Si le Carnaval de Québec n'avait pas intégré la course en canot à glace dans ses activités, le métier de canotier serait disparu et avec lui, 400 ans de patrimoine vivant. Tel est l'avis de l'ethnologue Richard Lavoie qui se passionne pour le canot à glace depuis plus d'un quart de siècle.

M. Lavoie multiplie les démarches pour que le canotage sur glace soit reconnu patrimoine exceptionnel par la nouvelle loi québécoise sur le patrimoine du ministère de la Culture et des Communications. Il a même comme objectif de faire classer cette activité sportive unique au monde au patrimoine immatériel (vivant) de l'Unesco.

«Ce savoir-faire est transmis depuis 400 ans, d'une génération à l'autre, affirme l'ethnologue magnimontois. Mais l'objet sans l'âme humaine est dénué de sa valeur. Les canotiers sportifs d'aujourd'hui sont les héritiers d'une longue tradition qui a été léguée par le geste et la parole...»

Grand défi des glaces

Cette année, 50 équipes de canot à glace, dont 12 équipes féminines, ont participé à la course du Carnaval de Québec, qui se tient infailliblement chaque année depuis 1955 entre Québec et Lévis. «Il s'agit de la plus importante participation en 56 ans», souligne Richard Lavoie. Aujourd'hui même se tiendra devant Québec le Grand Défi des glaces, grande finale d'un circuit de cinq courses en canot (course du Carnaval de Québec, La grande traversée Casino de Charlevoix, Banquise de Portneuf, Trois-Rivières Extrême), qui couronnera les équipes finales de la saison.

Le départ se fera à 12h30 du bassin Louise. La foule qui se massera sur les quais de Québec et de Lévis aura la chance de voir les canotiers courir à saute-mouton au-dessus des glaces dans une course de cinq allers-retours qui exigera autant de force que d'endurance (trois allers-retours pour les catégories Élite femme et Catégorie Sport ).

C'est un retour aux sources, et un clin d'oeil à 400 ans d'histoire, puisque Samuel de Champlain fut le premier Européen à voir, de son «Abitation», un canot à glace sur le fleuve, le 21 février 1609. Les Relations des Jésuites rapportent aussi un voyage en canot d'écorce du père Lejeune avec deux Montagnais la veille de Pâques de 1634 à Saint-André-de-Kamouraska.

Le canot d'écorce du début de la colonie sera vite remplacé (on s'en doute) par le canot pirogue, qui était fabriqué dans des troncs de pin blanc. Tous les habitants de Québec et Lévis possédaient un canot de bois.

Les taxis de l'époque

C'est ainsi qu'apparut le métier de canotier. Au milieu du XIXe siècle, plus de 200 canotiers des paroisses de Lévis, Bienville et Lauzon transportaient passagers et marchandises sur les glaces, entre Québec et Lévis. «Il s'agissait des taxis de l'époque», rappelle Richard Lavoie. Le métier de canotier fit aussi son apparition dans les îles environnantes.

Les annales rapportent qu'en 1693, on fabriquait des canots à glace à l'Île-aux-Grues. La population insulaire utilisait cette embarcation pour naviguer entre les îles de l'archipel, dont Grosse-Île, l'Île Sainte-Marguerite et l'Île au Canot... Les Lachance de l'Île au Canot et les Pruneau de l'Île Sainte-Marguerite devinrent, par la force des choses, d'habiles canotiers.

Le canot fut également populaire à l'Île-aux-Coudres et à l'Île Verte. «Mais comme le fleuve y est plus large, on utilisait un canot d'un type particulier» rappelle M. Lavoie.

Un tableau sculpté par l'artiste Jean-Julien Bourgault révèle que le canot à glace a aussi servi de lien entre Saint-Jean-Port-Joli et le phare du Pilier de Pierres, en face, où Bourgault lui-même a exercé le métier de gardien de phare. L'ethnologue a également retrouvé une photo de 1875 montrant une traversée en canot à glace à l'Île Sainte-Hélène au Musée McCord de Montréal. «Mais c'était plutôt occasionnel d'utiliser ce type d'embarcation dans la région de Montréal.»

De transport à sport

Le canot à glace est disparu progressivement à la fin du XIXe siècle lorsque sont apparus les bateaux à moteur. Ce moyen de transport est alors devenu une activité sportive. La première course de canot à glace a eu lieu entre Québec et Lévis au premier grand carnaval de Québec de 1894. Puis elle a été réorganisée sur une base annuelle à partir de 1955 avec la renaissance du Carnaval. De canot lourd qu'il était, le canot à glace est aujourd'hui une embarcation légère fabriquée de matériaux synthétiques.

«Le canotage sur glace est non seulement une activité unique à la grande région de Québec, mais elle est aussi unique au monde», rappelle Richard Lavoie, qui dit n'avoir rien trouvé de semblable ailleurs. «Il ne faut pas oublier que le fleuve Saint-Laurent aussi est unique... Unique par sa nordicité, ses courants, ses glaces», conclut l'ethnologue, qui multiplie les conférences sur la passionnante histoire du canot à glace et qui travaille présentement à la création d'un ouvrage sur le sujet.

Une exposition portant sur l'évolution du canot à glace d'hier à aujourd'hui est présentée jusqu'au 13 mars dans le cadre de Célébrations Lévis 2011. Au Vieux chantier maritime A.C. Davie de Lévis, au 6210 rue Saint-Laurent, Lévis.

Le canot à glace est disparu progressivement à la fin du XIXe siècle lorsque sont apparus les bateaux à moteur