«J'aime les bébés phoques blancs, ils sont tellement mignons», lance, les yeux brillants, Mayumi Iwasaki, dans l'hélicoptère qui la ramène à l'hôtel. C'est la troisième fois qu'elle vient de Tokyo afin d'observer les blanchons sur les glaces. Elle n'est pas la seule. Le tiers des touristes qui débarquent aux Iles pour voir les phoques du Groenland sont japonais. La moitié vient des États-Unis et les autres d'un peu partout - France, Portugal, Canada, Hong Kong. Les Québécois, qui n'habitent pourtant pas loin, sont rares sur la banquise.

«Je pense qu'ils cherchent plus le Sud en hiver. Mais il y a quand même un certain pourcentage de gens qui sont «nature»», dit Émile Richard, directeur des ventes du Château Madelinot, l'établissement qui organise des excursions depuis la fin des années 80.

L'expérience, il faut le reconnaître, n'est pas à la portée de toutes les bourses. Mais elle est exceptionnelle. On a rarement l'occasion d'approcher des mammifères sauvages d'aussi près dans leur habitat naturel.

Les Îles-de-la-Madeleine figurent donc en bonne place sur la liste des voyageurs avides de se rapprocher de la faune. Des gens qui ont déjà pris un panda sur leurs genoux, crapahuté jusqu'au Kamchatka pour voir des ours, visité l'Inde pour ses tigres ou l'Ouganda pour ses gorilles. Des mordus de safari photo. «Lors de mes quatre premiers voyages en Afrique, je n'avais pas d'appareil», raconte candidement Deborah Albert, une chirurgienne américaine. Depuis, elle se rattrape. La semaine dernière, en moins de trois heures, elle avait pris 1800 images, et comptait bien retourner sur la banquise le lendemain.

Une excursion de trois heures

En principe, les hélicos font trois excursions par jour. En pratique, ils sont tributaires du climat hivernal. Certains jours, ils font moins de sorties, parfois même aucune. Alors quand on vous propose le vol de 7h, vous dites merci, même si ça exige de se lever très tôt.

Le petit-déjeuner est servi à partir de 5h. De la salle à manger, on aperçoit les hélicos posés à quelques pas de l'hôtel. L'aventure commence un étage plus bas, à 6h45. D'abord, enfiler l'habit de flottaison orange qui vous donne un air de cosmonaute et, surtout, vous sauvera la vie en cas de chute dans l'eau glacée. Ensuite, regarder la vidéo sur les consignes à suivre - se méfier des saignées d'eau sur la banquise, ne pas déplacer les blanchons ni s'interposer entre eux et leur mère, revenir au coup de sifflet du guide, etc.

L'hélico le plus rapide part en éclaireur pour repérer la banquise, qui a dérivé depuis la veille. Il ne suffit pas de trouver un morceau de glace utilisé comme pouponnière par les phoques. Il faut en trouver un assez solide pour s'y poser. Et cette année, il n'y en a qu'un, à une trentaine de milles marins d'ici. C'est tout de même mieux que les deux derniers hivers.

Notre hélico décolle à son tour. À droite, les rives de Cap-aux-Meules, parsemées de maisonnettes colorées typiques des Îles. À gauche, les eaux noires du Golfe émaillées de glace. Nous survolons le Rocher du Corps-Mort, repaire de phoques gris, puis arrivons à notre banquise.

Des dizaines de phoques du Groenland ont mis bas dans les jours précédents. En deux minutes, nous repérons notre premier petit. Exclamations, déclics de caméras: le sujet, pas méfiant pour deux sous, nous fixe de ses yeux brillants comme des billes et se roule obligeamment sur le dos. Les blanchons ne sont plus chassés depuis la fin des années 70 et n'ont pas de prédateurs ici. Heureusement. Hormis leur fourrure qui les aide à se fondre dans ce décor de neige et de ciel plombé, ils n'ont pas grand-chose pour se protéger. Laissés seuls par les mères parties chasser, les jeunes rampent maladroitement en poussant des cris plaintifs.

La banquise est criblée de trous où les mères plongent et ressortent avec une étonnante agilité. Lorsqu'elles sont sur la glace, elles crient pour tenir les étrangers à distance. En leur absence, toutefois, les petits sont étonnamment peu farouches. Il est facile de s'en approcher pour les photographier et, même, les caresser. Bardés de gras et recouverts d'une épaisse fourrure, ils renforcent, au toucher, l'impression d'avoir affaire à une gros toutou. L'odeur humaine n'entraîne pas de rejet par la mère. À son retour, elle se remettra à allaiter comme si de rien n'était.

