En Europe, la pêche à la carpe fait l'objet d'un véritable culte, un peu comme le saumon en Amérique du Nord. Des magazines y consacrent la totalité de leur contenu, et des pêcheurs anglais et français déboursent de petites fortunes pour attraper ces bêtes qui frétillent, là-bas, dans de petits étangs.

C'est d'ailleurs ce que faisait Fabien Prévost, Français natif de Normandie, avant de débarquer au Québec en 2011. Depuis, ce carpiste aguerri a essayé la pêche à la truite, au brochet, au doré, à l'achigan; mais pour lui, rien ne vaut l'excitation d'une bonne grosse carpe dans son filet. «Quand tu t'adonnes à cette pêche, tu abandonnes toutes les autres», soutient-il.

Sceptique? Cet été, Fabien tentera de convertir les Québécois à cette pêche méconnue de ce côté-ci de l'Atlantique en organisant des excursions guidées à la pourvoirie du lac Saint-Pierre, située à Saint-Ignace-de-Loyola, dans l'archipel des îles du lac Saint-Pierre.

Nous avons tenté l'expérience.

Patience, patience

Oubliez la quête du quota, les vers de terre, les leurres et les cuillères, la pêche à la carpe, façon XXIe siècle, est à mille lieues de nos pêches traditionnelles. Elle se fait à gué, et ses adeptes européens utilisent de l'équipement (canne, appât, hameçon) introuvable au Québec.

En compagnie de Fabien et d'Alec Delage, directeur de la pourvoirie, on jette l'ancre à l'île Ronde pour dresser notre campement. Pourquoi ici plutôt qu'ailleurs? La veille, Fabien a lancé du maïs dans un chenal dans l'espoir d'y attirer des carpes communes - à ne pas confondre avec la carpe asiatique, une espèce envahissante qu'on ne retrouve pas encore au Québec.

Fabien installe ses deux cannes sur son trépied, puis il les relie à un détecteur de mouvement. Si le poisson mord, bip-bip, le pêcheur sort de sa torpeur. Comme appât sur l'hameçon, il utilise des «bouillettes»: de petites boules à saveur de fruit dont raffolent les carpes. Après avoir mis ses lignes à l'eau, il empoigne son lance-pierre pour projeter au loin d'autres grains de maïs afin d'attirer le poisson. Ils sont fous, ces Français!

Maintenant que tout est prêt, il ne reste qu'une seule chose à faire: s'armer de patience. «Ça peut prendre des heures avant qu'un poisson morde. En attendant, on lit, on prend des photos, on dort. Bref, on se la coule douce», raconte Fabien. Grâce au détecteur de mouvement, on peut s'éloigner des lignes et revenir au besoin. «C'est une pêche agréable à faire avec les enfants. On peut la combiner avec d'autres activités», dit-il.

En attendant le monstre rêvé, notre guide déploie un étrange sac sur la berge. Qu'est-ce que c'est? «C'est un tapis de réception matelassé. Ça sert à manipuler nos prises afin de leur éviter des blessures sur les roches et les branches», explique-t-il. Ce traitement royal a un but: toutes les carpes sont remises à l'eau, son intérêt étant strictement sportif.

La chair de la carpe, au goût vaseux, compte peu d'adeptes et semble impossible à apprêter. À preuve, Martin Picard, dans son émission Martin sur la route, en a cuisiné et, parole d'Alec Delage, ce n'était pas mangeable. «Pourtant, il y avait ajouté une bonne dose de foie gras!», s'étonne le pourvoyeur. Si le réputé chef du Pied de cochon n'est pas capable d'en faire un plat comestible, autant dire que c'est une cause désespérée.

La pêche, ce n'est jamais garanti. Ce matin-là, on est rentrés bredouilles. Ce n'est que partie remise. Toutefois, à voir les énormes carpes prises en photo ici même par Fabien, on ne doute pas que leur capture doit procurer une grande poussée d'adrénaline. Jetez vos préjugés à l'eau et transformez-vous en carpiste d'un jour. Qui sait, peut-être qu'une passion naîtra.

Info: www.lacsaintpierre.com