Les pourvoiries sont à la croisée des sentiers: sans délaisser la pêche, elles veulent diversifier leurs activités afin de rejoindre un plus large public. Pour voir si la clientèle mord, nos journalistes ont testé incognito deux «auberges de la forêt».

Trois jours assis dans une chaloupe à taquiner la truite, un «campe» en bois rond au milieu des épinettes, des lits superposés, un poêle à bois... Image du bonheur pour certains, vision d'enfer pour d'autres, c'est l'idée que bien des gens se font d'un week-end dans une pourvoirie. Mais il y a du nouveau au fond des bois...

Que les mordus se rassurent! La bonne vieille pourvoirie où on peut louer un chalet, une chaloupe et ne rien faire d'autre que taquiner la truite existe toujours et n'est pas près de disparaître. Mais une mutation s'opère tout doucement dans certains établissements, qui constatent qu'ils sont à la croisée des sentiers: la clientèle des pêcheurs traditionnels prend de l'âge, et elle ne laisse pas beaucoup de relève.

Non pas que le nombre global de pêcheurs soit à la baisse. Selon des chiffres compilés par le Print Measurement Bureau, le nombre de «mordus» (ceux qui vont à la pêche plus de 10 fois par an) est même en progression. Cependant, 44% d'entre eux ont plus de 50 ans. On peut croire que, la retraite aidant, leur nombre continuera de progresser pendant un certain temps, mais il ne peut que décroître à plus ou moins long terme à mesure que les plus âgés délaisseront leur activité favorite au profit du CHSLD...

En revanche, le nombre de pêcheurs occasionnels (ceux qui n'y vont qu'une ou deux fois par an) est passé de 569 000 en 2007 à 438 000 en 2014, une saignée de 23%. C'est cette clientèle que les pourvoiries espèrent regagner et, mieux, fidéliser. Peu à peu, elles ajoutent donc à leur offre des activités qu'on trouvait surtout dans les bases de plein air ou les centres de villégiature, explique Claude Péloquin, directeur des études à la Chaire de tourisme Transat de l'UQAM. «Les pourvoiries ne délaissent pas la pêche, mais elles diversifient leurs produits pour attirer une clientèle susceptible de s'y intéresser à travers d'autres activités et, surtout, d'y prendre goût. Elles offrent par exemple des formules d'initiation à l'intention des écoles, des colonies de vacances, des familles, puisque c'est là que se trouve la relève potentielle.»

Plusieurs pourvoiries se sont donc dotées d'aires de jeux pour enfants et de baignade surveillée, de sentiers de randonnée, de terrains de sport, de pédalos, de kayaks; elles offrent même de l'animation et des activités d'interprétation ou d'observation de la faune.

La Fédération des pourvoiries du Québec (FPQ) a en outre créé à l'intention de ses membres la certification «Aubergiste de la forêt», qui mise sur la qualité de l'hébergement et de la gastronomie pour attirer une nouvelle clientèle.

Un peu comme on va passer un week-end dans un hôtel de charme à la campagne, on peut donc désormais s'offrir un séjour en pleine forêt sans sacrifier son confort, avec en prime la possibilité de taquiner la truite, qu'on soit pro ou complètement novice.

À ce jour, 11 des 345 membres de la FPQ détiennent la certification Aubergiste de la forêt. Pourquoi si peu? C'est que la plupart des pourvoiries n'offrent que l'hébergement en chalet. Or, pour être aubergiste, il faut d'abord... une auberge! Les critères de la FPQ exigent en outre que l'établissement ait au moins trois étoiles selon le classement de Tourisme Québec et offre un service de restauration complet. Dans tous les cas, précise la FPQ sur son site web, on est assuré «d'avoir une chambre confortable, des repas délicieux et un service personnalisé».

Certaines pourvoiries, membres ou non de la FPQ, appartiennent également au réseau des Hôtelleries champêtres, et toutes, sans exception, sont soumises au programme de classification sur cinq étoiles du ministère du Tourisme.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Domaine Bazinet: pour amuser les petits pêcheurs

SAINTE-ÉMÉLIE-DE-L'ÉNERGIE - Situé à Sainte-Émélie-de-l'Énergie, à 100 km de Montréal, le Domaine Bazinet accueille les pêcheurs depuis 1934. Depuis 1996 toutefois, la pourvoirie propose des forfaits destinés aux familles pendant les mois d'été. «C'est ici que le stress s'arrête et que les vacances commencent», clame l'un des panneaux qui jalonnent la route de terre menant au Domaine. Un credo prôné par le propriétaire Benoit Auger, qui espère transmettre la passion de la pêche à ses clients estivaux, souvent fort peu expérimentés.