Le blanchon, évidemment, n'est pas une peluche. Après quelques semaines, son manteau fera place à un pelage gris argenté et il commencera à plonger pour trouver sa nourriture. Il a intérêt à être efficace: le phoque du Groenland a besoin d'environ une tonne de poissons et de crustacés par an pour se nourrir.

Comment y aller ?

La période d'observation des blanchons dure environ deux semaines, autour du 28 février au 14 mars. Les dates et la disponibilité varient en fonction de la présence des glaces et de la mise bas.

Le Château Madelinot organise des excursions depuis la fin des années 80. Les forfaits démarrent à 1219,12$ pour trois nuits, incluant les petits-déjeuners, une sortie sur la banquise et des visites guidées des Îles. L'excursion dure trois heures, incluant le trajet en hélicoptère, ce qui vous laisse deux bonnes heures en compagnie des phoques. L'hôtel n'est pas le plus pittoresque de la région, mais il a plusieurs atouts, dont une piscine intérieure et plusieurs chambres avec vue sur la mer. Les petits-déjeuners sont copieux et le restaurant offre des spécialités locales. Si vous êtes déjà aux Îles, vous pouvez acheter une excursion seule, mais ayez au moins trois jours disponibles pour être sûr de pouvoir décoller.

Quand la glace se fait rare...

L'observation des blanchons a repris cet hiver, après deux années d'interruption causée par le manque de glace dans le golfe du Saint-Laurent. La faute au réchauffement climatique? «La quantité de glace a diminué depuis le début des années 70», reconnaît le biologiste Mike Hammill, de Pêches et Océans Canada. «Le problème, c'est qu'on n'a pas beaucoup d'information avant les années 70. J'ai l'impression qu'on a un cycle naturel dans le sud du Golfe, avec des années de bonne et de mauvaise glace. En même temps, c'est sûr que la température moyenne durant l'hiver a un peu augmenté. Difficile, donc, de faire la distinction entre un cycle naturel et le réchauffement planétaire», explique celui qui étudie les phoques depuis la fin des années 80.

Les phoques du Groenland mettent bas sur la glace. Sa rareté des dernières années a sans doute eu un effet sur les naissances et la survie des jeunes dans le sud du Golfe, mais l'espèce est loin d'être menacée. En 2008, au dernier recensement, on évaluait qu'il y en avait 8,3 millions dans l'est du Canada. «À 8 millions, c'est la plus grande population qu'on ait vue depuis les années 50. Cette année, on prévoit 7,7 millions. C'est presque stable. On pense que s'il n'y a pas de glace dans le Golfe, il resteront peut-être davantage au large de Terre-Neuve», dit le biologistes Mike Hammill.

Sur l'archipel, on les appelle loups-marins. Pour en savoir un peu plus sur les différentes espèces qui vivent dans le Golfe, une visite au Centre d'interprétation du phoque s'impose: www.loup-marin.com

Photo: Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Les touristes attendent que l'hélicoptère soit prêt à décoller en direction de la banquise.

Si vous êtes bien équipé, apportez deux boîtiers montés avec deux objectifs différents pour ne pas avoir à en changer sur la banquise: un grand angle et un zoom 70-200 mm. Et beaucoup de piles bien chargées que vous garderez au chaud. Cela dit, il y a tellement de lumière sur la banquise que même avec un petit appareil compact, on peut faire de très belles images.

Cette luminosité est d'ailleurs le principal facteur à prendre en compte. Même quand il fait gris, la neige reflète la lumière. Il faut donc surexposer. Si vous avez un appareil sophistiqué, travaillez avec l'histogramme et surexposez de 2/3 de cran à un cran environ. Avec un petit compact, utilisez la fonction prévue à cet effet. Et assurez-vous de faire la mise au point sur l'oeil du phoque.

Comme toujours, il faut se mettre à la hauteur du sujet. N'ayez pas peur de vous allonger sur la banquise. Recherchez les amas de neige ou de glace qui donneront des compositions plus intéressantes.

Les expressions les plus craquantes apparaissent lorsque les blanchons sont détendus. Même s'il est facile de s'en approcher, prenez du recul de temps à autre pour observer les interactions entre les mères et leurs petits. Si vous allez trop près d'une femelle en train d'allaiter, elle risque de s'en aller. En restant un peu en retrait, vous verrez des scènes plus intéressantes, qui vous donneront de meilleures images.

Si le temps est gris, rajoutez un peu de contraste à l'ordinateur, car les détails se perdent facilement dans cet environnement tout blanc.

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Mayumi Iwasaki se passionne pour l'observation des blanchons. C'est la troisième fois qu'elle vient directement de Toky pour cette activité.