de ses canaux pour y rejeter les eaux usées. Rien de bien tentant pour les visiteurs. Heureusement, des dirigeants plus avisés ont décidé de purifier les canaux et de redonner à l'endroit sa vocation originale.

Alors que trop de sites précolombiens ne sont plus que de splendides ruines, Xochimilco demeure un lien toujours vivant et vibrant avec le passé. Là où Aztèques et Mexicains se rejoignent vraiment.