Depuis des siècles, la ville de Québec inspire poètes et écrivains. Ses rues servent de toile de fond à des romans, des polars, des chansons. En compagnie de Marie-Ève Sévigny, passionnée de littérature, nous sommes partis à la découverte de cette ville d'encre et de papier.

Nous avons arpenté quatre quartiers, au rythme des mots de Jacques Poulin, Roger Lemelin, Chrystine Brouillet ou Alain Beaulieu, pour n'en nommer qu'une poignée. Leurs plumes nous ont servi de guide devant des maisons de pierres, des églises, des escaliers.

«Le mot qui revient le plus souvent lorsque les écrivains décrivent Québec est horizon. Il y a ici une harmonie entre la beauté de la ville et la splendeur de la nature», explique Marie-Ève Sévigny, qui offre depuis 2008 des promenades littéraires de deux heures dans les différents quartiers de la capitale.

Ces promenades sont autant d'occasion de voir la ville sous un angle nouveau, mais aussi de découvrir la prose de dizaines d'auteurs, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs.



Certains écrivains ont grandi à Québec, d'autres n'ont fait que passer. Camus parlait de son «prodigieux paysage» où «air, lumière et eaux se confondent dans des proportions infinies». Charles Dickens vantait les «hauteurs étourdissantes» de ce «Gibraltar d'Amérique». Beaucoup sont tombés sous le charme de la ville, mais pas tous, selon Mme Sévigny. «Herman Melville et Henry David Thoreau s'y sont sentis étouffés dans une société qu'ils jugeaient étriquée, figée.»

«Québec traîne d'ailleurs encore cette réputation de vieille ville trop tranquille. Il existe un romantisme autour de Québec. Mais derrière la carte postale, la ville change. Le Vieux-Québec a été cédé aux touristes, et la vie est rendue ailleurs: dans Limoilou, Saint-Roch, Saint-Sauveur.»

Dans les pages des romans, Québec se fait désormais bohème. On y voit apparaître des personnages interlopes. Des meurtres s'y produisent, plus nombreux sur papier que dans la réalité. La vie de quartier trouve aussi sa place dans les romans, les poèmes et parfois les textes inédits que Marie-Ève Sévigny récite à ses marcheurs attentifs.

Saint-Roch: l'ancien et le Nouvo

Personne dans le quartier Saint-Roch n'est nostalgique du Mail Saint-Roch. Cette horreur bétonnée qui défigurait le quartier a disparu pour de bon du paysage en 2007. Mais le lieu continue de hanter les écrits de nombreux écrivains, selon Marie-Ève Sévigny.

«Saint-Roch est souvent représenté dans des polars. Le quartier n'a jamais été un coupe-gorge, mais l'ancien mail était un véritable repaire de criminalité et de prostitution.» Un lieu mal famé où il ne fallait pas traîner. Et un terreau fertile pour planter un polar avec son lot de proxénètes, revendeurs et autres meurtriers.

Parmi les auteurs qui ont trempé leur plume dans le bitume de Saint-Roch, Alain Beaulieu fait figure d'incontournable, selon Mme Sévigny. «Enfant du quartier, il a connu l'époque des grands magasins de la rue Saint-Joseph. Pour lui, le quartier incarne bien les failles de nos sociétés de consommation. C'est un lieu de criminalité, mais aussi de rêves perdus.»

Si l'ancien Saint-Roch inspire les auteurs de polars, le Nouvo Saint-Roch fascine aussi, pour d'autres raisons. Chrystine Brouillet, par exemple, trouve dans les nombreux cafés et restaurants de ce quartier devenu branché des lieux tout indiqués pour mettre en scène son héroïne, l'enquêtrice Maud Graham.

