On y trouve des oeuvres d'art en quantité impressionnante, des points du vue uniques sur la ville, une nature exceptionnelle... et très peu de visiteurs. Promenade apaisante dans les cimetières du mont Royal avec un passionné du patrimoine funéraire.

«Si on faisait un palmarès des plus beaux cimetières du monde, les quatre cimetières du mont Royal seraient assurément dans le top 10. C'est un ensemble unique au monde, par son ampleur et sa diversité, mais aussi par la splendeur de ses paysages.»

Question cimetière, Alain Tremblay est un connaisseur. Directeur de l'Écomusée de l'au-delà, fondation vouée depuis 20 ans à la protection du patrimoine funéraire de la province, il se balade depuis plus de 30 ans au milieu des milliers de pierres tombales dressées sur les hauteurs du mont Royal, dans les cimetières Notre-Dame-des-Neiges et Mont-Royal, ainsi que dans les deux petits cimetières juifs Shaar Hashomayim et Shearith Israel. Nousl'avons suivi dans les dédales de ces cimetières hors du temps, où la frénésie de la ville n'a jamais franchi les grilles.

Sur le petit lacet asphalté, deux femmes s'avancent à pas prudents. À elles deux, elles doivent bien dépasser les 150 ans. Elles s'arrêtent, poursuivent leur jasette et se remettent en marche, lentement. Une joggeuse les dépasse, écouteurs sur les oreilles. Plus loin, deux visiteurs, carte en main, essaient de trouver la trace des célébrités conduites ici à leur dernier repos: Maurice Richard, Émile Nelligan, Robert Bourassa, Jean Paul Riopelle.

Dans ce royaume des morts, les toujours bien vivants se font rares. Pourtant, le décor est magnifique en cet après-midi d'automne. Les feuilles mortes couvrent le sol de jaune et d'orangé. Adossé au banc installé à la mémoire de Mordecai Richler au cimetière Mont-Royal, on peut embrasser du regard tout l'est de la ville. En bas, les touristes se massent sur le belvédère Camillien-Houde pour photographier en vitesse le Stade olympique. C'est la cohue. Quelques mètres plus haut, le calme est complet. Où ailleurs peut-on se retrouver seul avec la ville à ses pieds?

«Les cimetières offrent des points de vue magnifiques, explique Alain Tremblay. Lorsque les feuilles sont tombées, on peut voir jusqu'au lac des Deux-Montagnes du sommet du cimetière Notre-Dame-des-Neiges. On peut aussi admirer des arbres remarquables, parmi les plus âgés et les plus spectaculaires de Montréal. Avec 100 espèces, dont certaines importées de Chine, le cimetière Mont-Royal est un véritable arboretum.» Les pins, les frênes, les bouleaux, les ginkgos sont plantés - on jurerait de façon aléatoire - au milieu des monuments, créant une série de décors différents.

Des quatre cimetières du mont Royal, Notre-Dame-des-Neiges reste toutefois son préféré, avec ses îlots bordés d'arbres matures parfaitement alignés et ses monuments exubérants, témoignages d'une époque au cours de laquelle les catholiques péchaient parfois par excès d'ostentation, jusque dans la mort.

Au fil des ans, il y a déniché de véritables trésors historiques, mais aussi architecturaux et artistiques. Un des plus spectaculaires: le monument de la famille Valois, avec son imposant ange de bronze signé par le sculpteur Louis-Philippe Hébert. L'ange a d'ailleurs été descendu de son socle pour être présenté au public dans le cadre d'une rétrospective de l'artiste présentée en 2001 au Musée des beaux-arts du Canada.

D'autres monuments témoignent d'un pan tourmenté de l'histoire du Québec, comme cette immense pierre qui marque le lieu de sépulture de Joseph Guibord, typographe excommunié par l'Église catholique juste avant sa mort, en 1869, en raison de sa participation à l'Institut canadien de Montréal, coupable de conserver des livres mis à l'Index. Un excommunié n'avait pas sa place au cimetière catholique de Notre-Dame-des-Neiges, considérait alors le clergé. Après cinq années de batailles judiciaires pendant lesquelles la dépouille a été conservée au cimetière protestant, l'inhumation n'a pu se faire - sous haute surveillance militaire - qu'après un jugement du Conseil privé de Londres, plus haut tribunal d'appel des pays du Commonwealth à l'époque.

«Il y a plus de 160 000 monuments funéraires sur le mont Royal. Si on estime qu'il y a 5% de ces monuments - le chiffre est prudent - qui ont un intérêt patrimonial, ça fait tout de même 8000 monuments intéressants à découvrir», dit Alain Tremblay. Et il y a du terrain pour user ses semelles: l'ensemble des cimetières du mont Royal forment un espace quatre fois et demie plus grand que le cimetière du Père-Lachaise, à Paris. «Les cimetières sont si vastes qu'il faut des années pour bien les connaître. Le meilleur moyen de les découvrir: s'y perdre. Surtout l'hiver. Sans les feuilles aux arbres, on comprend mieux la topologie. Et on s'y retrouve plus aisément.»

Pour en savoir plus sur les activités de l'Écomusée de l'au-delà, dont des visites des cimetières du mont Royal, ou pour contribuer à la préservation du patrimoine funéraire: www.ecomuseedelaudela.net