Depuis les années 2000, la pratique de la moto connaît une grande révolution. Des motocyclistes, d'abord jeunes rebelles à la James Dean, se sont métamorphosés en baby-boomers nantis, qui aspirent à la conquête de la province sur deux roues. Pour comprendre ce qui les anime, notre collaborateur a participé à une excursion avec quatre moto-boomers. Récit d'une journée pas si pépère que ça!

Les quatre baby-boomers qui participent à mon initiation à la moto ne roulent pas sur des tape-culs. J'ai devant moi trois BMW et une Honda Goldwing. Des motocyclettes haut de gamme, coûtant au moins 25 000$, le genre d'engin que seuls des baby-boomers peuvent se payer. Autrement dit: on est à des années-lumière de la bécane d'étudiants.

 

Premier avantage de rouler sur de si grosses cylindrées: elles flottent sur le bitume craquelé du Québec grâce à un système de suspension digne de ce nom. Deuxième avantage: elles ne pétaradent pas comme les Harley-Davidson, ce qui épargne les oreilles de tout le monde.

Au programme de ma journée «initiation», qui commence sous de favorables auspices par un beau ciel bleu et un mercure oscillant autour des 20 degrés: cinq heures de moto en Montérégie, incluant une pause dans un pub de campagne considéré comme un point de rendez-vous des motocyclistes (malheureusement fermé lors de notre passage). Puisque je ne conduis pas, je vais être trimballé, comme un paquet encombrant, d'une moto à l'autre. À moi de juger quelle est la moto la plus confortable.

Heureusement, je ne pars pas avec des apprentis conducteurs. Odile Mongeau fait de la moto depuis 15 ans. Elle est coauteure du guide Québec à moto, paru en 2006 aux éditions Ulysse. Le livre a connu un tel succès qu'une deuxième édition est en préparation et devrait être lancée l'an prochain. Deux policiers en congé nous accompagnent: Daniel Fortier et Marc Pelletier. Dans la vraie vie, ils sont agents motards au Service de police de la Ville de Montréal et, les week-ends, ils sont touristes à moto. Bref, ils passent leur vie en selle.

Quant à la quatrième motocycliste, Marie-José Auclair, c'est la recrue du groupe. Elle a essayé la moto en 2006 «pour changer de vie» et, depuis, elle est une mordue. «Je n'avais jamais lavé mon auto de ma vie, mais ma moto, je la lave toutes les semaines», me dit-elle, sourire aux lèvres, lors d'une pause improvisée. Son bonheur: faire le tour de la Gaspésie sur le dos de Cassiopée. Eh oui, Cassiopée, c'est le nom qu'elle a donné à sa BMW. L'amour de la moto peut-il rendre dingue?

Rouler parmi les pommiers

Partant de Mont-Saint-Hilaire, notre escadrille entame son trajet sur le chemin des Patriotes, un classique des motocyclistes. Rivière Richelieu à droite, maisons patrimoniales à gauche, l'expérience s'annonce parfaite. Sur le siège arrière confortable d'une BMW, la nervosité d'être à moto, c'est-à-dire d'être vulnérable au moindre accident, s'envole rapidement. Il faut dire qu'avec deux policiers dans le groupe, pas question de jouer à «tasse-toi mononcle!». On respecte les limites de vitesse. «À moto, on n'est jamais pressé», philosophe Daniel Fortier.

Sur deux roues, les paysages prennent un nouveau sens. Comme à vélo, on les vit, en sentant le vent qui souffle de côté, les bosses sur la chaussée et les courbes. «Aucun écran géant ne peut remplacer ça», me crie Daniel Fortier, au guidon de sa moto, face à un joli panorama composé de champs à perte de vue et du mont Saint-Grégoire en arrière-plan. Je suis assez d'accord, mais il oublie un peu les odeurs de campagne, qu'un écran géant ne reproduit pas!

Ce que je constate, c'est que le moto-boomers, surnom que l'on donne aux baby-boomers adeptes de la moto, ne sont pas des fanas du cuir. Le vêtement contemporain est plus raffiné que cela. Une connaissance m'a fourni manteau, pantalon et gants de protection. «En cas de chute, ça te fera glisser sur le sol», m'assure-t-il. Résultat: je suis «padé» comme un joueur de hockey.

En roulant parmi les vergers d'Hemmingford, ce ne sont pas les sensations fortes que l'on recherche, mais la détente. En avalant des kilomètres et des kilomètres d'asphalte, on décroche. On en arrive à ressentir ce que les motocyclistes appellent le fameux «sentiment de liberté». À un moment donné, on se dit que l'on pourrait tout quitter pour refaire sa vie sur la côte ouest américaine, ou ailleurs. La moto repousse les limites du possible.

Assis sur le siège arrière «La-Z-Boy» de la Honda Goldwing, je commence à somnoler en rêvant à ma future nouvelle vie, lorsqu'un camion arrivant en sens inverse me tire de ma torpeur. La Honda vibre alors comme un manège de La Ronde. Wow! Il s'agira du début d'une série de sensations fortes, car, en fin de périple, nous allons revenir par l'autoroute 30. «Born to be Wild», me suis-je surpris à chanter en dépassant les poids lourds.

Un des plaisirs de rouler avec des baby-boomers, c'est de les écouter se plaindre... des baby-boomers. Fini l'époque où c'était des jeunes fous qui provoquaient des accidents à moto. «Les vrais dangers publics, ce sont les baby-boomers qui obtiennent le permis moto sans suivre de cours - il est possible de le faire pour les personnes âgées de plus de 47 ans si elles ont choisi de conserver ce privilège. Ces gens-là conduisent vraiment n'importe comment!» disent-ils à l'unisson. Pour cette raison, mes amis motocyclistes refusent de faire de la moto en groupe. «J'ai peur d'être avec eux», me dit M. Fortier.

«As-tu aimé ça?», «Veux-tu en refaire?», «As-tu eu peur?» À la fin de l'aventure, les questions brûlent les lèvres de mes nouveaux amis, chacun voulant s'assurer de mon bonheur. Mon verdict: j'ai dangereusement aimé cela, malgré quelques courbatures. Mais avant de pouvoir devenir propriétaire d'une fougueuse BMW, je vais sûrement avoir des cheveux gris!