Le lieu

Le territoire exclusif de la pourvoirie couvre une superficie de 19 km2. Sur cette grande surface montagneuse et boisée, six lacs ensemencés sont ouverts à la pêche à la truite mouchetée et arc-en-ciel.

L'auberge principale ainsi que 20 des 21 chalets offerts en location font face au lac des Îles, un plan d'eau de 5,7 km2 où, oui, il y a de petites îles pour accoster. Seuls les moteurs électriques sont autorisés sur l'ensemble du territoire et les remises à l'eau des prises sont interdites.

Le lac est donc d'une grande propreté. Idem pour le terrain qui ceinture l'auberge. Sur la plage de sable, aucune branche ni détritus pour risquer de se blesser au pied. Pas d'odeur de poisson non plus, malgré la proximité du bâtiment réservé à l'éviscération des truites. Le site, de toute évidence, est fréquemment nettoyé.

Le territoire compte aussi une chute haute de 30 m, illuminée par des ampoules de couleur à la nuit tombée.

L'hébergement

Deux formules d'hébergement sont proposées: en auberge ou en chalet. La première, classée quatre étoiles, compte sept chambres, toutes dotées d'une salle de bains privée récemment rénovée, d'un mini-réfrigérateur, d'un petit téléviseur et d'une cafetière. Certaines profitent d'un balcon privé ou d'une terrasse au niveau de l'eau. Toutes offrent une vue sur le lac.

Les chambres? Elles sont propres, les lits sont confortables, la literie est de qualité et les salles de bains sont impeccables (certaines grandes chaînes d'hôtels souffriraient de la comparaison). Elles ne sont toutefois pas climatisées, ce qui peut être inconfortable en période de canicule.

Les 21 chalets - quatre étoiles ou trois étoiles selon le cas - ceinturent le lac des Îles, à l'exception d'un bâtiment plus isolé sur le lac Resserré. Certains sont plus rustiques que d'autres (les chalets d'origine ont été conservés), mais tous disposent d'une salle de bains intérieure et sont alimentés en électricité. Leur capacité varie de 2 à 12 personnes.

Les chalets ne sont pas équipés de laveuse et sécheuse, mais une buanderie avec machines payantes est installée au rez-de-chaussée de l'auberge.

La restauration

L'auberge compte une grande salle à manger où un service de repas est offert certains jours de la semaine. On y propose un menu très étendu, où les frites (maison et servies dans un cornet de papier), les pizzas et les burgers côtoient la bavette de bison, la salade de confit de canard du Lac Brome ou la truite entière farcie aux tomates séchées et bacon.

La truite fumée occupe comme il se doit une place de choix dans les assiettes. Elle est servie en généreuses bouchées dans le panini grillé, avec pain au curcuma et à l'ail. Elle se glisse sur la pizza, dans des won ton, dans les pâtes. «Elle est fumée par notre ancien chef cuisinier qui s'est ouvert un fumoir à Saint-Damien», explique Benoit Auger. D'autres produits régionaux (bison, bière, cidre) sont aussi utilisés.

Les activités

Les familles sont ici servies! Les activités sont assez nombreuses pour occuper la marmaille des jours durant.

Des dizaines d'embarcations nautiques sont offertes en libre-service: pédalos, canots, kayaks récréatifs, planches pour surf debout à pagaie, mais aussi des trucs plus rigolos comme des pédalos à bras. «Les clients peuvent prendre ce qui leur plaît quand ils le veulent, dit M. Auger. Il n'y a pas de frais supplémentaires à payer ni d'horaire.»

Une glissade double et un (très populaire) trampoline flottant complètent les activités nautiques, avec l'incontournable baignade. À savoir: la veste de flottaison est obligatoire, tant pour les adultes que les enfants, pour toutes ces activités, puisque l'aire de baignade n'est pas surveillée.

Des activités animées sont aussi offertes chaque jour, notamment un atelier d'initiation à la pêche destiné aux enfants (mais fréquenté par de nombreux adultes). Après un cours théorique d'une heure où les enfants reçoivent leur permis de pêche (valide jusqu'à leur majorité) et une canne à pêche, les participants vont pêcher la truite dans un petit étang ensemencé.

