Enfant, je me souviens d'avoir harcelé mon père pour qu'il nous amène pêcher à Sainte-Anne-de-la-Pérade. Il a toujours refusé. Dans la tête de mon paternel, la pêche aux petits poissons était synonyme de beuverie généralisée où les enfants n'avaient pas leur place.

«C'est vrai qu'à une certaine époque, la pêche aux petits poissons des chenaux avait mauvaise réputation, admet Guy-Paul Brouillette, président de l'Association des pourvoyeurs de la rivière Sainte-Anne. C'était une affaire de fêtards. On n'y voyait pas d'enfants. Et pas beaucoup de femmes non plus. Aujourd'hui, la pêche est devenue beaucoup plus familiale.»

 

«On célèbre notre 71e saison cet hiver. Il a fallu nous réorienter dans les années 90... On était sur le point de mourir. La pêche commerciale avait fait beaucoup de dommages. Le stock de poissons était au plus bas et plusieurs pourvoyeurs ont dû fermer leurs portes. En 1992, le gouvernement a passé un moratoire pour interdire la pêche commerciale. Ça été l'occasion pour nous de changer de mentalité.»

S'il y a encore des groupes de joyeux lurons qui louent leurs chalets pour y passer une nuit blanche bien arrosée, les familles règnent sur la rivière pendant le jour. Les week-ends, on voit plusieurs enfants courir sur la glace ou monter à bord du petit tramway qui serpente autour des 500 cabanes érigées sur plus de deux kilomètres.

Autre tendance observée depuis une dizaine d'années : une présence de plus en plus importante de pêcheurs issus des communautés culturelles, principalement des Asiatiques. «Les Chinois sont de grands amateurs. Ils rapportent tous les poissons qu'ils pêchent ; ils mangent la chair et les oeufs», explique le pourvoyeur Guy Marceau.

M. Marceau a passé toute sa vie dans l'industrie de la pêche aux poissons des chenaux. À 10 ans, il construisait déjà des cabanes sur la rivière Sainte-Anne. Depuis plus de 50 ans, il dirige sa propre pourvoirie avec l'aide de sa femme Violette et de son gendre Normand.

«C'est devenu un grand pique-nique familial, dit-il. On voit des familles qui reviennent année après année.»

L'hiver dernier, plus de 130 000 personnes sont passées pêcher le poulamon. Les clients sont revenus ; les poissons aussi. On estime qu'entre 500 et 600 millions de poulamons viennent frayer dans la rivière Sainte-Anne. De ce nombre, 3 millions seulement sont pêchés.

Et combien sont mangés, M. Marceau ? «Je ne sais pas, mais moi, j'en ai mangé trois fois cette semaine!»