Dans l'imaginaire des Montréalais, Montérégie rime souvent avec banlieue-dortoir et centre commercial. Et quand on parle de son caractère agricole - c'est l'un des plus importants garde-manger de la province -, c'est aux cultures extensives ou aux élevages quasi industriels que l'on fait le plus souvent référence. On y pratique pourtant encore une agriculture à échelle humaine. Quelques suggestions pour les urbains désireux de renouer avec la ruralité à quelques dizaines de kilomètres de la métropole.

Le canard du village: sauver le patrimoine

Ce n'est pas tant l'amour de la terre que celui du patrimoine qui a ramené Jocelyne Ravenelle à la campagne. Elle travaillait en réadaptation physique à Montréal depuis une dizaine d'années déjà lorsque son père, fatigué par le passage des ans, a décidé de vendre la ferme familiale à Saint-Pie. Oui, celle exploitée par sa famille depuis quatre générations et où sa mère lui avait donné naissance: impensable!

«Nous sommes cinq soeurs, et mon père n'avait jamais pensé qu'une fille voudrait de la ferme, mais je ne pouvais pas imaginer passer un jour devant la maison où je suis née et voir des étrangers l'habiter, mal s'en occuper.» La voilà donc, au tournant des années 90, de retour sur les bancs d'école à l'Institut de technologie agroalimentaire, pour apprendre à devenir agricultrice. Elle a raffolé des cours sur le canard, détesté ceux sur le gavage: à son retour, elle a converti la ferme en élevage de canards de Barbarie nourris de grains, jamais gavés. Une rareté, sinon une exception au Québec.

«Le canard de Barbarie est gros, il a beaucoup de chair, et comme je ne le gave pas, j'obtiens de grosses poitrines sans la grosse couche de gras qu'on voit ailleurs», explique-t-elle. Sans que l'élevage soit certifié biologique, elle s'engage à ne pas leur donner de farine animale ni d'antibiotiques, et enrichit leur alimentation de graines de lin pour augmenter la teneur de la viande en oméga-3.

Plus de 20 ans après ce virage, Jocelyne Ravenelle peut se targuer d'avoir réussi non seulement à sauver l'héritage de son arrière-grand-père - elle a même entièrement retapé des bâtiments de la ferme dans un tel respect du patrimoine qu'elle en fut décorée par la MRC -, mais aussi à en assurer l'avenir. Car ses quatre enfants souhaitent s'impliquer dans l'entreprise familiale, dont deux comptent y consacrer leur carrière. Gabriel a repris cette année la culture des champs - 90 arpents, pile la superficie que l'on remettait aux colons quand la région fut défrichée - en respectant les règles de la certification biologique, dans l'espoir que l'élevage soit officiellement reconnu comme tel dans trois ans. Marie s'occupe davantage des animaux et aide à mettre au point les recettes des produits transformés.

La famille est omniprésente sur les marchés de la Montérégie, mais Jocelyne, Gabriel et Marie s'engagent cet été à être présents tous les vendredis et samedis pour accueillir les excursionnistes et leur expliquer le pourquoi du comment de l'élevage de canards. La visite dure entre 30 minutes et une heure environ, «cela dépend essentiellement de l'intérêt des gens et de l'âge de leurs enfants. On s'adapte au flot de questions», note Jocelyne. On peut voir les canetons encore tout duveteux, jaune vif, sitôt livrés d'une volière de Saint-Canut, dans les Laurentides, un peu maladroits dans leurs mouvements, tanguant sur une patte puis l'autre. Et dans l'enclos suivant, on les retrouve quelques semaines plus tard, déjà costauds, le plumage en train de pâlir doucement: ils seront blancs et dodus dans le dernier; que des mâles ou presque, une sélection à l'achat pour une meilleure rentabilité: monsieur est deux fois plus gros que madame. «Vous remarquez comme c'est tranquille?», demande Jocelyne Ravenelle. C'est vrai. Pas un son, sinon ceux, si apaisants, de la campagne. «Les mâles sont muets, tout naturellement», révèle-t-elle. On ne l'imagine plus dans le brouhaha de Montréal. Elle a retrouvé la sérénité dans ce rang qui l'a vue naître, avec ses animaux, ses arbres et ses champs. C'est aussi cela qu'elle partage avec les visiteurs en leur ouvrant ses portes cet été.

Visites: 5$

Plusieurs produits transformés vendus sur place.

http://www.canardduvillage.com/

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Les canards sont nourris avec une moulée spéciale enrichie de lin. Leur viande serait ainsi plus riche en oméga-3.

