De la campagne, j'aime les silences et les murmures. Et ils sont nombreux le long du chemin des Cantons, un itinéraire de plus de 400 kilomètres qui traverse les villes, villages et hameaux de l'Estrie.

Ils s'ajoutent à une collection d'éléments qui témoignent de l'histoire de cette région façonnée par une forte immigration anglo-saxonne. Amorcée en 1792 avec l'arrivée des loyalistes, qui ont fui les États-Unis et sont restés fidèles à la couronne britannique, elle s'est poursuivie quelques décennies plus tard avec l'installation d'immigrants anglais, écossais, irlandais.

Des bâtiments et maisons à l'architecture particulière, de mignonnes églises assoupies dans des décors champêtres, des cimetières oubliés au détour d'une route... La signature anglo-saxonne s'exprime tout autant dans les noms des villages: Milby, Ways Mills, Ulverton, Vale Perkins, Fitch Bay, Abercorn...

Durant trois jours, je me suis imprégné de cette culture en roulant sur ses routes asphaltées, en m'enfonçant dans ses chemins de terre, en m'arrêtant au bord des rivières, en marchant au coeur des villages, en traversant des ponts couverts aux côtés à claire-voie ou en regardant le soleil se coucher au bout d'un quai.

Lac-Brome

Le Musée du comté de Brome est un endroit fascinant tant par ses vieux bâtiments que par leur contenu, soit une invraisemblable collection d'objets domestiques, de vêtements et d'outils d'autrefois.

Outre un avion allemand datant de la Première Guerre mondiale, l'endroit se distingue par sa collection de vieilles radios qui fait référence à la vie de Fasseden, un fils de la région, esprit prolifique qui dispute à Marconi l'invention de la radio.

Granby-Bromont

Ski, golf, zoo... Les grands attraits de cette région n'ont pas besoin de présentation. Je privilégie une visite du Centre d'interprétation de la nature du lac Boivin (Granby). On y sillonne de charmants sentiers, surtout dans la portion qui zigzague dans les quenouilles et les hautes herbes au bord du lac. Avec de la chance, vous verrez une cane et sa tripotée de canetons en balade sur les eaux calmes.

Ulverton

J'amorce mon trajet dans ce hameau bien connu pour son moulin à laine. À quelques kilomètres du centre, le moulin est aménagé en bordure de la rivière Saint-François, traversée par un vieux pont couvert.

Dans le village, route 143, plusieurs cottages en clins de bois horizontaux et la coquette église unie aux couleurs pastel m'initient au style architectural très «Nouvelle-Angleterre» qui s'imposera durant tout mon voyage.

Richmond

Avec la rivière Saint-François sur ma gauche, je roule en direction de Richmond, où je dénombre une multitude de constructions d'un autre âge et aux briques ocre.

Le maire Marc-André Martel m'explique qu'autrefois, Richmond comptait une manufacture de briques. «Mais celles-ci ont commencé à s'effriter, dit-il. Pour stopper le phénomène, les gens ont appliqué un scellant fait d'huile et de rouille. Plus tard, d'autres ont peint leur maison en rouge.»

Rue Dufferin, on voit de superbes résidences aux toits d'ardoise, un autre matériau propre à la région.

Danville

Je quitte la 143 pour la route 116 vers Danville. En marchant au coeur du village, je suis accueilli par le carillon genre Big Ben d'un édifice central, et des dessins naïfs et colorés sur des sections de trottoirs.

Je m'arrête à l'étang Burbank, où l'on peut suivre un sentier d'interprétation. Le point d'eau ne me laisse pas de souvenirs impérissables. Mais les amateurs d'oiseaux migrateurs y trouvent leur compte, durant l'automne.

Dudswell

Je prends la 255 en direction de Dudswell, municipalité née de la fusion de Marbleton et de Bishopton. Très droite, la route monte et redescend sur des kilomètres, me laissant deviner, au loin, des montagnes, une ferme, un clocher, un bois, un champ de fleurs...

Membre de l'Association des plus beaux villages du Québec, Marbleton doit son nom à sa mine de chaux. À la Maison de la culture, on peut voir une exposition consacrée à Eva Tanguay, une fille de la place qui a fait carrière sur Broadway.

Rue Church, on peut voir un curieux cimetière divisé en deux parties, anglicane et méthodiste.

Compton

La municipalité s'enorgueillit d'avoir donné le jour à un ancien premier ministre du Canada, Louis Saint-Laurent. Il repose dans le cimetière local. Quatrième pierre de la quatrième rangée, diront les habitués.

