C'est un grand moment : notre journaliste Pierre Gingras dévoile le nom de son ruisseau secret. Son coin de pêche préféré de tous. Il vous amène avec lui dans la réserve faunique Papineau-Labelle où il vit chaque année de grandes émotions.

Plus notre rendez-vous approche et plus je pense à ses courbes, sa discrète beauté, ses jolis sautillements et son indomptable caractère. J'ai la chair de poule juste à évoquer les heures passées en sa compagnie.

Pourquoi ai-je accepté de vous conduire jusqu'au lieu de nos amours? Inconscience, masochisme ou même exhibitionnisme? Le silence est habituellement de mise quand il est question de «son» coin secret de pêche, surtout à l'Ouverture. Rappelez-vous que pour un pêcheur, ce jour s'écrit toujours avec une majuscule. Bon, assez bavardé, suivez-moi jusqu'à «mon» ruisseau, celui des Sept-Frères dans la réserve Papineau-Labelle.

Nous arrivons déjà au lac Rapière. Ouvrez votre fenêtre. Je fais toujours un arrêt de quelques minutes ici, sur le bord du chemin. On y découvre souvent quelques canards, des garrots à oeil d'or, des colverts, des branchus et parfois... tenez, là, à gauche, un superbe harle huppé mâle.

Poursuivons. Nous traversons maintenant le ruisseau Noir. Il se jette dans le lac des Sept-Frères qui fait partie d'un long circuit de canotage. À gauche, un refuge pour les amateurs de plein air.

Ralentissons. Dans la courbe raide, c'est le début de mon ruisseau. En ce matin tranquille, il y a un peu de brume à la surface. Ça sent bon! On entend le premier rapide qui est tout près.

Le mot ruisseau est un peu réducteur. La petite rivière, devrait-on dire, de moins de 3 km de longueur atteint parfois de 50 à 150 m de largeur. Elle fait le lien entre le lac Montjoie et le lac des Sept-Frères, deux immenses étendues d'eau de 6 et 9 km de longueur. C'est une frayère importante l'automne pour les poissons en aval, ceux du Montjoie; certains s'y attardent au printemps. On y accède par le village de Lac-Nominingue, à deux bonnes heures de route de Montréal. Le ruisseau des Sept-Frères compte plusieurs rapides. C'est un endroit plutôt difficile à pêcher, surtout les eaux vives, là où se cachent justement les grosses truites mouchetées. Croyez-le ou non, j'ai déjà pris ici un spécimen de 3 livres et 5 onces dans 2 pieds d'eau (les pêcheurs parlent toujours en livres et en pouces).

Chaque printemps, à l'Ouverture, il y a toujours quelques grosses truites au rendez-vous. Des spécimens de 10, 12 ou 14 pouces. J'y ai même déjà capturé une ouananiche. Cela ne signifie pas que vous allez faire bonne pêche. J'ai déjà croisé le politicien-moucheur Stéphane Dion qui revenait bredouille en dépit de sa réputée persévérance.

Ce matin, nous sommes seuls, du moins pour l'instant. Un atout indéniable. Le ruisseau peut accueillir sur réservation un maximum de neuf pêcheurs par jour, dont trois chefs de groupe. Et pour obtenir une place à l'Ouverture, il faut réserver quatre mois à l'avance. Mais exception faite des premiers jours de la saison, le Sept-Frères est libre la plupart du temps.

Écoutez! Une gélinotte mâle tambourine.

Vite, l'épuisette

Vous êtes prêt? L'eau est froide ce matin, un peu trop. Trop haute aussi. Les truites risquent d'être paresseuses. Là, à gauche, immédiatement en aval du petit rapide, de l'autre côte du ruisseau, devant cet amoncellement de billots, c'est un bon trou. Lancez votre «Muddler Minnow» juste devant cette branche. Allez, un autre lancer! Mais rien ne sert de s'attarder. Après deux ou trois lancers, si ça ne mord pas, je change toujours d'endroit. Soyez prudent, il y a du limon sur les pierres. Ça glisse. Je me suis retrouvé à quelques reprises étendu de tout mon long dans l'eau glacée. Ici, lancez dans le rapide et laissez dériver le leurre sur 10 ou 15 pieds. Ensuite, rembobinez le fil dans le moulinet lentement en donnant des petits coups. Ça y est! Déjà. Une belle prise. Maintenez la tension sur le fil sinon la truite va se décrocher. Trop tard...