La Rabouillère: des animaux à hauteur d'enfants

Tout a commencé pour les enfants. «On voulait absolument les élever à la campagne», explique Pierre Pilon. C'était il y a plus de 20 ans. Il était vétérinaire, adorait les animaux et rêvait de calme.

Ce serait donc dans le rang de l'Égypte, un coin perdu comme il en reste encore quelques-uns aux confins de la Montérégie et des Cantons-de-l'Est, que la famille s'installerait, pour ne jamais en repartir. Et ce, même si la première année en aurait fait fuir la plupart derechef: un incendie ravagea dès leur arrivée tous les bâtiments de la ferme. Ne restait plus qu'une maison centenaire ayant, déjà, besoin de rénovations.

«Il a fallu tout reconstruire et nous n'étions pas vraiment assurés, mais maintenant, on se dit que ce n'est pas plus mal, car on a pu tout mettre à notre goût», observe Pierre Pilon, campé devant une jolie grange aux murs de bois bleuté. Fier.

Pierre Pilon s'est d'abord lancé dans l'élevage de lapins, avec assez de succès pour devenir l'un des plus gros de la province, mais dès lors, la vie à la campagne avait perdu de cette tranquillité que la famille était pourtant précisément venue chercher ici. On a recentré les activités sur l'autre passion de Pierre: la génétique, et commencé à acquérir une variété extraordinaire de petits animaux.

Aujourd'hui, on y découvre une quarantaine d'espèces dans la basse-cour, dont une quinzaine de variétés de poules exotiques ou ancestrales (dont le poulet Chanteclerc, une race patrimoniale québécoise, sauvée in extremis de l'extinction). Dans les champs paissent des lamas, des alpagas, des cochons vietnamiens, des chèvres et des chevaux miniatures. «On a remarqué que les enfants préfèrent les animaux de plus petite taille», note Pierre Pilon.

Car c'est surtout pour les visiteurs que l'on élève désormais des animaux à La Rabouillère. Tous les étés, on accueille les familles au domaine, qu'elles peuvent visiter à leur guise, Pierre et son fils Jérémie n'étant jamais très loin pour répondre à leurs questions sur la vie à la ferme ou compléter les fiches explicatives apposées près de certains enclos.

On y organise aussi des soupers à la table champêtre, dirigée par Jérémie depuis sa formation de chef à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec, qui prépare des repas avec au minimum 50% de produits de la ferme et en privilégiant les producteurs du Québec pour la suite. Rarement trouvera-t-on un repas préparé avec des produits aussi frais et locaux.

Visites: 10$ pour les adultes, 7,50$ pour les enfants, non guidées Studio à louer directement à la ferme pour une immersion plus complète.

http://www.rabouillere.com/

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Une table champêtre doit utiliser un minimum de 50% de produits de la ferme. Jérémie prépare notamment plusieurs charcuteries, terrines et pâtés avec les volailles et le bétail élevés sur place.

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Pierre Pilon, son fils Jérémie et sa belle fille Marie-Claude Bouchard, propriétaires de La Rabouillère.

Le ruban bleu: démystifier la chèvre

Caroline Tardif s'amuse (encore) des questions que lui posent les Montréalais lorsqu'ils débarquent pour visiter sa ferme. «Les gens pensent souvent qu'on travaille 300 heures par semaine, qu'on n'a jamais une seule seconde de répit, ils ne comprennent pas comment on peut élever deux enfants en plus. Notre métier est bien mal connu.»

Il faut dire que la jeune mère de famille a de la graine d'entrepreneur - une formation en administration à l'UQAM - et qu'elle a bien retenu ce conseil que lui a donné un jour son père: «Si ta business est trop petite, tu y seras emprisonnée.» Très vite après avoir racheté la Fromagerie Ruban bleu, elle s'est donc débrouillée pour embaucher deux employés pour l'épauler et lui donner un peu de répit. Et pour ce faire, il fallait diversifier les activités.

On va donc au Ruban bleu, d'une part, pour découvrir la vaste gamme de produits maison (essentiellement faits de lait de chèvre pasteurisé): on raffole du Tuyau de poêle, un cendré, ou de La Beurrasse, une pâte très fraîche à tartiner, délicieuse avec du confit d'oignons dans les sandwichs.

