Les Attikameks de Manawan proposent un séjour en forêt dans une île loin de tout, en pleine nature. Nous l'avons essayé. Récit.

Un soleil joyeux miroite sur le lac Métabeskéga, au bord duquel s'étend le petit village de Manawan. Des grappes d'enfants aux cheveux de jais, dans l'eau jusqu'au cou, rient et s'interpellent en attikamek. Quel doux son que celui de cette langue qui roucoule et cascade comme le chant d'une grive!

Devant l'église, les hors-bords sont prêts à emmener notre petit groupe dans l'île Matakan, à 22 km du village de Manawan. Une famille venue de Suisse - Philippe, Danielle et leurs deux filles, Lilou et Noémie - embarque avec Carlo, le guide en chef. Nous montons dans la seconde embarcation avec un autre guide, Jean-François. Il y a également Sunshine, qui vit à Québec et qui se joint à nous comme auxiliaire bénévole, et Brian, vieille âme de 11 ans qui rêve de devenir guide lui aussi.

Il faudra une bonne demi-heure de bateau pour se rendre à Matakan, à travers un labyrinthe de petites îles, de péninsules rocheuses couvertes de hauts thuyas, de bouleaux et d'épinettes noires. Ici et là, un chalet se révèle derrière les arbres, avec un bout de quai, une chaloupe endormie, une corde de bois. Jean-François nous signale un pygargue qui plane en douceur au-dessus du lac indigo...

L'île se déploie enfin devant nous. Trois tipis y élèvent leurs cônes blancs. C'est là que nous dormirons. Il y a aussi trois ou quatre tentes de prospecteur un peu décaties, où logent les employés. Le bloc sanitaire, impeccable, avec toilettes à compost et douches, se trouve un peu plus loin.

Carlo nous assigne nos tipis, dont le sol est abondamment garni de sapinage et où règne une fraîcheur parfumée, doux présage de la nuit à venir.

Mais, pour l'heure, nous irons poser les filets de pêche, geste millénaire qui ne s'est jamais perdu chez les Attikameks de Manawan. 

Ce soir, tandis que le ciel se teinte d'or et de rose et que les grives entament leur sérénade, nous en tendrons trois, longs d'une quinzaine de mètres, en des endroits dont les Attikameks se transmettent le secret de génération en génération. 

Le retour au camp se fait à la nuit tombée, dans l'air chargé du parfum des résineux, sous un ciel violet piqueté d'étoiles. À table, le plat de viande d'orignal que Daveen, l'un des guides, avait mis à mijoter avant de partir remplit de bonheur les ventres affamés. 

Après, autour du feu où l'on ne veillera pas bien tard (il y a les filets à relever demain matin !), on essaie d'intégrer un peu de vocabulaire attikamek, cette langue de la famille algonquienne (comme le cri, l'algonquin et l'innu) qui nous a donné tant de mots usuels et de noms de lieux.

Au matin, après une nuit peuplée de songes (et de maringouins), un copieux déjeuner de crêpes arrosées de sirop d'érable nous attend.

Enfin, tout le monde s'embarque: il est temps d'aller voir ce que mère Terre (ou frère Lac?) a déposé dans nos rets. C'est Sunshine qui tire sur le long filin. Quand il se met à compter les prises, Daveen l'interrompt doucement: «Ne les compte pas, ça porte malheur.»

Et de fait: à travers les perchaudes, les dorés, les corégones et les brochets, un pauvre huard s'est empêtré dans les mailles et s'est noyé. Il gît maintenant sur la pile de poissons, et Sunshine caresse du bout du doigt sa belle tête noire qui penche mollement. Nous avons le coeur serré, mais Daveen prend la chose avec philosophie: «Il ne sera pas mort pour rien, nous allons garder son plumage et donner la carcasse à l'ours.»

Des brochets

Le filet suivant offre une consolation: deux énormes brochets longs de 33 et 35 po enrichissent la récolte. Le tout sera tantôt dépecé d'une main experte par Carlo, qui prélèvera les filets et les joues. Les corégones, une fois éviscérés, seront quant à eux enfilés sur un bâton et fumés entiers, comme le veut la tradition. Les occasionnelles carpes, elles, sont données aux chiens, pour les rendre plus forts, explique Daveen. Enfin, tout ce que nous ne consommerons pas sur place sera distribué parmi les membres de la communauté.

Le dîner promet donc d'être délicieux, mais pas question d'y servir du brochet: il aurait des vertus soporifiques qui le rendent plus approprié au repas du soir. Quant à son foie, séché et réduit en poudre, il est réputé excellent pour traiter les affections... du foie! Le reste des viscères sera déposé dans le bois pour le bonheur de l'ours (ou son malheur, puisqu'on a bien l'intention de le chasser quand il sera bien gras!).

Après, Carlo nous enseigne comment préparer la banique, ce pain traditionnel que l'on cuit à la poêle, au four ou sur la braise, enroulé autour d'un bâton. On peut même faire frire la pâte, qui donne alors de succulents beignets, comme on le verra le lendemain matin.

Photo François Roy, La Presse

La préparation des poissons est un art que les Attikameks de Manawan maîtrisent à la perfection.

Le «spécial camp»

Mais là, c'est l'heure du souper. Carlo nous a préparé son «spécial du camp», un excellent ragoût de brochet doucement mijoté avec des poivrons, des champignons, des oignons et du bacon, servi sur du riz.

Quand on lui demande d'où vient sa recette, il répond, avec son doux accent qui rappelle un peu le français acadien: «Avant, je faisais des brochettes, mais quand il y a ben du monde, ça prend du temps... Une fois, je me suis tanné et j'ai décidé de tout mettre dans le même chaudron, pis c'était meilleur!»

Il lâche comme ça à tout moment des traits irrésistibles, avec un regard un peu narquois, un petit sourire en coin, qui font rire tout le monde. Comme quand Jean-François, préoccupé et taciturne, pressé par on ne sait quel souci, s'est embarqué pour rentrer au village, à la fin du jour. «Hé, Jean-François!», l'a-t-il rappelé de loin, sur le ton de l'urgence. «T'as oublié quelque chose! 

 - Quoi? 

 - Ton sourire!»

Alors que tout le monde s'esclaffait, l'autre n'a pu que rire de bon coeur lui aussi.

En soirée, Daveen a doucement réchauffé son tambour au-dessus du feu et interprété trois chants traditionnels, de ces chants qui sont plutôt des incantations venues du fond des âges. Soit dit en passant, le groupe de Daveen, les Black Bear Singers, a gagné cette année le Juno du meilleur album de musique autochtone.

Au matin, après une autre nuit sous le tipi, les Suisses comptaient leurs piqûres de maringouin. Ils se disaient tout de même heureux de leur expérience.

Et puis, il a bien fallu partir, quitter l'île, retraverser ces paysages infinis où l'aigle patrouillait toujours et regagner la ville, qu'on avait presque oubliée.

Photo François Roy, La Presse

En direction d’un site de pêche secret pour tendre les filets.