Quiconque a vu les toiles que Paul Gauguin a peintes en Polynésie devine que ce pays en est un de couleurs. Du bleu de la mer au vert des forêts tropicales, en passant par le blanc de la fleur de tiaré des colliers qu'on vous passera au cou dès votre arrivée, voici un portait multicolore de la Polynésie.

Bleu

Plonger dans l'azur

Turquoise, presque cobalt par endroits. À tout coup, c'est la couleur - quasi irréelle - de la mer qui frappe les visiteurs qui découvrent pour la première fois la Polynésie française. Et l'émerveillement ne fait que croître, une fois plongé dans cette eau couleur d'azur.

Le signal du guide était aussi limpide que l'eau de Tikehau: pas besoin de s'inquiéter. La raie manta avait beau dépasser 3 m d'envergure - et battre des ailes assez près pour nous frôler -, il n'y avait aucun danger.

Elles étaient huit à valser à l'ombre d'une ancienne ferme perlière désaffectée, au coeur du lagon de Tikehau. Huit géantes, qui bloquaient la lumière du soleil à chacun de leurs passages, suivies par une armée de ladres nettoyeurs, petits poissons à rayures affairés à déparasiter les raies.

Nous n'avions qu'à ouvrir les yeux tout grands, couchés sur un fond sablonneux, pour profiter du spectacle - gracieux et émouvant - qui se déroulait au-dessus de nous, dans tout juste 12 m d'eau.

Pour les plongeurs sous-marins (et même les amateurs d'apnée), la Polynésie française figure en tête de liste des destinations à visiter un jour. Pas pour les épaves (quasi inexistantes), ni pour les coraux (plus beaux ailleurs), mais pour les poissons, nombreux, variés et imposants. Requins de tout acabit, thons, raies, murènes, bancs de rougets ou de barracudas. Un véritable safari aquatique, qui rivalise en beauté avec les safaris de la savane africaine. Entre juillet et octobre, il est même possible de nager en compagnie de baleines à bosse et de leurs baleineaux.

Plongeur expérimenté, Erik Poupion a vécu huit ans à Bora Bora. «J'ai plongé partout dans le monde, mais la Polynésie reste mon coup de coeur. Certains sites sont extraordinaires. Mais au-delà de la diversité et de la quantité de poissons, il y a ce sentiment unique de se sentir tout petit dans un environnement si grand», explique l'auteur du livre Bora Bora, l'harmonie des plongées.

Omniprésente

En fait, la mer happe le voyageur dès qu'il se pose en Polynésie et ne le lâche plus, pour le hanter encore longtemps après son départ. Ici, on se réveille et on s'endort au bruit des vagues. On se régale du fraîchissime poisson cru au lait de coco, plat national que les Polynésiens préparent avec la chair de coco fraîchement râpée et du citron. On paresse sur les plages de sable des motus, petits îlots coralliens. Et, oui, on nage au milieu de poissons arc-en-ciel... et même des requins.

Pour quiconque a grandi à l'époque du film Jaws, nager en compagnie d'une trentaine de requins peut tenir du cauchemar. Accrochés à une corde flottante, on assiste au repas d'une trentaine de squales à pointes noires, à qui le guide lance des bouts de poisson. L'eau grouille sous le mouvement de toutes ces nageoires, ces ailerons, qui arrivent de tous les côtés. Effrayant? Au contraire, grisant.

Vert

Coeur côté jardin

Envoûtés par les bleus aquatiques de la Polynésie française, les voyageurs oublient parfois de se lancer à la découverte du coeur des îles et de sa palette infinie de verts. Ils passent à côté d'une nature luxuriante et généreuse, chère au coeur des Polynésiens.

C'est avec son grand-père que Teiva a appris le nom des plantes et leurs vertus médicinales, l'art de pêcher l'anguille et celui de chasser le sanglier.