Mais on y va aussi pour admirer le verger que son conjoint, Jean-François Hébert, diplômé en gestion de plantation d'arbres fruitiers, a entrepris de planter il y a cinq ans, en suivant les meilleures règles de l'art botanique (dont la croissance en arcure Lepage) et de la culture biologique: un verger éclectique (pêches, poires, cerises, alouette). On a beaucoup à y apprendre.

Des visites d'une durée de 30 minutes sont organisées deux dimanches par mois, ou alors sur demande pour les groupes de 12 personnes et plus, visites qui sont alors plus longues (deux heures, avec une présentation PowerPoint) et qui survolent les aléas de l'élevage caprin et les rudiments de la fabrication du fromage. «On souffre encore de la méconnaissance des fromages de chèvre, il y a encore beaucoup de préjugés», regrette Caroline Tardif. Quelques minutes plus tôt, un client venait de demander s'il était possible d'acheter «des fromages qui ne goûtent pas trop». «On serait plus populaires si on faisait du fromage en grains!», constate Caroline Tardif. Mais c'est hors de question. On préfère l'éducation, qui passe par de généreuses dégustations tous les week-ends. S'instruire goûte parfois terriblement bon.

Visites exploratoires proposées deux dimanches par mois: gratuites; 8$ pour celles, plus élaborées, offertes sur demande aux groupes de 12 personnes et plus

http://www.rubanbleu.net/

PHOTO ULYSSE LEMERISE, COLLABORATION SPECIALE

Caroline Tardif, copropriétaire du Ruban bleu, se fait une fierté de vendre presque exclusivement des produits de la région, ou québécois, dans sa boutique.

PHOTO ULYSSE LEMERISE, COLLABORATION SPECIALE

Le Ruban bleu propose une grande variété de fromages de chèvre, offerts en dégustation les week-ends.

Au gré des champs: pour le bonheur des vaches

Elles sont rares au Québec, les vaches aussi heureuses que celles de la ferme Au gré des champs.

Suzanne Dufresne et sa famille se font un point d'honneur de respecter le plus possible l'environnement et le cycle naturel de vie des animaux. La ferme suit les principes de l'agriculture biologique depuis plus d'une vingtaine d'années; c'est l'une des dernières au Québec à produire des fromages au lait cru, plusieurs ayant abandonné la pratique au fil des dernières années, découragées par les contrôles sanitaires imposés par les autorités fédérales et provinciales, alors que Suzanne Dufresne continue de défendre haut et fort cette «expression essentielle du terroir québécois».

La ferme est bucolique à souhait. Petite, de taille humaine - on ne compte qu'une trentaine de vaches en lactation - et nichée au détour d'un rang qu'on ne saurait imaginer plus paisible. Les visiteurs peuvent se promener à leur guise aux abords des champs pour admirer le troupeau - rare au Québec - de jolies suisses brunes, réputées pour leur lait riche et goûteux. En arrivant vers 16 h 30, ils pourront assister à la traite. Règles de salubrité obligent, les visites de la fromagerie ne sont pas permises, mais l'atelier est fenestré pour permettre au public de suivre le processus à distance.

«Nous sommes là pour répondre aux questions: c'est à ça qu'on carbure, aux échanges avec les clients. On aime partager notre passion», raconte la fille de Suzanne, Marie-Pierre, qui, à 27 ans, vient de terminer son baccalauréat en agriculture à l'Université McGill pour mieux revenir travailler à la ferme.

On retrouve dans la boutique de la viande (sans hormones ni antibiotiques) et les fromages produits à la ferme de même que chez des producteurs soigneusement choisis de la région, ainsi que, la belle idée, du pain frais les samedis pour pique-niquer sur les tables à proximité. Mais surtout, on tâchera de passer le week-end du 18 juillet, alors que ce sera au tour du Gré des champs d'accueillir le Festival des fromagers artisans du Québec, grande foire gourmande où se réuniront fromagers, viticulteurs, brasseurs et boulangers dans une ambiance bon enfant, l'occasion idéale de rencontrer une foule de passionnés de la vie à la campagne. Attention: le retour à Montréal pourrait être particulièrement pénible, sans égard à la circulation...

Visites gratuites, non guidées

http://www.augredeschamps.com/

PHOTO ULYSSE LEMERISE, COLLABORATION SPECIALE

Suzanne Dufresne et Daniel Gosselin, propriétaires de la ferme Au gré des champs.

PHOTO ULYSSE LEMERISE, COLLABORATION SPECIALE

Les vaches suisses brunes ont la réputation de produire un lait de grande qualité pour la fabrication de fromage. Celles-ci sont nourries exclusivement de foin biologique et vivent le plus souvent au grand air.