«Pédale à gauche; pagaie à droite.» Pour passer entre deux îles aux noms abénaquis impossibles à retenir, il fallait contourner un rocher pointu et remonter un peu le courant, kayak nez devant. La consigne était on ne peut plus claire, mais, une fraction de seconde, j'ai confondu ma droite et ma gauche. Juste assez longtemps pour que le petit courant éloigne mon kayak de son objectif, m'obligeant à rétablir le cap à grands coups de pagaie.

Devant, Jean-Martin Lavoie m'attendait en souriant. Grand amoureux de pêche, il a de la patience à revendre. Depuis l'an dernier, il fait découvrir la région de la rivière Saint-François et du lac Saint-Pierre aux curieux qui osent quitter l'autoroute 20 et rentrer dans les terres jusqu'à Pierreville, à mi-chemin entre Nicolet et Sorel, dans le Centre-du-Québec.

En ce samedi matin gris, mon guide avait décidé de me faire découvrir les 30 îles de la rivière Saint-François, appelée Alsiganteku, en abénaquis. C'est aussi le nom que Jean-Martin Lavoie a choisi pour sa jeune entreprise, fondée après un séjour de quatre ans en Chine. Et selon lui, Alsiganteku n'est jamais aussi animée que lorsqu'il pleut. «C'est un temps pour chasser le canard! Quand il pleut, la faune est plus active; il y a plus de choses à voir.» Comme pour confirmer ses dires, deux grands hérons fendent la fine pluie, ailes déployées.

Ici, il suffit de plonger la pagaie dans l'eau pour quitter la civilisation. La rivière, peu profonde, est impossible à naviguer pour les bateaux le moindrement costauds. Par moment, nos kayaks ont raclé le fond pierreux, c'est dire. Impossible donc de se faire bousculer par un hors-bord lancé à toute vitesse. Il n'y a que les kayaks pour pousser l'exploration en amont, traverser quelques petits rapides et se glisser entre les îles dans des chenaux verdoyants. La faune a compris qu'elle ne se ferait pas embêter dans le coin; les oiseaux y nichent en abondance et il n'est pas rare de croiser un rat musqué, une loutre ou même un chevreuil.

Pendant la virée d'une dizaine de kilomètres, le bal des hérons s'est poursuivi au-dessus de nos têtes. On en a croisé une quinzaine, au moins. Une bernache aussi. Et des canards. Mon guide, lui, profitait de chaque pause pour sonder le fond de la rivière du bout de sa pagaie, à la recherche de fosses où pourraient se cacher quelques achigans à petite bouche, dorés jaunes ou perchaudes. Car outre les sorties en kayak - en journée ou en demi-journée, de jour ou au coucher du soleil -, Jean-Martin propose aussi des forfaits de pêche en kayak avec l'option «Chef en rivière», où il prépare lui-même, sur la rive, le poisson pêché. Et il suffit de passer une demi-heure en sa compagnie pour comprendre qu'il connaît sa rivière comme le fond de sa poche et qu'il ne rentre pas souvent les mains vides...

«Je loue tout le matériel à ceux qui n'en ont pas, je fournis les appâts, je peux donner des conseils. Tout ce qu'il faut, c'est un permis de pêche valide. Cette rivière est vraiment belle et elle n'a pas été beaucoup explorée. Même les gens du coin ne la connaissent pas très bien. Ils pensent que ce n'est pas faisable d'aller dans certains coins.»

Pourtant, si on y met un peu de coeur, on peut se faufiler presque partout et remonter jusqu'au magnifique rapide Pôltegok, limite de notre virée. Et si la canicule assèche trop la rivière, il restera toujours le lac Saint-Pierre, immense, pour s'amuser. Plusieurs parcours peuvent être adaptés selon le niveau d'expérience. Les tarifs varient entre 28$ (pour une sortie de trois heures au coucher du soleil) et 96$ (pour la journée complète kayak et pêche.) Des prix spéciaux sont aussi offerts pour les 15 ans et moins.

www.alsiganteku.com