Sur la route 247, je suis arrivé à Georgeville par le sud. C'était un mercredi, en fin d'après-midi. Le ciel, dégagé, annonçait avec certitude un beau lendemain.

J'avais prévu continuer ma route et m'arrêter plus tard. Mais l'idée, douillette, de me réveiller face au lac Memphrémagog s'est glissée dans mon esprit. Ça tombait bien, la petite auberge faisant face au quai municipal était vide.

 

J'ai pris la meilleure chambre. J'y ai déposé mes valises et repris la route pour aller souper à Magog avec la ferme intention de revenir presto à Georgeville et de m'asseoir sur le quai pour regarder le soleil se coucher.

C'était mon seul et unique projet pour la soirée.

Assis sur un banc, j'ai promené mon regard. À gauche, trois voiliers, ancrés à quelques mètres de la berge, dodelinaient sur les eaux étales. En face, le flanc des montagnes, dont celui du mont Éléphant, s'assombrissait lentement. Sur ma droite, le clocher du monastère de Saint-Benoît s'étirait au-dessus des collines. Son carillon, appelant à la prière, s'est fait entendre, doux, absorbé, méditatif.

Les pêcheurs de la fin de l'après-midi avaient disparu. Des habitués du coin sont venus s'asseoir sur les autres bancs. Ils parlaient tous anglais, signe de la forte présence anglo-saxonne dans cette région frontalière des États-Unis depuis plus de 200 ans.

Sur le lac, c'était le calme plat. Le silence était entrecoupé par le saut d'un poisson venu se régaler d'un insecte imprudent à la surface de l'eau.

Plouc! Le temps que mes yeux se portent sur l'endroit d'où provenait le son, il n'y avait qu'une petite ride déjà en train de mourir.

Le ronronnement d'un hors-bord a résonné sur la gauche. L'embarcation s'est rapidement approchée. Son conducteur a coupé les gaz avant d'aborder. Des passagers sont descendus quelques minutes sur le quai. Des amis les attendaient. En anglais, ils ont échangé quelques paroles joyeuses. Le bateau est reparti. Le silence est revenu.

Le soleil était maintenant beaucoup moins aveuglant. Il touchait presque le sommet de la montagne. Lentement, à l'ouest, le ciel s'est marbré de teintes rouges.

Mes voisins de banc sont repartis les uns après les autres. Je suis resté encore de longues minutes. Le froid s'est levé sur le lac. Il m'enveloppait les bras et le cou.

À mon tour, je suis parti, laissant le lac se refermer sur lui-même pour la nuit. Je suis rentré lentement à l'auberge. Pourquoi se presser? Pour une fois, pour un soir, je venais de m'accorder le plaisir de ne rien faire.