Aujourd'hui, il guide les visiteurs sur la terre de ses ancêtres, au coeur de l'île de Tahiti. Avec ses cheveux noués par des feuilles de cocotier, ses pieds nus, sa poitrine tatouée et un simple paréo noué à la taille, il semble tout droit sorti des récits de Bougainville, premier navigateur français à explorer ces territoires reculés, en 1768.

Mais c'est en jeep, façon safari, qu'il fait découvrir son île. Le véhicule n'est pas superflu. Plusieurs fois, il faut enjamber sur des lits de pierre la rivière Papenoo. Le guide s'arrête au passage pour cueillir quelques goyaves sucrées, un régime de bananes (récolté à la machette!) ou des fleurs de gingembre.

Pour les amateurs de randonnée pédestre, la Polynésie française peut sembler un formidable terrain d'exploration. Surtout qu'ici, il n'y a aucun scorpion ni serpent dont il faut se méfier. Le hic: les rares sentiers ne sont presque jamais balisés. Il faut donc obligatoirement embaucher un guide.

À moins de louer une voiture pour suivre les routes pavées (et très congestionnées dans le cas de Tahiti), il reste donc les visites en camion 4x4, comme celles de Teiva, pour découvrir les montagnes, les cratères des anciens volcans ou les petites plantations d'ananas et de vanilliers.

Par les pores ou les papilles

Il existe heureusement d'autres façons de découvrir la richesse de la nature polynésienne. Les fruits, qu'on peut acheter pour presque rien dans des étals de fortune le long des routes. L'huile de tamanu (aux odeurs tenaces de noisette, de bois brûlé et de terre humide) et le monoï - l'huile sacrée des Tahitiens - qui transforment les séances au spa en d'envoûtantes expériences olfactives.

Blanc

Couleur de tiaré

Blanc, c'est la couleur de la fleur de tiaré, celle dont les Tahitiens tissent les leis, les colliers qu'ils passent au cou des visiteurs dès leur arrivée. Fleur emblématique de cette collectivité d'outre-mer française, elle incarne toute l'hospitalité des gens des îles, pour qui la vie au paradis n'est pas toujours facile.

«Maeva, madame. Tu as passé une belle journée?»

«Madame», suivi d'un tutoiement. La formule est peut-être grammaticalement bancale, elle est de toutes les conversations avec les Tahitiens. Des petits camions de restauration qui bordent le port de Papeete jusqu'aux bateaux qui les mènent à leur hôtel cinq étoiles, les touristes sont accueillis avec ce curieux (mais rapidement charmant) mélange de formalisme et de proximité.

Malheureusement, la culture polynésienne n'est pas facilement accessible aux visiteurs, en particulier dans les grands hôtels où les clients sont souvent captifs. La plupart du temps, la rencontre culturelle se limite à un spectacle de chants et de danses traditionnels. Costumes colorés, conques musicales, ukulélés, tout y est. Mais la troupe ne fait que passer, sans véritable explication sur la symbolique de ces danses.

La danse tahitienne - ori tahiti - n'est pas pour autant du folklore destiné aux seuls touristes. Lors du festival Heiva I Tahiti, présenté chaque année en juillet, plusieurs troupes s'affrontent en compétition devant des spectateurs venus de tous les archipels du Pacifique. Les danseurs travaillent des mois durant leur numéro. «La danse est une façon pour nous de préserver notre culture, notre identité, explique la danseuse et chorégraphe Moere Vong. Ici, tous les enfants apprennent à danser. C'est un moyen pour les jeunes de mettre la misère de côté et de s'épanouir.»

Car la misère est le lot de beaucoup de Tahitiens, qui peinent à survivre dans un pays où le coût de la vie est deux à trois fois plus élevé qu'en France. Selon les plus récents chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques de France (INSEE), le taux de chômage était de 21,8% sur le territoire en 2012.

À Papeete, des familles entières vivent dans des cabanes délabrées. Dans des îles plus isolées, les seuls moyens de subsistance sont la pêche et la noix de coco.

Mais tant que le tourisme va, les Polynésiens continuent à lancer l'une de leurs phrases préférées: «Aita pe'a pe'a.» Il n'y a pas de problème...