Un «road trip» pour découvrir les hauts lieux du kitsch québécois, ça vous dit? C'est maintenant possible grâce à une carte géographique interactive. L'objectif de ses deux créatrices est de mettre en valeur les plus beaux endroits du faux et du trop! Partons ensemble sur la route du kitsch et voyons la vie en carton-pâte!

C'est en 2006 que la vie du célèbre restaurant Ben's s'est arrêtée. En plein conflit de travail, le coeur du temple du «smoked meat» a cessé de battre après 98 ans d'activité. Parmi les bonnes âmes qui ont tenté de sauver l'institution montréalaise se trouvaient Caroline Dubuc et Roxanne Arsenault. C'est là que leur amitié a commencé.

«Attention, le restaurant Ben's était un commerce rétro», s'empresse de dire Caroline Dubuc. Si cette spécialiste du patrimoine québécois tient à offrir cette précision, c'est que la passion qui l'unit aujourd'hui à son amie tourne autour du patrimoine kitsch. Gare à vous si vous confondez ces deux concepts!

«Il y a plusieurs définitions du kitsch, dit Roxanne Arsenault, aujourd'hui directrice du Centre Clark, une galerie d'art. Et elles ne se rejoignent pas toutes. Mais en gros, il s'agit d'une interprétation ou d'une imitation de quelque chose, peu importe son époque. L'idée est de recréer une ambiance avec du toc, par exemple du faux marbre, de la fausse roche, etc. Le kitsch ne s'adresse pas à la tête. On est plus dans l'affect. Quand tu entres dans un lieu kitsch, tous tes sens sont visés.»

Tous les sens de Roxanne Arsenault ont été aiguisés le jour où elle est entrée pour la première fois au Jardin Tiki (fermé depuis 2015), un restaurant qui fut pendant de nombreuses décennies un fascinant mirage polynésien. «J'ai tout de suite aimé le décor immersif. Ça m'a donné le goût de m'intéresser au kitsch», ajoute celle qui a déposé son mémoire de maîtrise sur le patrimoine kitsch en 2011.

Le kitsch n'est pas quétaine

Selon certains spécialistes, le terme kitsch viendrait de verkitschen, verbe apparu en Allemagne au XIXe siècle lors de la montée de la production industrielle.

«Au Québec, on a tendance à associer le kitsch au quétaine, mais ce n'est pas la même chose. Il ne faut pas limiter cela au mauvais goût, car ce qui est laid pour certains ne l'est pas pour d'autres. C'est très subjectif.»

Le patrimoine kitsch, qui se trouve dans plusieurs villes du Québec, nous vient en grande partie des immigrants italiens, grecs, espagnols ou chinois. Débarqués ici, les restaurateurs ou commerçants ont voulu recréer une certaine idée de leur pays d'origine. «Oui, mais avec nos codes à nous, dit Roxanne Arsenault. Et ça, c'est typiquement nord-américain. Cette architecture et ces décors coïncident avec notre découverte de ces cultures, de ces gastronomies.»

Ces lieux dont parlent avec passion Roxanne Arsenault et Caroline Dubuc ont tous connu le faste à un certain moment de leur existence. Ils ont ensuite traversé des périodes plus ou moins heureuses, conduisant certains vers la désuétude ou l'oubli. Car souvent reliés au monde commercial, les lieux kitsch sont soumis aux diktats du renouveau. «On aime à dire que les décors des commerces ont une durée de vie de cinq à dix ans, explique Caroline Dubuc, commissaire au design à la Ville de Montréal. C'est dans la nature des commerces de refaire continuellement leur décor.»

À Sainte-Flavie, sur le bord du fleuve, le Capitaine Homard attire tous les regards.

Ironiquement, c'est souvent le manque de moyens financiers des propriétaires qui a fait en sorte qu'un commerce est parvenu à conserver le même décor pendant plusieurs décennies et à accéder au statut de lieu kitsch. «Malheureusement, au moment où le lieu devient intéressant, on assiste souvent à un changement de propriétaires qui rachètent et qui restaurent», ajoute Roxanne Arsenault.

Le kitsch n'est pas noble

Comme pour toutes les autres formes de patrimoine, la protection du kitsch est difficile, mais possible, selon Caroline Dubuc. «Comme son caractère est souvent commercial, les choses sont plus compliquées. De plus, les lieux kitsch sont souvent définis à l'intérieur des bâtiments. C'est rare que l'on classe les intérieurs au Québec.»

Même s'il existe une plus grande sensibilisation au kitsch et un intérêt grandissant pour ce style architectural et décoratif, reste que le Québec a perdu plusieurs beaux exemples de ce patrimoine au cours des dernières années. «Depuis la rédaction de mon mémoire, en 2011, la moitié des lieux kitsch du Québec ont disparu.»

Pour sa part, Caroline Dubuc croit qu'il faut changer notre regard sur ce patrimoine. «Pour la majorité des gens, ce ne sont pas des lieux qui sont nobles. On n'est pas en face d'une église ou d'une maison victorienne. Mais ces lieux ont une valeur, ils racontent une histoire. Il est temps que l'on reconnaisse cela.»

À l'auberge Aux nuits de rêve de Sainte-Agathe-des-Monts, les clients peuvent voyager... au coeur des années 70.