Plus loin, le ruisseau devient calme et s'élargit sur environ 300 m de longueur. Tiens, ça mord encore. Une truite de huit pouces. Pas si mal. Au moins, nous sommes certains de goûter à du poisson ce soir.

Marchons dans le bois jusqu'au prochain rapide. Vous voyez ce trou devant l'immense pierre. Même si l'eau est toujours agitée à en devenir blanche, j'y ai déjà fait une pêche fabuleuse. L'an dernier, j'ai pris une truite de 14 pouces. Imaginez, dans 12 pouces d'eau... Tout un bétail! Manque de chance aujourd'hui, aucune touche. Pas de doute, l'eau est trop froide.

Allons à l'autre rapide. Regardez, les trilles rouges commencent à fleurir. Jetez maintenant un coup d'oeil juste devant le dénivelé. À côté de la roche, l'eau s'engouffre à grande vitesse dans un espace d'à peine deux pieds de largeur. Même si cela peut vous sembler étonnant, c'est un affût parfait pour une grosse truite. Mais il faut savoir lancer à la bonne place. Vous l'avez! Doucement. Je la fais entrer dans l'épuisette. Je vous l'avais bien dit: une belle truite. Cette fois, le menu du souper est complet.

À partir d'ici, le ruisseau est en pente sur une bonne distance. Juste en bas du rapide, l'endroit est étroit, bruyant, magnifique. Soyez sur vos gardes. Tiens! nous venons de déranger deux autres becs-scie qui s'envolent. Maintenant, laissez traîner la mouche dans le courant, près du bord. Attention aux branches qui surplombent l'eau. Ça mord! Échappée. Je vous le répète: il faut maintenir la tension sur le fil quand le poisson est au bout de la ligne.

Rendons-nous au pont. C'est habituellement ici que je stationne la voiture. Bel endroit pour prendre le lunch. À partir d'ici, le rapide est violent sur 100 m. Un endroit boudé des pêcheurs. Erreur. Il y a plusieurs petites fosses. Les truites n'y sont jamais grosses, mais on peut en prendre parfois trois ou quatre.

Nous arrivons à l'endroit où le ruisseau est le plus large. Prenons le sentier jusqu'au prochain rapide qui se prolonge sur un bon kilomètre jusqu'au lac. Nous y sommes. Observez bien ce gros caillou sur la rive. Une truite se cache souvent en dessous pour sauter sur tout ce qui passe au-dessus. Laissez encore une fois votre leurre dériver puis rembobinez en donnant de petits coups, un effet simulant un petit poisson qui essaie de peine et de misère de remonter le courant. Passez le leurre tout près de la roche et... retenez votre souffle. Vous avez vu? Elle est venue à la surface. Mais vous avez retiré trop tôt. Si le poisson n'a pas touché à l'hameçon, vous avez encore une chance. Et voilà, je vous l'avais dit. Épuisette, s'il vous plaît. Toute une truite!

Voilà la grande affiche indiquant aux amateurs de canot que le portage commence ici. Le lac est à deux pas, mais on ne le voit pas. Donnez un dernier coup, là où le courant semble mourir. Ça y est, une autre! Notre limite de 10 poissons par pêcheur n'est pas atteinte, mais qu'importe. Truite au beurre ce soir.

Une autre perdrix tambourine, un grand pic s'énerve, un chevreuil nous observe sur le bord de la route. La pêche, c'est tout ça aussi. Mais je rêverai cette nuit au monstre que vous avez manqué...