Autres activités possibles sur place: volleyball de plage, ping-pong, chasse au trésor autonome, randonnée pédestre, jeux de société (prêtés sans frais). Deux aires de jeu, une mini-ferme et un enclos de cerfs rouges viennent compléter l'offre.

Pour taquiner la truite, la chaloupe (avec rames) et le droit de pêche sont inclus dans le prix d'une nuitée. La location de moteur électrique, de cannes et de vestes de flottaison est offerte. Permis de pêche en vente sur place.

Prix

À compter de 92,95$ par personne, par nuit, en occupation double. Les enfants de moins de 12 ans sont logés gratuitement. Ceux de 12 à 17 ans profitent d'un rabais de 50%.

Il est aussi possible de payer pour une journée de pêche ou pour profiter des installations sans loger sur place.

On aime

Les activités nombreuses, la propreté du site.

On aime moins

L'eau n'est pas potable, du moins selon les critères du ministère québécois du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs. «C'est l'eau du lac que je bois tous les jours sans problème, explique M. Auger. Je ne peux toutefois pas dire qu'elle est potable. C'est pourquoi nous vendons des bidons d'eau, au prix coûtant.»

Pourvoirie Domaine Bazinet 3000, chemin Bazinet, Sainte-Émélie-de-l'Énergie

http://www.domainebazinet.com/fr/

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Club Odanak: séjour chez les Atikamekw

LA TUQUE - Propriété depuis 2003 du conseil de la nation Atikamekw de Wemotaci, le Club Odanak est membre de Tourisme autochtone Québec. L'établissement, classé quatre étoiles, détient les appellations «aubergiste de la forêt», «pourvoirie familiale» et «pourvoirie autochtone» de la FPQ. Le jour de notre passage, à la fin juillet, l'auberge tournait au ralenti - il faisait trop chaud pour la pêche, et la haute saison du tourisme français, qui constitue 80% de sa clientèle, n'était pas encore commencée.

Le lieu

Le Club Odanak se trouve à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de La Tuque. Son territoire de quelque 45 km2 compte 16 lacs et étangs, dont le joli lac Castor, au bord duquel se trouvent les bâtiments (3 pavillons de 48 chambres en tout, 4 chalets et 2 tipis). Le lac est en outre habité par un couple de huards (oh, ce cri mélancolique!) et une famille de castors. C'est le bon endroit pour écouter le silence et compter les étoiles.

Le pavillon principal abrite une salle à manger assez vaste, avec vue sur le lac, et un bar meublé de quelques tables et de deux canapés placés devant un petit foyer... malheureusement au gaz. Au sous-sol, on trouve une salle de détente avec une télé (il n'y en a pas dans les chambres), un ordinateur et des jeux divers, ainsi qu'une salle animalière, qui renferme une collection d'animaux naturalisés.

L'hébergement

Il faut bien le dire, la décoration des chambres, sommaire et sans grande recherche, les oreillers de caoutchouc-mousse, la literie quelconque, le couvre-sol de vinyle jauni de la salle de bains, le mobilier de mélamine et les équipements sanitaires bon marché, tout cela laisse songeur sur la valeur réelle de la classification FPQ-Tourisme Québec, qui accorde quatre étoiles au Club Odanak. Certes, les lieux sont d'une propreté irréprochable, mais on n'a certainement pas affaire ici à une «unité d'hébergement de confort supérieur, parmi les meilleures en forêt, dotée d'un aménagement qui offre un large éventail de services et de commodités», ainsi que le décrit l'énoncé de la FPQ pour les établissements de cette catégorie.

La restauration

La gastronomie est l'un des éléments qui distinguent les aubergistes de la forêt des autres pourvoiries. C'est un pari risqué en raison de l'éloignement des grands centres, mais comme de plus en plus de producteurs, dans les régions - y compris en Mauricie - jouent la carte du local et du frais, c'est jouable. On se prend à espérer qu'il y aura du gibier au menu, peut-être même de la banique, ce délicieux pain traditionnel amérindien, voire des champignons sauvages, pourquoi pas?