Le Lieu historique national Louis-Saint-Laurent est formé de la maison familiale et du magasin général tenu par son père. On y trouve le lot habituel des objets et meubles d'époque.

Mais c'est l'exposition multimédia qui retient l'attention. Ficelée simplement, elle relate, dans un texte bien tassé, à quel point Saint-Laurent est allé en politique davantage par devoir que par goût. Et que son mandat a été marqué par l'adoption de plusieurs mesures sociales, à l'origine de savoureuses querelles fédérales-provinciales.

Coaticook

Cette municipalité doit sa renommée à sa gorge profonde (50 mètres) et sa passerelle, qui revendique le titre de plus long pont piétonnier suspendu au monde.

Sur quelques beaux kilomètres de sentiers pédestres, le parc de la gorge est truffé de montées et de descentes pentues. On y découvre une tour de bois du haut de laquelle on a un point de vue unique sur la région, un barrage où les eaux font un boucan du diable, une centrale hydroélectrique, etc.

Ma sensation forte de la journée: le tangage de la passerelle. Ma déception: la visite de la grotte, qui n'a de caverne que le nom.

Way's Mills

J'ai rarement visité endroit aussi calme, retiré et hors du temps. Au carrefour central, deux minuscules églises se font face, belles et fières.

De Coaticook, il faut en principe prendre la 141 Nord pour se diriger vers ce hameau. J'ai préféré parcourir des routes de terre, plus au sud. Il faut être attentif pour ne pas s'y perdre, mais l'aventure en vaut largement la peine.

Stanstead - Rock Island - Beebe Plain

Dans cette région frontalière, l'influence des États-Unis est partout. Comme à Beebe, avec sa rue Canusa et ses bâtiments traversés par la frontière, ou à Stanstead, avec sa Maison-Blanche (une résidence pour retraités) et un collège aux lignes inspirées des institutions américaines. Ironiquement, l'agence Services Québec loge dans un bâtiment dans la pierre duquel le nom «Registry Office» est gravé.

Georgeville

Un des plus beaux points de vue sur le lac Memphrémagog du quai municipal. Minuscule, le village est figé dans le temps. Et a la ferme intention de le rester.

Entre Beebe et Georgeville, je me suis arrêté chez Bleu Lavande, un centre d'interprétation de cette plante odorante.

Canton de Magog

Sur le chemin des Pères, quelques kilomètres après l'intersection de la route 112, je m'arrête au belvédère Memphré, d'où l'on a un joli coup d'oeil sur toute la région. À peine quelques mètres plus loin, arrêtez-vous au Trésor de la Grange, pour une séance de magasinage d'objets d'art fabriqués par des artisans de la région.

Vale Perkins

Ma région préférée des Cantons-de-l'Est. J'aime cette route qui slalome entre les vallons, ces cimetières abandonnés, ce mystérieux village ukrainien, ces églises protestantes aux fenêtres en ogive et aux vitraux poussiéreux...

Mansonville

Je m'arrête pour un dîner décontracté dans le parc, assis sur un banc, sous le toit du kiosque. Je dévore un généreux sandwich à la viande fumée acheté chez Euro-Déli. Pour les fines bouches, la boulangerie Owl's Bread possède, à voir les coupures de journaux scotchées sur les murs (dont une du New York Times), une réputation enviable.

Abercorn

De Mansonville, on suit la rivière Missisquoi en direction de Glen Sutton, Abercorn et Sutton. Tout le paysage se resserre autour de la route. Les montagnes nous prennent pratiquement dans leurs bras.

Je préfère la très calme Abercorn, où je m'arrête près de la rivière. Un chaton traverse la route. Une voiture passe de temps à autre. Sinon, c'est le silence sous le soleil. Ô, joie!

 

Qu'est-ce que le Chemin des Cantons?

Il part de Bromont et se termine à Ulverton. Ou vice versa. Sur un parcours de 415 kilomètres, cet itinéraire atypique traverse 31 municipalités. Il se caractérise par la découverte du patrimoine architectural, religieux et culturel des premiers colons. Facilement identifiable à ses panneaux, il exclut cependant la région la plus à l'est des Cantons, le secteur de Mégantic. J'ai fait le parcours en trois jours et deux nuits avec plusieurs arrêts au cours d'une même journée. Mais j'aurais pu, sans me lasser, ajouter un autre jour (voire deux, en plein été, lorsque les activités se multiplient) pour approfondir mes découvertes.

> www.chemindescantons.qc.ca

 

Photo: André Duchesne, La Presse

Le vieux pont couvert d'Ulverton.