Saint-Sauveur: le fief de Lemelin

Le quartier Saint-Sauveur est intimement lié à l'écrivain Roger Lemelin. L'auteur des Plouffe y a passé les 25 premières années de sa vie. «Même s'il a déménagé par la suite à Cap-Rouge, il a toujours considéré le quartier comme son vrai chez-soi, dit Marie-Ève Sévigny. Comme il souffrait de tuberculose osseuse, il passait beaucoup de temps à lire sur la galerie de la maison. Son voisin d'en arrière, qui lui a lu les premières aventures de Fantômas, lui a inspiré le personnage d'Ovide Plouffe.»

Aujourd'hui, les auteurs, les poètes continuent de s'installer dans Saint-Sauveur, notamment Sabica Senez ou Michel Pleau, poète officiel au Parlement, à Ottawa. «C'est un quartier où l'on trouve une grande mixité. On peut encore trouver un garage à côté d'une maison, à côté d'une église, à côté d'une école...»

Faubourg Saint-Jean-Baptiste: le quartier des artistes

Artistes, écrivains, étudiants, comédiens: ils sont nombreux à craquer pour le Faubourg, l'un des plus anciens quartiers de Québec.

Parmi les habitants en chair et en os, un personnage de papier vient souvent errer dans le secteur: Jack Waterman, alter ego de l'écrivain Jacques Poulin.

La ville de Québec en entier, et le Faubourg Saint-Jean en particulier, est indissociable de l'oeuvre de l'écrivain de 77 ans. Ce dernier réside d'ailleurs dans un petit appartement haut perché, rue Saint-Jean.

«Jack Waterman a un chalet dans l'île d'Orléans, mais lorsqu'il est en ville, il vit dans Saint-Jean-Baptiste, raconte Marie-Ève Sévigny. Il est un grand timide, un grand solitaire. Les contacts humains dans les commerces suffisent à le nourrir. Or, il y a ici plusieurs cafés, librairies, épiceries fines et restos sympathiques. C'est un quartier qui permet à Jack Waterman de se sentir moins seul.»

Limoilou: les ruelles de Lelièvre

C'est dans les ruelles de Limoilou que l'auteur-compositeur Sylvain Lelièvre, mort en 2002, a joué aux cowboys et aux Indiens. Qu'il a fait des tours de bicycle dans le noir avec sa première blonde. Et dégusté des «cornets de crème à glace, à deux boules, s'il vous plaît».

Pour la première fois cet été, Marie-Ève Sévigny propose une promenade littéraire dans le quartier d'enfance de Sylvain Lelièvre.

«Le quartier s'est épanoui récemment, surtout d'un point de vue artistique, avec l'arrivée de restos et de bars originaux, anticonformistes. Il y a ici une microsociété où coexistent avec bonheur familles, étudiants, jeunes, aînés. Ce melting-pot représente à mon avis un idéal de société, hors de toute ghettoïsation.»

Elle a fait appel à Michel Rivard, un ami de Sylvain Lelièvre, pour qu'il compose un texte inédit pour la Promenade des écrivains.

Rivard a accepté l'invitation avec enthousiasme. «J'ai découvert à quel point le quartier est beau, dit-il. Il me rappelle le Villeray de mon enfance, même si les ruelles sont plus larges, les galeries arrière, différentes. J'ai toujours aimé voir les maisons d'en arrière, on est plus près de la vie des gens.»

Sa visite lui a inspiré un poème, tendre et émouvant, selon Marie-Ève Sévigny.

«Michel a bien saisi l'esprit du quartier et, surtout, ce pour quoi Sylvain Lelièvre, qui en est l'icône, l'aimait tellement. Il vient de nous offrir un immense cadeau.»

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Les Promenades sont offertes les samedis et dimanches, du 6 juin au 27 septembre. Coût: 15 $ par personne.

promenade-ecrivains.qc.ca

«Le Vieux-Québec a été cédé aux touristes, et la vie est rendue ailleurs: dans Limoilou, Saint-Roch, Saint-Sauveur», estime Marie-Ève Sévigny.