Le jour de notre visite, la table d'hôte (il n'y a pas de menu à la carte) proposait en entrée une terrine de gibier (épuisée), des croûtons de chèvre chaud ou une salade de saumon fumé; en plat, un pavé de truite sauce tartare, des côtes levées barbecue ou un filet de porc sauce brune. En dessert, on avait le choix entre un gâteau à l'érable, un gâteau au fromage et au chocolat ou une tarte au sucre avec crème glacée.

Au vu de ces propositions, on se dit qu'elles n'ont rien d'original, mais qu'il y a moyen d'en faire quelque chose de bon. Hélas... Le pavé de truite d'élevage manifestement décongelé, beaucoup trop cuit, était servi avec un contenant individuel de sauce tartare Kraft. Les côtes levées, qu'on aurait dites cuites à la vapeur, étaient enduites d'une sauce sucrée au goût de fumée artificiel. Le filet de porc, gris, fade et desséché, faisait honneur à sa sauce brune reconstituée. Les mêmes légumes surgelés et aqueux accompagnaient tous les plats. Seuls les desserts se sont révélés à la hauteur des attentes - peut-être parce que le reste était tellement décevant, surtout compte tenu du prix: 31,95$ par personne le soir, 20,95$ le midi.

Quant au petit-déjeuner, il s'est avéré tout aussi consternant: crêpes spongieuses assurément faites d'un mélange du commerce, pain industriel à peine rôti, pommes de terre surgelées, café filtre insipide...

Pour savoir si cette expérience constitue la norme, La Presse a joint par téléphone le directeur du Club Odanak, Michel Noël, qui s'est montré sincèrement atterré.  Je ne comprends pas ce qui a pu se passer. L'auberge tourne au ralenti durant les deux dernières semaines de juillet, le chef n'était peut-être pas là? [NDLR il y était.] Normalement, notre saumon est accompagné d'une sauce maison à la moutarde, nous servons aussi du wapiti... Vous savez, nous recevons beaucoup de Français, c'est une clientèle exigeante, et nous n'avons jamais, jamais eu de commentaires négatifs.»

Il a ajouté que l'auberge est en pleine restructuration et qu'un nouveau chef vient d'arriver, lequel a justement comme projet de servir de la banique, notamment.

Les activités

Le Club Odanak offre quelques activités hormis la chasse et la pêche: baignade, pédalo, canot, kayak, mini-golf, pétanque, randonnée pédestre (40 km de sentiers) et vélo de montagne. L'équipement est en bon état et facilement accessible. Normalement, on peut faire une promenade en forêt en compagnie d'un guide autochtone, avec qui on peut en apprendre plus sur les plantes médicinales en usage chez les Atikamekw, leurs techniques de piégeage et leur mode de vie traditionnel. Hélas, nul ne nous l'a proposée, non plus que la visite de la salle animalière.

Encore là, M. Noël s'en est étonné et désolé. «Ça fait partie des services que nous offrons. La salle animalière, ce n'est pas que des animaux empaillés. Elle nous donne l'occasion de parler de la vie dans la réserve de Wemotaci, très différente de celle des réserves plus proches des villes. J'y participe moi-même régulièrement pour expliquer aux gens, par exemple, que les Atikamekw ont été les premiers à faire du sirop d'érable, que nous parlons encore notre langue...»

Bref, il faudra peut-être une autre visite pour profiter à plein de tout ce que le Club Odanak a à offrir. La lecture des commentaires laissés dans le livre d'or ainsi que sur les sites de réservation laisse voir, en tout cas, que nos amis français sortent enchantés de leur séjour.

Quoi qu'il en soit, en attendant la consolidation du Club Odanak, la pêche reste peut-être encore son meilleur atout: une excursion de quelques heures au lac Noir nous a permis de glisser une douzaine de belles truites bien dodues dans notre panier, ce qui est presque un exploit en plein mois de juillet.

Prix

À partir de 123$ par personne par nuit en occupation double, déjeuner, souper, taxes et pourboires inclus; droits de pêche (50$) en sus.

On aime

La remarquable gentillesse du personnel, entièrement atikamekw, qui fait vraiment de son mieux pour rendre le séjour aussi agréable que possible.

On aime moins

Le rapport qualité-prix comparativement à d'autres établissements de la même catégorie.

Pourvoirie Club Odanak  Lac Castor, La Tuque

http://www.clubodanak.com/

Photo fournie par le MACAM

Photo fournie par le MACAM